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même pensée pour faire partie d'une autre pensée. Le suivant de Ranchin est un modèle de douceur, de grâce et de simplicité.

Le premier jour du mois de Mai
Fut le plus heureux de ma vie.
Le beau projet que je formai
Le premier jour du mois de Mai!
Je vous vis et je vous aimai, ..
Si ce dessein vous plut, Silvie,..
Le premier jour du mois de Mai
Fut le plus heureux de ma vie.

Les autres espèces d'ancienne poésie Françoise sont la Ballade qui étoit com posée de trois couplets faits sur les mêmes rimes, et qui finissoient tous par les mèmes vers, avec un envoi ; le Lai, qui étoit une poésie plaintive, comme l'annonce le mot même qui signifie en vieux langage complainte, doléance; le Virelai, qui étoit un petit poëme sur deux rimes et en vers courts avec un refrain; la Villanelle, espèce de poésie pastorale, dont tous les couplets finissent par le même refrain, etc. Depuis l'origine de la poésie parmi nous jusqu'aux beaux jours du siècle de Louis XIV, nos poëtes se sont beaucoup exercés dans ces différens genres de poésie dont l'invention leur étoit due; mais des genres dont le principal mérite étoit la difficulté vaincue ne pouvoient pas se soutenir. Aussi furent-ils abandonnés, du moment qu'une raison plus culti-s vée, et le bon goût généralement répandu rendirent plus sensible aux beautés de nos grands poëtes.

Il y a encore deux espèces de petits poëmes qu'il est essentiel de connoître & ce sont l'épigramine et le madrigal. Le nombre et la mesure des vers en sont libres.

- Despréaux caractérise ainsi l'Epigramme.

L'Epigramme plus simple, en son tour plus borné
N'est souvent qu'un bon mot de deux rimes orné.

Marot, Saint-Gelais et Gombaut parmi nos anciens poëtes, et Racine, Despréaux, Pyron et surtout Rousseau parmi nos modernes, sont ceux qui se sont le plus distingués dans ce genre.

Ce petit poëme n'a pas un objet fixe: c'est quelquefois un trait de satire plus ou moins mordant. Telles sont en général toutes celles rapportées p. 274, 275, etc. du 4e livre de vers de cette collection.

Ce n'est quelquefois qu'une pensée dont la fausseté fait tout le sel. Ert voici un exemple.

Blaise voyant à l'agonie

Lucas qui lui devoit cent francs,
Lui dit, toute honte bannie,
Cà payez-moi vite, il est temps.
Laissez-moi mourir à mon aise,
Répondit foiblement Lucas:
Ah! parbleu vous n ne mourrez pas
Que je ne sois payé, dit Blaise.

M

elinck brevisa el 15 toob to usebno ob sa stius SOUS V SC'est souvent un conte plaisant. Telles sont les épigrammes 33e, 356, 99e, 50e, etc. de cette collection.

Mais ce n'est aussi quelquefois qu'une pensée ingénieuse, fine et vive, qui bien loin d'être satyrique est une louange délicate. Les anciens n'attachoient pas toujours à l'épigramme une idée de malignité. On peut voir par l'Anthologie Grecque qu'ils nommoient épigramme tout poëme qui présentoit un sens complet, clairement exprimé et renfermé en peu de mots. Celle que Despréaux a imitée de l'Anthologie est remarquable par la finesse de la pensée. La voici.

Quand la première fois dans le sacré vallon
La troupe des neuf sœurs, par ordre d'Apollon
Lut l'Iliade et l'Odyssée,

Chacune à les louer se montrant empressée,
Apprenez un secret qu'ignore l'univers,
Leur dit alors le dieu des vers;

Jadis avec Homère aux rives du Permesse,
Dans ce bois de lauriers, où seul il me suivoit,
Je les fis toutes deux : plein d'une douce ivresse
Je chantois; Homère écrivoit.

Si ce petit poëme ne renferme qu'une pensée tendre et galante, ou n'exprimé qu'un sentiment doux et délicat, il perd en François le nom d'épigramme pour prendre celui de madrigal. Cette réponse de Pradon à quelqu'un qui lui avoit écrit une lettre pleine d'esprit, en est un charmant.

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Marot a plusieurs madrigaux d'une délicatesse extrême En voici un qu'on a imité et retourné de cent manières, sans pouvoir jamais y donner la méme grâce.

Amour trouva celle qui m'est amère.

(Et j'y étois ; j'en sais bien mieux le conte)
Bon jour, dit-il, bon jour, Vénus ma mère ;
Puis tout à coup il voit qu'il se mécompte,
Dont la couleur au visage lui monte,
D'avoir failli honteux, dieu sait combien :
Non, non, Amour, lui dis-je, n'ayez honte;
Plus claivoyans que vous s'y trompent bien.

En voici un autre où il y a moins d'esprit et plus de sensibilité.

Un jour la dame en qui si fort je pense,
Me dit un mot de moi tant estimé,
Que je ne pus en faire récompense,
Fors de l'avoir en mon cœur imprimé,

Me dit avec un ris accoutumé :

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Je crois qu'il faut qu'à t'aimer je parvienne.,,
Je lui réponds: " n'ai garde qu'il m'advienne
"Un si grand bien, et si j'ose affirmer
"Que je devrois craindre que cela vienne,
"Car j'aime trop quand on me veut aimer."

Celui intitulé le oui et le nenni est encore plus délicat, mais quoiqu'il n'offre rien de choquant dans l'expression, le fonds des idées ne permet pas de le rapporter.

Quoique plusieurs poëtes aient réussi dans le madrigal, aucun n'a égalé Marot. Il étoit réservé au seul Voltaire de porter ce genre à un point de perfection qui ne laisse plus rien à désirer.

On peut rapporter au madrigal l'inscription, le portrait, la chanson galante,

et le billet.

Rien de plus galant et de plus tendre que cette chanson de Marot.

Puisque de vous je n'ai autre visage,

Je m'en vais rendre herinite en un désert,
Pour prier Dieu, si un autre vous sert,
Qu'ainsi que moi, en votre honneur soit sage.
Adieu amour, adieu gentil corsage.
Adieu ce teint, adieu ces frians yeux.
Je n'ai pas eu de vous grand avantage,

Un moins aimaut aura peut être mieux.

Un modèle de billet est celui que Quinault dans la mère coquette fait écrire par Isabelle à Acante, un amant avec qui elle désire d'avoir un éclaircissement.

Je voudrois vous parler et nous voir seuls tous deux;
Je ne conçois pas bien pourquoi je le désire.

Je ne sais ce que je vous veux;

Mais n'avez-vous rien à me dire?

Lévizac.

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ODES HÉROIQUES, MORALES ET ANACREONTIQUES: SCÈNES DRAMATIQUES. ÉPITRES. DISCOURS. SATIRES.

§ 1. Ode à la fortune.

D'EPICURE élève profane,

Je refusois aux dieux des vœux et de l'encens.
Je suivois les égaremens

Des sages insensés qu'aujourd'hui je condamne.
Je reconnois des dieux: c'en est fait: je me rends.

J'ai vu le maître du tonnerre,

Qui, la foudre à la main, se montroit à la terre ;
J'ai vu dans un ciel pur voler l'éclair brillant;
Et les voûtes éternelles

S'embraser des étincelles

Que lançoit Jupiter de son char foudroyant.

Le Styx en a mugi dans sa source profonde:
Du Ténare trois fois les portes ont tremblé.
Des hauteurs de l'Olympe aux fondemens du monde,
L'Atlas a chancelé.

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Elle seule dispense ou la gloire ou l'affront;
Enlève un diadème, et d'un essor rapide,
Le porte sur un autre front.

Déesse d'Antium, ô déesse fatale!

Fortune! à ton pouvoir qui ne se soumet pas?
Tu couvres la pourpre royale

Des crêpes affreux du trépas.

Fortune, ô redoutable reine!

Tu places les humains au trône ou sur l'écueil;
Tu trompes le bonheur, l'espérance et l'orgueil,
Et l'on voit se changer, à ta voix souveraine,
La foiblesse en puissance et le triomphe en deuil.

Le pauvre te demande une moisson féconde,
Et l'avide marchand, sur le gouffre de l'onde,
Rapportant son trésor,

Présente à la fortune, arbitre des orages,
Ses timides hommages,

Et te demande un vent qui le conduise au port.

Le Scythe vagabond, le Dace sanguinaire,
Et le guerrier Latina, conquérant de la terre,
Craint tes funestes coups.
De l'orient soumis les tyrans invisibles,
A tes autels terribles,

L'encensoir à la main, fléchissent les genoux.

Tu peux, (et c'est l'effroi dont leur âme est troublée,) Heurtant de leur grandeur la colonne ébranlée,

Frapper ses demi-dieux;

Et soulevant entre eux la révolte et la guerre,

Cacher dans la poussière

Le trône où leur orgueil crut s'approcher des cieux.

La nécessité cruelle

Toujours marche à ton côté ;
De son sceptre détesté

Frappant la race mortelle.

Cette fille de l'enfer

Porte dans sa main sanglante

Une tenaille brûlante,

Du plomb, des coins et du fer.

L'espérance te suit, compagne plus propice,
Et la fidélité, déesse protectrice,

Au ciel tendant les bras,

Un voile sur le front, accompagne tes pas;
Lorsque annonçant les alarmes,
Sous un vêtement de deuil,
Tu viens occuper le seuil
D'un palais rempli de larmes,
D'où s'éloigne avec effroi,
Et le vulgaire perfide,
Et la courtisane avide,
Et ces convives sans foi,

Qui dans un temps favorable,

Du mortel tout puissant par le sort adopté,
Venoient environner la table

Et s'enivroient du vin de sa prospérité.
Je t'implore à mon tour, déesse redoutée;
Auguste va descendre à cette île indomptée
Qui borne l'univers;

Tandis que nos guerriers vont affronter encore
Ces peuples de l'aurore,

Qui seuls ont repoussé notre joug et nos fers.
Ah! Rome vers les dieux lève des mains coupables,
Ils ne sont point lavés ces forfaits exécrables

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