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Aux simples sentimens, aux grâces naturelles
Dont les bergers du lieu savoient peindre leurs belles.
On y vantoil Atis, on y vantoit ses chants;

Mais Licas crut les siens plus vifs et plus touchans;
Il l'osa défier au combat de la flûte ;

Florine qu'ils aimoient jugeoit de leur dispute;
Et rivaux à la fois et de gloire et d'amour,
Les deux bergers ainsi chantèrent tour à tour,
LICAS.

Au moment fortuné que j'aperçus ma belle,
L'amour, tendant son arc, voltigeoit autour d'elle;
Elle jeta sur moi des regards pleins d'attraits:
Le dieu prit ce temps sûr pour me lancer ses traits.
ATIS.

On célébroit ici la reine de Cythère:

Mon cœur de cent beautés distingua ma bergère;
D'un désir inconnu je me sentis presser;

Et je baissai les yeux, de peur de l'offenser.

LICAS.

Tous les cœurs à l'envi s'empressent sur ses traces, Quand dans ses blonds cheveux arrangés par les grâces, Elle a mis avec art les plus brillantes fleurs,

Dont l'éclat de son teint fait pâlir les couleurs.

ATIS.

De tous ces ornemens je ne m'aperçois guère,

Parée, ou négligée, elle sait toujours plaire:
Hélas! en quelque état qu'elle s'offre à mes yeux,
C'est toujours comme elle est qu'elle me plaît le mieux.
LICAS.

Avides courtisans adorez la fortune:

Allez faire à nos rois une cour importune;

De la seule beauté je reconnois les lois;

Mais ses esclaves sont plus heureux que nos rois.

ATIS.

Je ne songe jamais qu'à celle que j'adore,
Que m'importent les soins de celle que j'ignore?
Mon seul amour m'occupe et je m'en entretiens,
Sans songer si quelque autre aspire à d'autres biens.
LICAS.

Dans le bocage épais où va rêver ma belle,
Parlez-lui de mes feux plaintive Philomèle,
Dans les antres secrets quand elle fuit le jour,
Echos qui le savez, dites-lui mon amour.

ATIS.

Assidu sur les pas de celle qui m'attache,
Il n'est point de détour, de bois qui me la cache;
Dans les antres en vain elle iroit se cacher,
L'amour ine le revèle, et je cours l'y chercher.

LICAS.

Partout à son aspect les campagnes fleurissent;
L'air en devient plus pur, et les bois reverdissent.
ATIS.

Je n'aime que les jours, les lieux où je la voi,
Quand je ne la vois plus, tout est égal pour moi.
LICAS.

Si quelque jour mes soins pouvoient toucher son âme,
Que ce triomphe, amour, redoubleroit ma flamme.
ATIS.

Si l'amour m'accordoit ce destin glorieux,
Je serois plus content, et n'aimerois pas mieux.
LICAS.

J'ai fait des vers pour elle, et je veux les lui dire,
L'amour les a lui-même applaudis d'un sourire.
ATIS.
J'en ai fait que je trouve encor trop languissan's;
Je n'ai pas à mon gré dit tout ce que je sens.

LICAS.

Écoute, écoute, Atis, la chanson que j'ai faite,
Et tu pourras juger si ma flamme est parfaite.
C'est Iris désormais qui borne mes désirs.
Je ne puis dans mes tendres chaînes
Etre heureux que par ses plaisirs,
Ni malheureux que par ses peines.
ATIS.

Écoute donc, Licas, ma chanson à ton tour:
Mais ne va pas par là juger de mon amour.
Quand j'ai dit pour Iris tout ce qu'amour inspire
J'y voudrois encore ajouter.

Je sens plus que je ne puis dire;

Hélas! je sais bien mieux l'aimer que la chanter.
LICAS.

Florine, il en est temps, vous devez prononcer.
ATIS.

Je crains trop cet arrêt, pour vouloir le presser...

Tel de ces deux bergers fut le combat champêtre;
L'un suivoit la nature; il n'eut point d'autre maître;
L'autre vouloit de l'art y joindre le secours,
Qui loin de l'embellir, la déguise toujours.
Dans le cœur de Florine Atis eut la victoire;
Elle voulut pourtant lui cacher cette gloire;
Et dans un embarras qu'Atis aperçut bien,
Le regarda, rougit, et ne prononça rien.

Houdart de la Motte.

13. CONTES. 1. Conte. Philémon et Baucis.

Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux :
Ces deux divinités n'accordent à nos vœux

Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille;
Des soucis dévorans c'est l'éternel asile:

Véritable vautour, que le fils de Japet
Représente enchaîné sur son triste sommet.
L'humble toit est exempt d'un tribut si funeste.
Le sage y vit en paix, et méprise le reste:
Content de ses douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des rois;

Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne
Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne.
Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour;
Rien ne trouble sa fin, c'est le soir d'un beau jour.

Philémon et Baucis nous en offrent l'exemple:
Tous deux virent changer leur cabane en un temple.
Hyménée et l'amour, par des désirs constans,
Avoient uni leurs cœurs dès leur plus doux printemps.
Ni le temps ni l'hymen n'éteignirent leur flamme;
Clothon prenoit plaisir à filer cette trame.

Ils surent cultiver, sans se voir assistés,
Leur enclos et leur champ par deux fois vingt étés.
Eux seuls ils composoient toute leur république:
Heureux de ne devoir à pas un domestique
Le plaisir ou le gré des soins qu'ils se rendoient!
Tout vieillit: sur leur front les rides s'étendoient;
L'amitié modéra leurs feux sans les détruire,

Et

par des traits d'amour sut encor se produire.
Ils habitoient un bourg plein de gens dont le cœur
Joignoît aux duretés un sentiment moqueur.
Jupiter résolut d'abolir cette engeance.
Il part avec son fils, le dieu de l'éloquence;
Tous deux en pélerins vont visiter ces lieux.
Mille logis y sont, un seul ne s'ouvre aux dieux,
Près enfin de quitter un séjour si profane

Ils virent à l'écart une étroite cabane

Demeure hospitalière, humble et chaste maison.
Mercure frappe; on ouvre. Aussitôt Philémon
Vient au devant des dieux, et leur tient ce langage:
Vous me semblez tous deux fatigués du voyage,
Reposez-vous; usez du peu que nous avons;
L'aide des dieux à fait que nous le conservons:
Usez-en; saluez ces pénates d'argile.
Jamais le ciel ne fut aux humains si facile,
Que quand Jupiter même étoit de simple bois;
Depuis qu'on l'a fait d'or, il est sourd à nos voix.
Baucis, ne tardez point, faites tiédir cette onde;
Encor que le pouvoir au désir ne réponde,
Nos hôtes agréeront les soins qui leur sont dus.
Quelques restes de feu sous la cendre épandus
D'un souffle haletant pas Baucis s'allumèrent.
Des branches de bois sec aussitôt s'enflammèrent.
L'onde tiède, on lava les pieds des voyageurs.
Philémon les pria d'excuser ces longueurs;
Et pour tromper l'ennui d'une attente importune,
Il entretint les dieux, non pas sur la fortune,
Sur ses jeux, sur la pompe et la grandeur des rois,
Mais sur ce que les champs, les vergers et les bois
Ont de plus innocent, de plus doux, de plus rare.
Cependant par Baucis le festin se prépare.

La table où l'on servit le champêtre repas
Fut d'ais non façonnés à l'aide du compas:
Encore assure-t-on si l'histoire en est crue,
Qu'en un de ses supports le temps l'avoit rompue.
Baucis en égala les appuis chancelans

Du débris d'un vieux vase, autre injure des ans.
Un tapis tout usé, couvrit deux escabelles:
Il ne servoit pourtant qu'aux fêtes solennelles.
Le linge orné de fleurs fut couvert pour tous mets,
D'un peu de lait, de fruits, et des dons de Cérès.
Les divins voyageurs, altérés de leur course,
Méloient au vin grossier le crystal d'une source.
Plus le vase versoit, moins il s'alloit vidant.
Philémon reconnut ce miracle évident;

Baucis n'en fit pas moins: tous deux s'agenouillèrent;
A ce signe d'abord leurs yeux se déssillèrent.
Jupiter leur parut avec ces noirs sourcils

Qui font trembler les cieux, sur leurs pôles assis.
Grand Dieu, dit Philémon, excusez notre faute:
Quels humains auroient cru recevoir un tel hôte.
Ces mets, nous l'avouons, sont peu délicieux :

Mais, quand nous serions rois, que donner à des dieux?
C'est le cœur qui fait tout: que la terre et que l'onde
Apprêtent un repas pour les maîtres du monde;
Il lui préféreront les seuls présens du cœur.
Baucis sort à ces mots pour réparer l'erreur.
Dans le verger couroit une perdrix privée,
Et par de tendres soins dès l'enfance élevée;
Eile en veut faire un mets et la poursuit en vain:
La volatille échappe à sa tremblante main;
Entre les pieds des dieux elle cherche un asile.
Ce recours à l'oiseau ne fut par inutile:
Jupiter intercède. Et déjà les vallons

Voyoient l'ombre en croissant tomber du haut des monts,
Les dieux sortent enfin, et font sortir leurs hôtes.
De ce bourg, dit Japin, je veux punir les fautes:
Suivez-nous. Toi Mercure, appelle les vapeurs.
O gens durs! vous n'ouvrez vos logis ni vos cœurs!
Il dit: et les autans troublent déjà la piaine.
Nos deux époux suivoient, ne marchant qu'avec peine,
Un appui de roseau soulageoit leurs vieux ans :

Moitié secours des dieux, moitié peur, les hâtans,
Sur un mont assez proche enfin ils arrivèrent.
A leurs pieds aussitôt cent nuages crevèrent,
Des ministres du dieu les escadrons flotans
Entraînèrent, sans choix, animaux, habitans,
Arbres, maisons, vergers, toute cette demeure:
Sans vestige du bourg, tout disparut sur l'heure.
Les vieillards déploroient ces sévères destins :
Les animaux périr! car encor les humains,
Tous avoient dû tomber sous les célestes armes :
Baucis en répandit en secret quelques larmes.

Cependant l'humble toit devient temple, et ses murs
Changent leur frêle enduit en marbres les plus durs.
De pilastres massifs les cloisons revêtues

En moins de deux instans s'élèvent jusqu'aux nues;
Le chaune devient or, tout brille en ce pourpris:
Tous ces événemens sont peints sur les lambris.
Loin, bien loin les tableaux de Zeuxis et d'Appelle!
Ceux-ci furent tracés d'une main immortelle.
Nos deux époux, surpris, étonnés, confondus,
Se crurent, par miracle, en l'Olympe rendus.
Vous comblez, dirent-ils, vos moindres créatures:
Aurions-nous bien le cœur et les mains assez pures
Pour présider ici sur les honneurs divins,
Et, prêtres, vous offrir les vœux des pélerins?
Jupiter exauça leur prière innocente."

Hélas! dit Philémon, si votre main puissante
Vouloit favoriser jusqu'au bout deux mortels,
Ensemble nous mourrions en servant vos autels;
Clothon feroit d'un coup ce double sacrifice;
D'autres mains nous rendroient un vain et triste office:
Je ne pleurerois point celle-ci; ni ses yeux

Ne troubleroient non plus de leurs larmes ces lieux.
Jupiter à ce vœu fut encor favorable..

Mais oserai-je dire un fait presque incroyable?
Un jour qu'assis tous deux dans le sacré parvis
Ils contoient cette histoire aux pélerins ravis,
La troupe à l'entour d'eux debout prêtoit l'oreille:
Philémon leur disoit : ce lieu plein de merveille
N'a

'a pas toujours servi de temple aux immortels:
Un bourg étoit autour, ennemi des autels,
Gens barbares, gens durs, habitacle d'impies:
Du céleste courroux tous furent les hosties.
Il ne resta que nous d'un si triste débris:
Vous en verrez tantôt la suite en nos lambris;
Jupiter l'y peignit. En contant ces annales,
Philémon regardoit Baucis par intervalles;
Elle devenoit arbre et lui tendoit les bras:
Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas;
Il veut parler, l'écorce à sa langue préssée.
L'un et l'autre se dit adieu de la pensée:
Le corps n'est tantôt plus que feuillage et que bois
D'étonnement la troupe, ainsi qu'eux, perd la voix.
Mème instant, même sort à leur fin les entraîne;
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.
On les va voir encore, afin de mériter

Les douceurs qu'en hymen Amour leur fit goûter.
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre.
Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre
Ils s'aiment jusqu'au bout malgré l'effort des ans.

Ah! si.... Mais autre part j'ai porté mes présens,
Célébrons seulement cette inétamorphose
De fidèles témoins m'ayant conté la chose,
Clio me conseilla de l'étendre en ces vers,
Qui pourront quelque jour l'apprendre à l'univers.
Quelque jour ou verra chez les races futures,

Sous l'appui d'un grand nom, passer ces aventures.
Vendôme, consentez au lot que j'en attends;
Faites-moi triompher de l'envie et du temps;
Enchaînez ces démons, que sur nous ils n'attentent,
Ennemis des héros et de ceux qui les chantent.
Je voudrois pouvoir dire en un style assez
haut
Qu'ayant mille vertus, vous n'avez nul défaut.
Toutes les célébrer seroit œuvre infinie:
L'entreprise demande un plus vaste génie;
Car quel mérite enfin ne vous fait estimer?
Sans parler de celui qui force à vous aimer.
Vous joignez à ces dons l'amour des beaux ouvrages,
Vous y joignez un goût plus sûr que nos suffrages;
Don du ciel, qui peut seul tenir lieu des présens,
Que nous font à regret le travail et les ans.
Peu de gens élevés, peu d'autres encor mêine
Font voir par ces faveurs que Jupiter les aime.
Si quelque enfant des dieux les possède, c'est vous;
Je l'ose dans ces vers soutenir devant tous.
Clio, sur son giron, à l'exemple d'Homère,
Vient de les retoucher, attentive à vous plaire:
On dit qu'elle et ses sœurs par l'ordre d'Apollon,
Transportent dans Anet tout le sacré vallon:
Je le crois. Puissions-nous chanter sous les ombrages
Des arbres dont ce lieu va border ses rivages!
Puissent-ils tout d'un coup élever leurs sourcils,
Comme ou vit autrefois Philémon et Baucis!

La Fontaine.

§ 14. 2. Conte. La Matrone d'Ephèse.

S'il est un conte usé, commun et rebattu,
C'est celui qu'en ces vers j'accommode à ma guise.
Et pourquoi donc le choisis-tu?
Qui t'engage à cette entreprise?
N'a-t-elle point déjà produit assez d'écrits?
Qu'elle grace aura ta matrone,

Au prix de celle de Pétrone?
Comment la rendras-tu nouvelle à nos esprits?
Sans répondre aux censeurs, car c'est chose infinie,
Voyons si dans mes vers je l'aurai rajeunie.

Dans Ephèse il fut autrefois
Une dame en sagesse et vertus sans égale,
Et selon la commune voix,

Ayant su raffiner sur l'amour conjugale.
Il n'étoit bruit que d'elle et de sa chasteté;
On l'alloit voir par rareté :

C'étoit l'honneur du sexe: heureuse sa patrie!
Chaque mère à sa bru l'alléguoit pour patron;
Chaque époux la prônoit à sa femme chérie:
D'elle descendent ceux de la prudoterie,
Antique et célèbre maison.

Son mari l'aimoit d'amour folle.
Il mourut. De dire comment,
Ce seroit un détail frivole.

Il mourut: et son testament

N'étoit plein que de legs qui l'auroient consolée,
Si les biens réparoient la perte d'un mari
Amoureux autant que chéri.
Mainte veuve pourtant fait la déchevelée,
Qui n'abandonne pas le soin du demeurant,
Et du bien qu'elle aura fait le compte en pleurant.
Celle-ci, par ses cris, mettoit tout en alarme;
Celle-ci faisoit un vacarme,

Un bruit, et des regrets à percer tous les cœurs,

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