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Emule de Diane, un nœud simple et sans art,
Relève ses cheveux voltigeant au hasard.
En vain de mille amans elle a reçu l'hommage;
L'hommage des amans est pour elle un outrage.
Belle, mais inhumaine, elle erre dans les bois;
Elle veut ignorer et l'hymen et ses lois.
Son père mille fois la pressa de se rendre:
Ma fille, disoit-il, vous me devez un gendre;
Ma fille, disoit-il, je vous dois un époux.

Comme un horrible affront, craignant un nom si doux,
La nymphe rougissoit; une pudeur touchante
Animoit de son teint la fraîcheur innocente,
Et tenant sur son sein le vieillard incliné :
Mon père, disoit-elle, accordez à Daphné
D'échapper à des nœuds que sa pudeur condamne;
Jupiter accorda cette grâce à Diane.

Pénée en ce moment tendrement caressé,
Appuyé sur sa fille, entre ses bras pressé,

Cède, et voudroit en vain condamner sa prière.
Mais que te sert, Daphné, d'avoir fléchi ton père?
Ta beauté contredit tes désirs vertueux:

Ou deviens moins aimable, ou renonce à tes vœux.
Phœbus aime, et trompé par son oracle même,
Il espère être aimé de la nymphe qu'il aime.
Comme on voit s'allumer les stériles débris
D'un chaume pétillant, reste des blonds épis,
Ou comme, en un instant, on voit la flamine avide,
Atteindre, dévorer une bruyère aride,

Lorsque le voyageur, au point du jour naissant,
Jette dans les buissons son flambeau pâlissant;
Ainsi d'un feu secret il brûle, et l'espérance,
A l'aspect de Daphné, l'enivre par avance.
Il voit négligemment flotter ses longs cheveux.
Ah! si l'or ou la perle en captivoit les nœuds!
Il voit son teint de lis, sa bouche demi-close,
Telle que dans nos champs s'ouvre à peine une rose;
Illa voit; mais hélas! ne peut-il que la voir!
Il voit ses yeux si beaux et si pleins de pouvoir,
L'albâtre de ses mains, sa gorge demi-nue:
Partout avidement il promène sa vue:
Et de tout ce qu'il voit les séduisans appas
Embellissent encor tout ce qu'il ne voit pas.
Plus prompte que le vent, Daphné vole et l'évite;
C'est en vain que le dieu veut ralentir sa fuite.
Où vas-tu, belle nymphe? arrête; ne crois pas
Qu'un perfide ennemi poursuive ici tes pas.
Arrête. Si l'on voit, d'une aile fugitive,
Echapper au vautour la colombe craintive;
Si l'agneau fuit le loup; si le chevreuil léger
Se dérobe au lion, ils craignent le danger:
Ce sont leurs ennemis. Arrête, et considère
Que celui que tu fuis n'aspire qu'à te plaire.
Les sentiers où tu cours, hélas! sont peu frayés;
Les buissons épineux peuvent blesser tes pieds.
J'aurois causé tes maux! Ah! retarde ta fuite.
Fais grâce à mon effroi : je te suivrai moins vite.
Regarde au moins l'amant épris de ta beauté.
Ce n'est point de ces monts un satyre effronté,
Un agreste habitant de cette agreste plaine,
Un pâtre plus hideux que les chèvres qu'il mène.
Tu ne sais qui tu fuis, et qui court sur tes pas:
Si tu le connoissois, tu ne le fuirois pas.
Le souverain du ciel m'a donné la naissance;
Mille peuples fameux révèrent ma puissance.
Patare, qui long-temps fut le séjour des rois,
Et Delphes et ČClaros reconnoissent mes lois.

Je suis le dieu des vers; le Pinde est mon empire:
Je sais unir ma voix aux accords de la lýre;
Je prédis l'avenir, je connois le passé.

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Nul au combat de l'arc ne m'avoit surpassé.
Il est pourtant, il est une flèche plus sûre
Dont mon cœur, long-temps libre, a senti la blessure.
Je connois les vertus des puissans végétaux;
Heureux de posséder l'art de guérir les maux,
Malheureux que l'amour soit un mal incurable,
Que mon art, pour moi seul, ne soit pas secourable.
Tandis qu'il parle encor, la nymphe, à pas pressés,
Echappe à ses discours à demi prononcés,

Et de ses derniers mots, à peine au loin frappée,
N'entend que foiblement sa voix entrecoupée;
Avec plus de vitesse elle eut plus de beauté :
Sa grâce s'embellit de sa légèreté.

Les zéphyrs amoureux, d'une aile frémissante,
Soulèvent les replis de sa robe flottante,
Et de son jeune sein découvrant les trésors,
Du dieu qui la poursuit irritent les transports.
Apollon, las de perdre une plainte frivole,
Précipite ses pas: il court moins qu'il ne vole.
Tel qu'on voit l'animal, compagnon des bergers,
Poursuivre avec ardeur un lièvre aux pieds légers:
Il s'élance sur lui, le presse, le menace,

Et, prêt à le saisir, semble mordre sa trace:

Le lièvre fugitif, déjà pris à demi,

Trompe, en se détournant, la dent de l'ennemi:

Tels sont les deux amans; l'un poursuit, l'autre évite;

L'espoir le rend léger, la peur la précipite.

Mais le dieu, sans relâche, attaché sur ses pas,

Enivré de désirs, étend déjà les bras;

Et le souffle léger de son baleine humide

Agite les cheveux de la nymphe timide.

Daphné tremble, et d'effroi tous ses sens sont surpris;

La fatigue et la crainte ont vaincu ses esprits;

Sa force l'abandonne; interdite, éperdue,
Vers les bords du Pénée elle tourne la vue:

Si les fleuves sont dieux, s'ils en ont le pouvoir,
Viens, ô mon père, accours et vois mon désespoir;
Viens m'arracher des bras d'un amant téméraire.
O terre, engloutis-moi, la mort me sera chère,
Ou bien en les changeant, punis ces vains attraits,
Ces attraits dangereux qu'on aime et que je hais.

O prodige! à ces mots, ses membres s'engourdissent;
Ses cheveux sur sa tête en feuillages verdissent;
Ses bras tendus au ciel s'allongent en rameaux;
Ses pieds, jadis plus prompts que le vol des oiseaux,
S'attachent à la terre; une écorce naissante
Embrasse les contours de sa taille élégante;
Ses traits sont effacés; elle est un arbre enfin.
Apollon l'aime encore, il l'embrasse, et sa main
Sent palpiter un cœur sous l'écorce nouvelle.
Quand il n'a plus d'espoir, encor tendre et fidèle :
A ce bois qui lui reste, il imprime un baiser:
L'arbre rebelle encor semble s'y refuser.
Eh bien! puisque du ciel la volonté jalouse,
Dit-il, ne permet pas que tu sois mon épouse,
Sois mon arbre du moins: que ton feuillage heureux,
Décore mon carquois, couronne mes cheveux.
Dans ces jours solennels de triomphe et de fêtes
Où Rome étalera ses nombreuses conquêtes,
Tu seras des vainqueurs l'ornement et le prix;
Tes rameaux respectés des foudres ennemis,
Du palais des Césars protégeront l'entrée:
Et comme de mon front la jeunesse sacrée:

N'éprouvera jamais les injures du temps.
Que ta feuille conserve un éternel printemps!
Il dit, et le laurier par un nouveau prodige,
Comme pour l'approuver, semble incliner sa tige.
De S. Ange.

FABLES.

18. Fable 1. La Mort et le Bûcheron.

Un pauvre bûcheron, tout couvert de rámée,
Sous le faix du fagot aussi-bien que des ans
Gémissant et courbé, marchoit à pas pesans,
Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il en depuis qu'il est au monde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos:
Sa femme, ses enfans, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appeile la mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.

Le trépas vient tout guérir;
Mais ne bougeons d'où nous sommes :
PLUTÔT SOUFFRIR QUE MOURIR,
C'est la devise des hommes.

La Fontaine.

19. Fable 2. La Besace.

Jupiter dit un jour: que tout ce qui respire
S'en vienne comparoître aux pieds de ma grandeur:
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur :

Je mettrai remède à la chose.

Venez, singe, parlez le premier, et pour cause:
Voyez ces animaux; faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.

Etes-vous satisfait? Moi! dit-il: pourquoi non?
N'ai-je pas quatre pieds aussi-bien que les autres ?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché:
Mais pour mon frère l'ours, on ne l'a qu'ébauché;
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre.
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'alloit plaindre.
Tant s'en faut de sa forme il se loua très-fort,
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourroit encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles;

Que c'étoit une masse informe et sans beauté.
L'éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il étoit, dit des choses pareilles :
Il jugea qu'à son appétit

Dame baleine étoit trop grosse.
Dame fourni trouva le ciron trop petit,

Se croyant, pour elle, un colosse.

Jupin les renvoya s'étant censurés tous,

Du reste, contens d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes;
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes.
On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.
Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui.
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

La Fontaine.

§ 20. Fable 3. Le Renard et la Cicogne.

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cicogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne,

Avoit un brouet clair (il vivoit chichement).
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:
La cicogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cicogne le prie,
Volontiers, lui dit-il, car avec ines amis
Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il courut au logis
De la cicogne son hôtesse;
Loua très-fort sa politesse,

Trouva le diner cuit à point:

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point,
Il se réjouissoit à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyoit friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cicogne y pouvoit bien passer;
Mais le museau du sire étoit d'autre mesure.

I lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule auroit pris,
Serrant la queue, et portant has l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris:
Attendez-vous à la pareille.

La Fontaine,

§ 21. Fable 4. Le Chêne et le Roseau.

Le chêne un jour dit au roseau:
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau
Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon: tout me semble zéphyr.
Encor, si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrois de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel: mais quitteż ce souci;

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables:
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables'
Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disoit ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfans

Que le nord eût portés jusques là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie;

Le vent redouble ses efforts:
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,

Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts.

La Fontaine.

$22. Fable 5. L'Oiseau blessé d'une Flèche.

Mortellement atteint d'une flèche empennée,
Un oiseau déploroit sa triste destinée;
Et disoit, en souffrant un surcroit de douleur:
Faut-il contribuer à son propre malheur!

Cruels humains! vous tirez de nos ailes
De quoi faire voler ces machines mortelles!
Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié :
Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre,
Des enfans de Japet toujours une moitié

Fournira des armes à l'autre.

La Fontaine.

23. Fable 6. Le Renard et les Raisins.

Certain renard Gascon, d'autres disent Normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille
Des raisins, múrs apparemment,

Et couverts d'une peau vermeille,

Le galant en eût fait volontiers un repas.

Mais comme il n'y pouvoit atteindre:
Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats.
Fit-il pas mieux que de se plaindre?

La Fontaine.

§ 24. Fable 7. Les Loups et les ! rebis.

Après mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C'étoit apparemment le bien des deux partis:
Car si loups mangeoient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisoient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d'autre part pour les carnages:

Ils ne pouvoient jouir, qu'en tremblant, de leurs biens.
La paix se conclut donc : on donne des ôtages;
Les loups, leurs louveteaux; et les brebis, leurs chiens.
L'échange en étant fait aux formes ordinaires,

Et réglé par des commissaires,

Au bout de quelque temps que messieurs les louvats
Se virent loups parfaits, et friands de tuerie,
Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étoient pas,
Étranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent anx dents, dans les bois se retirent.
Ils avoient averti leurs gens secrètement.

Les chiens, qui, sur leur foi, reposoient sûrement,
Furent étranglés en dormant.

Cela fut sitôt fait, qu'à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux, un seul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

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