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Aux rois comme aux bergers vous les reprochez tous:
Aussi ne consulte-t-on guère

De vos tranquilles eaux le fidèle cristal.
On évite de même un ami trop sincère,
Ce déplorable goût est le goût général.
Les leçons font rougir, personne ne les souffre.
Le fourbe veut paroître homme de probité;
Enfin dans cet horrible gouffre

De misère et de vanité.

Je me perds; et plus j'envisage La foiblesse de l'homme et sa malignité, Et moins de la divinité

En lui je reconnois l'image.

Courez, ruisseau, courez, fuyez-nous, reportez
Vos ondes dans le sein des mers dont vous sortez:
Tandis que pour remplir la dure destinée
Où nous sommes assujettis,

Nous irons reporter la vie infortunée

Que le hasard nous a donnée,

Dans le sein du néant d'où nous sommes sortis.

§ 8. 7. Idylle. Le berceau.

La même.

Que j'aime à reposer sous ce berceau paisible!
Le souple chèvre-feuille et le jasmin flexible
Y mêlent aux rosiers leurs jets entrelacés :
Il compte cinq printemps, et déjà son feuillage,
Quand sous les feux du jour les sens sont oppressés
M'offre l'abri de son ombrage.

Asile de la paix, séjour aimé des cieux,
Sous ton dome embelli de feuilles verdoyantes,
Que de tableaux délicieux

Offrent à mon esprit des images riantes

Ou des souvenirs gracieux!

Loin de ces vains plaisirs qui bercent la mollesse,
Loin du séjour des grands qu'enivre la faveur,
Tout à moi, tout aux lois d'une aimable sagesse,
Sur ton émail fleuri je trouve le bonheur.
Mon esprit s'agrandit et mon âme s'épure:
Dans ce temple de la nature,

La volupté sourit à mes sens dégagés
Des prestiges de l'imposture
Et des chaînes des préjugés.

Si d'un œil attentif je cherche à me connoître,
Depuis l'aigle orgueilleux jusqu'au foible ciron,
Rien n'est indifférent, tout est une leçon :

Un ver m'instruit plus sur mon être

Que de vains argumens où se perd la raison.
Le tendre velouté qui pare les prairies,

L'aspect d'un ciel riant, les présens des coteaux,
Le cercle des saisons, le murmure des eaux
Qui baignent ces rives chéries,

Le silence des bois et le chant des oiseaux,
Tout y prête à mes rêveries

Un charme attendrissant et des plaisirs nouveaux.
De quelle volupté mon âme est enivrée'

Dans mon essor audacieux,
M'élevant tout à coup vers la voute azurée,
J'abandonne la terre et d'un œil curieux
Je parcours la plaine éthérée
Et j'ose sur leur marche interroger les cieux.
Où ne m'emporte pas l'élan de la pensée?
Sur des ailes de feu je plane au haut des airs,
Et je découvre, astres divers,

Dans la loi qui vous fut tracée
La puissance du Dieu qui conçut l'univers.
Elle offre à mon esprit un artisan suprême
Aussi simple que grand dans ses vastes desseins:
Le monde n'est plus un problême.
Tout m'annonce qu'il fut créé pour les humains.
C'est pour eux qu'éclatant au centre de sa sphère
L'astre des cieux étend ses réseaux de lumière,
Qu'il réchauffe la terre et la pare de fleurs:
Lorsque, tel qu'un géant, il parcourt sa carrière
Pour qui lanceroit-il ses rayons créateurs?
Seroit-ce pour le tigre ou le lion sauvage
Qui du ciel Africain bravent les feux ardens?
Seroit-ce pour le bouf qu'en un gras paturage
On voit languissamment trainer des pas pesans
Dans leur muette indifférence

Ils tournent vers la terre un œil stupide et lourd,
Aveugles instrumens de la toute-puissance
Du moteur éternel qui leur donna le jour.

C'est en vain que l'aimable aurore
De l'éclat du rubis peint un fond de saphir,
Et que sur les monts qu'elle dore
Elle verse ses pleurs et fixe le zephyr
Dont le souffle embaumé se plaît à rafraîchir
Les brillantes couleurs de la robe de Flore:
En vain la terre s'embellit

Du riche et vif émail que son sein fait éclore;
Tout est perdu pour eux, et l'homme seul jouit.
Berceau chéri, sous ton feuillage
C'est ainsi que l'étude amuse mes loisirs,

Et que libre de soins, exempt de vains désirs,
Sans craindre les écueils où l'homme fait naufrage
Mon cœur aime à jouir, au sein des vrais plaisirs,
Des dons de la nature et de la paix du sage.

L'amitié, d'un air gracieux,

Vient, un livre à la main, quelquefois m'y surprendre.
La joie au fond de l'âme, et le feu dans les yeux,
Je goûte avec transport le plaisir de l'entendre.
Que vous coulez rapidement
Instans délicieux que je passe avec elle !
Dans ses doux entretiens qu'on s'oublie aisément !
La confiance mutuelle

A l'abandon du cœur donne tant d'agrément!
Hélas! pourquoi le temps fuit-il à tire d'aile,
Quand on connoît ainsi le prix du sentiment?
Pourquoi souvent rompt-il une chaîne aussi belle?
O céleste amitié, viens charmer mes loisirs
Dans ce lieu que la paix a choisi pour asile;
Viens-y: sous ce berceau, retraite des plaisirs,
Tu jouiras des dons d'un ciel pur et tranquille,
Des mœurs de l'âge d'or et de l'égalité,
D'un repos enchanteur et de la liberté.
Ici ne sifflent pas les serpens de l'envie:
Et dans les doux transports qu'inspire la gaité,
On peut boire l'oubli du songe de la vie.

Heureux qui vit en paix dans les champs paternels!
Amant de la nature, il a des jours prospères:
Il foule sous ses pieds les erreurs des mortels,
Et le néant de leurs chimères;

Et
que lui fait l'éclat de leurs biens éphémères?
Qu'est à ses yeux leur frêle et rapide beauté ?
Peut-elle déguiser l'excès de leurs misères
Sous le masque trompeur de la félicité?
Son cœur, ami de l'ordre, aime la vérité.
Il voit fuir loin de lui les chagrins qui s'envolent,
Et des maux de l'humanité

Compagnes de ses pas les vertus le consolent.
C'est pour
lui que
le ciel verse ses doux présens.
Puissé-je, ô mon berceau, sur l'hiver de mes ans,
Reposer sous ton ombre, y respirer encore

Les parfums dont les fleurs embaument le printemps,
Et dans l'heureux oubli du temps qui tout dévore,
Amuser mes derniers instans

Du souvenir de mon aurore.

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EG LOGUES.

M. de Lévizac.

10. 1. Eglogue. Climène.

Tircis étoit touché des attraits de Climène,
Sans que d'aucun espoir il pût flatter sa peine:
Ce berger accablé de son mortel ennui

Ne se plaisoit qu'aux lieux aussi tristes que lui.
Errant à la merci de ses inquiétudes

Sa douleur l'entraînoit aux noires solitudes:
Et des tendres accens de sa mourante voix,
Il faisoit retentir les rochers et les bois.

Climène, disoit-il, ô trop belle Climène,
Vous surpassez autant les nymphes de la Seine,
Que ces chênes hautains, et si verts et si beaux,
Des humides marais surpassent les roseaux.
Votre divin esprit, votre beauté divine

Du plus pur sang des dieux marquent votre origine.
Le soleil qui voit tout, et qui nous fait tout voir,
N'eut jamais tant que vous d'éclat ni de pouvoir.
Où vous portez les yeux les forêts severdissent;
Où vous disparoissez, toutes choses languissent;
Les fleurs ne peuvent naître ailleurs que sous vos pas.
Et le printemps n'est point où l'on ne vous voit pas.
Où peut-on voir qu'en vous, ces œillets et ces lis
Qui paroissent toujours nouvellement cueillis ?
Mais plus ces doux attraits vous rendent adorable,
Plus ces attraits si doux me rendent misérable;
Si vous considérez tant de charmes divers
Comme autant de sujets de mépriser mes vers.
De votre belle bouche une seule parole

M'est ce qu'au voyageur est l'herbe fraîche et molle.
Je ne m'en dédis point, je n'aimerai que vous.
Mais Iris m'assuroit d'un empire plus doux ;
Et je me sens si las de votre tyrannie,

Que j'ai presque regret à la fière Uranie.
J'ai regret à Philis, encor qu'elle aime mieux
L'indiscret Alidor, la honte de ces lieux;
Qu'elle soit mille fois plus changeante que l'onde;
Qu'elle soit brune encore, et que vous soyez blonde.
Hélas! de vains désirs si long-temps enflammé,
Faut-il toujours aimer où l'on n'est point aimé ?
Hélas! de quel espoir est ma faute suivie,
Si lorsque dans les pleurs je consume ma vie,
Celle pour qui je souffre un sort si rigoureux
Trouve tant de plaisir à me voir malheureux?
En mille et mille lieux de ces rives champêtres
J'ai gravé son beau nom sur l'écorce des hêtres;
Sans qu'on s'en aperçoive il croîtra chaque jour:
Hélas! sans qu'elle y songe ainsi croît mon amour!
Pour éclairer autrui comme un flambeau s'allume,
Pour en servir une autre ainsi je me consume.
Ah! si du même trait dont mon cœur est blessé....
Mais ne poursuivons point ce discours insensé.
Je serai trop heureux, belle et jeune Climène,
S'il vous plaît seulement consentir à ma peine.
N'ai-je point quelque agneau dont vous ayez désir?

Vous l'aurez aussitôt: vous n'avez qu'à choisir ;
Et si Pan le défend de tout regard funeste,
Aux yeux des enchanteurs j'abandonne le reste.
Pan à soin des brebis, Pan a soin des pasteurs,
Et Pan me peut venger de toutes vos rigueurs.
Il aime, je le sais, il aime ma musette:
De mes rustiques airs aucun il ne rejète;
Et la chaste Pallas, race du roi des dieux,
A trouvé quelquefois mon chant mélodieux,
Sous ses feuillages verts venez, venez m'entendre;
Si ma chanson vous plaît, je vous la veux apprendre.
Que n'eût point fait Iris pour en apprendre autant ?
Iris que j'abandonne, Iris qui m'aimoit tant!
Si vous vouliez venir, ô miracle des belles;
Je vous enseignerois un nid de tourterelles;
Je veux vous les donner pour gage de ma foi,
Car on dit qu'elles sont fidèles comme moi.
Clinène, il ne faut point mépriser nos bocages;
Les dieux ont autrefois aimé nos pâturages,
Et leurs divines mains, aux rivages des eaux,
Ont porté la houlette, et conduit les troupeaux.
L'aimable déité qu'on adore à Cythère,
Du berger Adonis se faisoit la bergère;
Hélène aima Pâris, et Pâris fut berger.
Et berger on le vit les déesses juger.

Quiconque sait aimer peut devenir aimable:
Tel fut toujours d'amour l'arrêt irrévocable;
Hélas! et pour moi seul change-t-il cette loi?
Rien n'ain.e tant que vous, rien n'aime comme moi.

Segrais.

§ 11. 2. Eglogue. Ismène.

Sur la fin d'un beau jour, au bord d'une fontaine,
Corilas sans témoins entretenoit Ismène:

Elle aimoit en secret, et souvent Corilas

Se plaignoit des rigueurs qu'on ne lui marquoit pas.
Soyez content de moi, lui disoit la bergère;
Tout ce qui vient de vous est en droit de me plaire.
J'entends avec transport les airs que vous chantez;
J'aime à garder les fleurs que vous me présentez.
Si vous avez écrit mon nom sur quelque hêtre,
Aux traits de votre main j'aime à vous reconnoître;
Pourriez-vous bien encor ne vous pas croire heureux?
Mais n'ayons point d'amour, il est trop dangereux.

Je veux bien vous promettre une amitié plus tendre,
Que ne seroit l'amour que vous pourriez prétendre:
Nous passerons les jours dans nos doux entretiens,
Vos troupeaux me seront aussi chers que les miens.
Si de vos fruits pour moi vous cueillez les prémices,
Vous urez de ces fleurs dont je fais mes délices;
Notre amitié peut-être aura l'air amoureux;
Mais n'ayons pas d'amour, il est trop dangereux.
Dieux, disoit le berger, quelle est ma récompense!

Vous ne me marquerez aucune préférence:
Avec cette amitié dont vous flattez mes maux
Vous vous plairez encore au chant de mes rivaux,
Je ne connois que trop votre humeur complaisante;
Vous aurez avec eux la douceur qui m'enchante,
Et ces vifs agrémens et ces souris flatteurs,
Que devroient ignorer tous les autres pasteurs.
Ah! plutôt mille fois...Non, non, répondoit-elle,
Ismène à vos yeux seuls voudra paroître belle.
Ces légers agrémens que vous avez trouvés,
Ces obligeans souris vous seront réservés ;

Je n'écouterai point, sans contrainte et sans peine
Les chants de vos rivaux, fussent-ils pleins d'Ismène,
Vous serez satisfait de mes rigueurs pour eux :
Mais n'ayons point d'amour, il est trop dangereux.
Eh bien reprenoit-il, ce sera mon partage
D'avoir sur mes rivaux quelque foible avantage:
Vous savez que leurs cœurs vous sont moins assurés,
Moins acquis que le mien: et vous ne préférez:
Tout autre l'auroit fait, mais enfin dans l'absence
Vous n'aurez de me voir aucune impatience:
Tout vous pourra fournir un assez doux emploi,
Et vous trouverez bien la fin des jours sans moi. '
Vous me connoissez mal, ou vous feignez peut-être,
Dit-elle tendrement, de ne me pas connoître:
Croyez-moi, Corilas, je n'ai pas le bonheur
De regretter si peu ce qui flattoit mon cœur.
Vous partîtes d'ici quand la moisson fut faite :
Eh! qui ne s'aperçut que j'étois inquiète ?.
La jalouse Doris, pour me lé reprocher,
Parmi trente pasteurs vint exprès me chercher.
Que j'en sentis contre elle une vive colère !
On vous l'a raconté, n'en faites point mystère:
Je sais combien l'absence est un temps rigoureux.
Mais n'ayons point d'amour, il est trop dangereux.
Qu'auroit dit d'avantage une bergère amante;
Le mot d'amour manquoit, Ismène étoit contente.
A peine le berger en espéroit-il tant?

Mais sans le mot d'amour il n'étoit point content.
Enfin pour obtenir ce mot qu'on lui refuse,
Il songe à se servir d'une innocente ruse.
Il faut vous obéir, Ismène, et dès ce jour,
Dit-il en soupirant, ne parler plus d'amour.
Puis qu'à votre repos l'amitié ne peut nuire,
A la simple amitié mon cœur va se réduire :
Mais la jeune Doris, vous n'en sauriez douter,
Si j'étois son amant, voudroit bien m'écouter.
Ses yeux m'ont dit cent fois: Corilas, quitte Ismene,
Viens ici, Corilas, qu'un doux espoir t'amène.
Mais les yeux les plus beaux m'appeloient vainement;
J'aimois Ismène alors comme un fidèle amant.
Maintenant cet amour que votre cœur rejète,
Ces soins trop empressés, cette ardeur inquiète,
Je les porte à Doris, et je garde pour vous
Tout ce que l'amitié peut avoir de plus doux.
Vous ne me dites rien? Ismène à ce langage
Demeuroit interdite, et changeoit de visage.
Pour cacher sa rougeur, elle voulut en vain
Se servir avec art d'un voile ou de sa main;
Elle n'empêcha pas son trouble de paroître:
En quels charines alors le berger vit-il naître ?
Corilas, lui dit-elle, en détournant les yeux,
Nous devions fuir l'amour, et c'eût été le mieux:
Mais puisque l'amitié vous paroît trop paisible,
Qu'à moins que d'être amant vous êtes insensible,
Que la fidélité n'est chez vous qu'à ce prix,
Je m'expose à l'amour, et n'aimez point Doris.

Fontenelle.

12. 3. Eglogue. Combat pastoral.
LICAS, ATIS.

Licas que le désir de connoître la ville

Éloigna quelque temps d'un séjour plus tranquille,
Y revenoit enfin, plus fier d'avoir appris

A mêler dans ses airs des tours fins et fleuris

T. III. p. 4.

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