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Ces eaux* bondissantes,
Ces ombrages frais,

Sont des dons de ses mains bienfaisantes.
De ces lieux l'éclat et les attraits
Sont des fruits de ses bienfaits.

Il veut bien quelquefois visiter nos bocages;
Nos jardins ne lui déplaisent pas.
Arbres épare, redoublez vos ombrages.
Fleurs, naissez sous ses pas.

O ciel, ô saintes destinées,
Qui prenez soin de ses jours florissans,
Retranchez de nos ans

Pour ajouter à ses années!

Que le cours de ses ans dure autant que le cours
De la Seine et de la Loire.

Qu'il règne ce héros, qu'il triomphe toujours.
Qu'il vive autant que sa gloire.

§ 4. 2. Idylle. Les Moutons.

Racine.

Hélas, petits moutons, que vous êtes heureux,
Vous paissez dans nos champs sans souci, sans alarmes,
Aussitôt aimés qu'amoureux!

On ne vous force point à répandre des larmes;
Vous ne formez jamais d'inutiles désirs,

Dans vos tranquilles cœurs l'amour suit la nature,
Sans ressentir ses maux vous avez ses plaisirs,

L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture,

Qui font tant de maux parmi nous,
Ne se rencontrent point chez vous.
Cependant nous avons la raison pour partage,
Et vous en ignorez l'usage.

Innocens animaux, n'en soyez point jaloux,
Ce n'est pas un grand avantage.
Cette fière raison dont on fait tant de bruit,
Contre les passions n'est pas un sûr remède..
Un
peu de vin la trouble, un enfant la séduit;
Et déchirer un cœur qui l'appelle à son aide,
Est tout l'effet qu'elle produit.
Toujours impuissante et sévère,
Elle s'oppose à tout, et ne surmonte rien.
Sous la garde de votre chien,

Vous devez beaucoup moins redouter la colère
Des loups cruels et ravissans,

Que sous l'autorité d'une telle chimère

Nous ne devons craindre nos sens.

Ne vaudroit-il pas mieux vivre comme vous faites
Dans une douce oisiveté ?

Ne vaudroit-il pas mieux être comme vous êtes
Dans une heureuse obscurité,
Que d'avoir, sans tranquillité,
Des richesses, de la naissance,
De l'esprit et de la beauté?

Ces prétendus trésors dont on fait vanité

Valent moins que votre indolence.

Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels:
Par eux plus d'un remords nous ronge :
Nous voulons les rendre éternels,

Sans songer qu'eux et nous passerons comme un songe.
Il n'est dans ce vaste univers

* La Cascade de Sceaux.

Rien d'assuré, rien de solide;

Des choses d'ici-bas la fortune décide

Selon ses caprices divers.

Tout l'effort de notre prudence

Ne peut nous dérober au moindre de ses coups.
Paissez, moutons, paissez, sans règle et sans science:
Malgré la trompeuse apparence,

Vous êtes plus heureux et plus sages que nous.

Mde. Deshoulières.

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Dans ces prés fleuris Qu'arrose la Seine, Cherchez qui vous mène, Mes chères brebis. J'ai fait pour vous rendre Le destin plus doux, Ce qu'on peut attendre D'une amitié tendre; Mais son long courroux Détruit, empoisonne Tous mes soins pour vous; Et vous abandonne Aux fureurs des loups. Seriez-vous leur proie, Aimable troupeau! Vous de ce hameau L'honneur et la joie, Vous qui gras et beau Me donniez sans cesse, Sur l'herbette épaisse, Un plaisir nouveau. Que je vous regrette! Mais il faut céder; Sans chien, sans houlette Puis-je vous garder? L'injuste fortune Me les a ravis. En vain j'importune Le ciel par mes cris; Il rit de mes craintes, Et sourd à mes plaintes, Houlette ni chien, Il ne me rend rien. Puissiez-vous, contentes Et sans mon secours,

Passer d'heureux jours,
Brebis innocentes,

Brebis mes amours.

Que Pan vous défende; Hélas! il le sait, Je ne lui demande Que ce seul bienfait. Qui, brebis chéries, Qu'avec tant de soin J'ai toujours nourries, Je prends à témoin Ces bois, ces prairies, Que si les faveurs Du dieu des pasteurs Vous gardent d'outrages, Et vous font avoir Du matin au soir De gras paturages, J'en conserverai Tant que je vivrai La douce mémoire, Et que mes chansons, En mille façons, Porteront sa gloire, Du rivage heureux, Où, vif et pompeux, L'astre qui mesure Les nuits et les jours, Commençant son cours, Rend à la nature Toute sa parure, Jusqu'en ces climats Où, sans doute las D'éclairer le monde, Il va chez Thétis, Rallumer dans l'onde Ses feux amortis.

La même.

§ 6. 4. Idylle. Les oiseaux.

L'air n'est plus obscurci par des brouillards épais,
Les prés font éclater les couleurs les plus vives,
Et dans leurs humides palais

L'hiver ne retient plus les Naïades captives.
Les bergers accordant leur musette à leur voix,
D'un pied léger foulent l'herbe naissante;
Les troupeaux ne sont plus sous leurs rustiques toits:
Mille et mille oiseaux à la fois,

Ranimant leur voix languissante,

Réveillent les échos endormis dans ces bois.

Où brilloient les glaçons, on voit naître les roses.

Quel dieu chasse l'horreur qui régnoit dans ces lieux?
Quel dieu les embellit? le plus petit des dieux

T. III. p. 4.

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Fait seul tant de métamorphoses.

Il fournit au printemps tout ce qu'il a d'appas:
Si l'amour ne s'en mêloit pas,
On verroit périr toutes choses.
Il est l'âme de l'univers;

Comme il triomphe des hivers

Qui désolent nos champs par une rude guerre,
D'un cœur indifférent il bannit les froideurs.
L'indifférence est pour les cœurs,

Ce que l'hiver est pour la terre.
Què nous servent, hélas, de si douces leçons?
Tous les ans la nature en vain les renouvelle,

Loin de la croire, à peine nous naissons,
Qu'on nous apprend à combattre contre elle.
Nous aimons mieux, par un bizarre choix,
Ingrats esclaves que nous sommes,
Suivre ce qu'inventa le caprice des hommes,
Que d'obéir à nos premières lois.
Que votre sort est différent du nôtre,
Petits oiseaux, qui me charmez !

Voulez-vous aimer, vous aimez :

Un lieu vous déplaît-il, vous passez dans un autre:
On ne connoît chez vous ni vertus, ni défauts;
Vous paroissez toujours sous le même plumage;
Et jamais dans les bois on n'a vu les corbeaux
Des rossignols emprunter le ramage.
Il n'est de sincère langage,

Il n'est de liberté que chez les animaux.
L'usage, le devoir, l'austère bienséance,
Tout exige de nous des droits dont je me plains:
Et tout enfin du cœur des perfides humains
Ne laisse voir que l'apparence.

Contre nos trahisons la nature en courroux,

Ne nous donne plus rien sans peine.
Nous cultivons les vergers et la plaine,
Tandis, petits oiseaux, qu'elle fait tout pour vous.
Les filets qu'on vous tend sont la seule infortune
Que vous avez à redouter:

Cette crainte nous est commune,

Sur notre liberté chacun veut attenter:

Par des dehors trompeurs on tâche à nous surprendre.
Hélas, pauvres petits oiseaux,

Des ruses du chasseur songez à vous défendre!

Vivre dans la contrainte est le plus grand des maux.

§7. 5. Idylle. Les fleurs.

La même.

Que votre éclat est peu durable,
Charmantes fleurs, honneur de nos jardins!
Souvent un jour commence et finit vos destins,
Et le sort le plus favorable

Ne vous laisse briller que deux ou trois matins.
Ah! consolez-vous-en, jonquilles, tubéreuses,
Vous vivez peu de jours, mais vous vivez heureuses;
Les médisans, ni les jaloux,

Ne gênent point l'innocente tendresse
Que le printemps fait naître entre Zéphire et vous.
Jamais trop de délicatesse

Ne mêle d'amertume à vos plus doux plaisirs.
Que pour d'autres que vous il pousse des soupirs,
Que loin de vous il folâtre sans cesse ;
Vous ne ressentez point la mortelle tristesse
Qui dévore les tendres cœurs,
Lorsque pleins d'une ardeur extrême,

On voit l'ingrat objet qu'on aime
Manquer d'empressement, ou s'engager ailleurs.
Pour plaire, vous n'avez seulement qu'à paroître.
Plus heureuses que nous, ce n'est que le trépas
Qui vous fait perdre vos appas;

Plus heureuses que nous, vous mourez pour renaître.
Tristes réflexions, inutiles souhaits,

Quand une fois nous cessons d'être,

Aimables fleurs, c'est pour jamais!
Un redoutable instant nous détruit sans réserve:
On ne voit au-delà qu'un obscur avenir.
A peine de nos noms un léger souvenir

Parmi les hommes se conserve.

Nous rentrons pour toujours dans le profond repos
D'où nous a tirés la nature;

Dans cette affreuse nuit qui confond les héros
Avec le lâche et le parjure,

Et dont les fiers destins, par de cruelles lois,
Ne laissent sortir qu'une fois.

Mais, hélas! pour vouloir revivre,
La vie est-elle un bien si doux?

Quand nous l'aimons tant, songeons-nous

De combien de chagrins sa perte nous délivre ?
Elle n'est qu'un amas de craintes, de douleurs,
De travaux, de soucis, de peines.
Pour qui connoît les misères humaines,
Mourir n'est pas le plus grand des malheurs.
Cependant, agréables fleurs,

Par des liens honteux attachés à la vie,

Elle fait seule tous nos soins;
Et nous ne vous portons envie,

Que par où nous devons vous envier le moins.

§ 8. 6. Idylle. Le Ruisseau.

Ruisseau, nous paroissons avoir un même sort:
D'un cours précipité nous allons l'un et l'autre,
Vous à la mer, nous à la mort.

La même.

Mais, hélas, que d'ailleurs je vois peu de rapport
Entre votre course et la nôtre !

Vous vous abandonnez sans remords, sans terreur,
A votre pente naturelle,

Point de loi parmi vous ne la rend criminelle.
La vieillesse chez vous n'a rien qui fasse horreur.
Près de la fin de votre course,

Vous êtes plus fort et plus beau
Que vous n'êtes à votre source;

Vous retrouvez toujours quelque agrément nouveau.
Si de ces paisibles bocages

La fraicheur de vos eaux augmente les appas,
Votre bienfait ne se perd pas :

Par de délicieux ombrages,
Ils embellissent vos rivages.

Sur un sable brillant, entre des prés fleuris,
Coule votre onde toujours pure,

Mille et mille poissons dans votre sein nourris,
Ne vous attirent point de chagrins, de mépris:
Avec tant de bonheur d'où vient votre murmure?
Hélas, votre sort est si doux!

Taisez-vous, ruisseau, c'est à nous
A nous plaindre de la nature.

De tant de passions que nourrit notre cœur,
Apprenez qu'il n'en est pas une

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Qui ne traîne après soi le trouble, la douleur,

Le repentir, ou l'infortune.
Elles déchirent nuit et jour

Les cœurs dont elles sont maîtresses;
Mais de ces fatales foiblesses

La plus à craindre, c'est l'amour;
Ses douceurs même sont cruelles.

Elles font cependant l'objet de tous les vœux,
Tous les autres plaisirs ne touchent point sans elles;
Mais des plus ferts liens le temps use les nœuds,
Et le cœur le plus amoureux,

Devient tranquille, ou passe à des amours nouvelles.
Ruisseau, que vous êtes heureux!

Il n'est point parmi vous de ruisseaux infidèles.
Lorsque les ordres absolus

De l'Etre indépendant qui gouverne le monde,
Font qu'un autre ruisseau se mêle avec votre onde:
Quand vous êtes unis, vous ne vous quittez plus.
A ce que vous voulez jamais il ne s'oppose,

Dans votre sein il cherche à s'abimer:
Vous et lui jusques à la mer

Nous n'êtes qu'une même chose.
De toutes sortes d'unions

Que notre vie est éloignée !

De trahisons, d'horreurs et de dissentions,
Elle est toujours accompagnée.

Qu'avez-vous mérité, ruisseau tranquille et doux,
Pour être mieux traité que nous ?

Qu'on ne me vante point ces biens imaginaires,
Ces prérogatives, ces droits,

Qu'inventa notre orgueil pour masquer nos misères:
C'est lui seul qui nous dit que par un juste choix
Le ciel mit, en formant les hommes

Les autres êtres sous leurs lois.

A ne nous point flatter, nous sommes
Leurs tyrans plutôt que leurs rois.
Pourquoi vous mettre à la torture?

Pourquoi vous renfermer dans cent canaux divers?
Et pourquoi renverser l'ordre de la nature, -, ot
En vous forçant à jaillir dans les airs?.
Si tout doit obéir à nos ordres suprêmes,

Si tout est fait pour nous, s'il ne faut que vouloir,
Que n'employons-nous mieux ce souverain pouvoir ?
Que ne régnons-nous sur nous-mêmes?
Mais, hélas! de ses sens esclave malheureux,
L'homme ose se dire le maître

Des animaux, qui sont peut-être

Plus libres qu'il ne l'est, plus doux, plus généreux; Et dont la foiblesse a fait naître

Cet empire insolent qu'il usurpe sur eux.

Mais que fais-je! où va me conduire

La pitié des rigueurs dont contre eux nous usons?
Ai-je quelque espoir de détruire

Des erreurs où nous nous plaisons?
Non, pour l'orgueil et pour les injustices
Le cœur humain semble être fait.

Tandis qu'on se pardonne aisément tous les vices,
On n'en peut souffrir le portrait.
Hélas, on n'a plus rien à craindre!
Les vices n'ont plus de censeurs;

Le monde n'est rempli que de lâches flatteurs:
Savoir vivre, c'est savoir feindre.

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Ruisseau, ce n'est plus que chez vous
Qu'on trouve encor de la franchise;
voit la laideur ou la beauté qu'en nous
La bizarre nature a mise,

Aucun défaut ne s'y déguise;

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