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Qui dans mon sang trempe ses mains?
Et je pourrai forcer ma bouche
A louer un héros farouche,
Né pour le malheur des humains?

Quels traits me présentent vos fastes,
Impitoyables conquérans?

Des vœux outrés, des projets vastes,
Des rois vaincus par des tyrans,
Des murs que la flamme ravage,
Des vainqueurs fumans de carnage,
Un peuple au fer abandonné,
Des mères pâles et sanglantes
Arrachant leurs filles tremblantes
Des bras d'un soldat effréné.

Juges insensés que nous sommes,
Nous admirons de tels exploits!
Est-ce donc le malheur des hommes
Qui fait la vertu des grands rois?
Leur gloire, féconde en ruines,
Sans le meurtre et sans les rapines
Ne sauroit-elle subsister?
Images des dieux sur la terre,
Est-ce par des coups de tonnerre
Que leur grandeur doit éclater?

Mais je veux que dans les alarmes
Réside le solide honneur:

Quel vainqueur ne doit qu'à ses armes
Ses triomphes et son bonheur?
Tel qu'on nous vante dans l'histoire
Doit peut-être toute sa gloire
A la honte de son rival:
L'inexpérience indocile
Du compagnon de Paul Emile
Fit tout le succès d'Annibal.

Quel est donc le héros solide
Dont la gloire ne soit qu'à lui?
C'est un roi que l'équité guide,
Et dont les vertus sont l'appui;
Qui, prenant Titus pour modèle,
Du bonheur d'un peuple fidèle
Fait le plus cher de ses souhaits;
Qui fuit la basse flatterie;
Et qui, père de sa patrie,
Compte ses jours par ses bienfaits.

Vous chez qui la guerrière audace
Tient lieu de toutes les vertus,
Concevez Socrate à la place
Du fier meurtrier de Clytus;
Vous verrez un roi respectable,
Humain, généreux, équitable,
Un roi digne de vos autels:
Mais, à la place de Socrate,

Le fameux vainqueur de l'Euphrate Sera le dernier des mortels.

Héros cruels et sanguinaires,
Cessez de vous enorgueillir
De ces lauriers imaginaires
Que Bellone vous fit cueillir.
En vain le destructeur rapide
De Marc-Antoine et de Lépide
Remplissoit l'univers d'horreurs :
Il n'eût point eu le nom d'Auguste
Sans cet empire heureux et juste
Qui fit oublier ses fureurs.

Montrez-nous, guerriers magnanimes,
Votre vertu dans tout son jour:
Voyons comment vos cœurs sublimes
Du sort soutiendront le retour.
Tant que sa faveur vous seconde,
Vous êtes les maîtres du monde,
Votre gloire nous éblouit :
Mais, au moindre revers funeste,
Le masque tombe; l'homme reste;
Et le héros s'évanouit.

L'effort d'une vertu commune
Suffit pour faire un conquérant:
Celui qui dompte la fortune
Mérite seul le nom de grand.
Il perd sa volage assistance
Sans rien perdre de la constance
Dont il vit ses honneurs accrus;
Et sa grande âme ne s'altère
Ni des triomphes de Tibère,
Ni des disgrâces de Varus.

La joie imprudente et légère
Chez lui ne trouve point d'accès,
Et sa crainte active modère
L'ivresse des heureux succès.
Si la fortune le traverse,
Sa constante vertu s'exerce
Dans ces obstacles passagers.
Le bonheur peut avoir son terme;
Mais la sagesse est toujours ferme,
Et les destins toujours légers.

En vain une fière déesse
D'Enée a résolu la mort;
Ton secours, puissante sagesse,
Triomphe des dieux et du sort.
Par toi Rome, après son naufrage,
Jusque dans les murs de Carthage
Vengea le sang de ses guerriers,
Et, suivant tes divines traces,
Vit, au plus fort de ses disgrâces,
Changer ses cyprès en lauriers.

Le même.

§ 10. Ode sur la mort du Prince de Conti.

Peuples, dont la douleur aux larmes obstinée
De ce prince chéri déplore le trépas,
Approchez, et voyez quelle est la destinée

Des grandeurs d'ici-bas.

Conti n'est plus, ô ciel! ses vertus, son courage,
La sublime valeur, le zèle pour son roi,
N'ont pu le garantir, au milieu de son âge,
De la commune loi.

Il n'est plus; et les dieux, én des temps si funestes,
N' nt fait que le montrer aux regards des mortels.
Soumettons-nous. Allons porter ses tristes restes
Au pied de leurs autels.

Elevons à sa cendre un monument célèbre:
Que le jour de la nuit emprunte les couleurs.
Soupirons, gémissons sur ce tombeau funèbre,
Arrosé de nos pleurs.

Mais que dis-je? ah! plutôt à sa vertu suprême
Consacrons un hommage et plus noble et plus doux.
Ce héros n'est point mort; le plus beau de lui-même
Vit encor parmi nous.

Ce qu'il eut de mortel s'éclipse à notre vue:
Mais de ses actions le visible flambeau,

Son nom, sa renominée en cent lieux épandue,
Triomphent du to:nbeau.

En dépit de la mort, l'image de son âme,
Ses talens, ses vertus vivantes dans nos cœurs,
Y peignent ce héros avec des traits de flamme,
De la Parque vainqueurs.

Steinkerque, où sa valeur rappela la victoire,
Nervinde, où ses efforts guidèrent nos exploits,
Eternisent sa vie, aussi bien que la gloire
De l'empire François.

Ne murmurons donc plus contre les destinées,
Qui livrent sa jeunesse au ciseau d'Atropos;
Et ne mesurons point au nombre des années
La course des héros.

Pour qui compte les jours d'une vie inutile,
L'âge du vieux Priam passe celui d'Hector;
Pour qui compte les faits, les ans du jeune Achille
L'égalent à Nestor.

Voici, voici le temps où, libres de contrainte,
Nos voix peuvent pour lui signaler leurs accens:
Je puis à mon héros, sans bassesse et sans crainte,
Prodiguer mon encens.

Muses, préparez-lui votre plus riche offrande;
Placez son nom fameux entre les plus grands noms:
Rien ne peut plus faner l'immortelle guirlande
Dont nous le couronnons.

Oui, cher prince, ta mort, de tant de pleurs suivie,
Met le comble aux grandeurs dont tu fus revêtu,
Et sauve des écueils d'une plus longue vie

Ta gloire et ta vertu.

Au faîte des honneurs, un vainqueur indomptable
Voit souvent ses lauriers se flétrir dans ses mains.
La mort, la seule mort met le sceau véritable
Aux grandeurs des humains.

Combien avons-nous vu d'éloges unanimes
Condamnés, démentis par un honteux retour!

Et combien de héros glorieux, magnanimes,
Ont vécu trop d'un jour !

Du midi jusqu'à l'ourse on vantoit ce monarque
Qui remplit tout le nord de tumulte et de sang.
Il fuit; sa gloire tombe, et le destin lui marque
Son véritable rang.

Ce n'est plus ce héros guidé par la victoire,
Par qui tous les guerriers alloient ètre effacés:
C'est un nouveau Pyrrhus, qui va grossir l'histoire
Des fameux insensés.

Ainsi de ses bienfaits la fortune se venge.
Mortels, défions-nous d'un sort toujours heureux;
Et de nos ennemis songeons que la louange
Est le plus dangereux.

Jadis tous les humains, errant à l'aventure,
A leur sauvage instinct vivoient abandonnés,
Satisfaits d'assouvir de l'aveugle nature
Les besoins effrénés:

La raison, fléchissant leurs humeurs indociles,
De la société vint former les liens,

Et bientôt rassembla sous de communs asiles
Les premiers citoyens.

Pour assurer entre eux la paix et l'innocence,
Les lois firent alors éclater leur pouvoir,
Sur des tables d'airain l'audace et la licence
Apprirent leur devoir.

Mais il falloit encor, pour étonner le crime,
Toujours contre les lois prompt à se révolter,
Que des chefs, revêtus d'un pouvoir légitime,
Les fissent respecteṛ.

Ainsi, pour le maintien de ces lois salutaires,
Du peuple entre vos mains le pouvoir fut remis,
Rois; vous fûtes élus sacrés dépositaires
Du glaive de Thémis.

Puisse en vous la vertu faire luire sans cesse
De la divinité les rayons glorieux!

Partagez ces tributs d'amour et de tendresse
Que nous offrons aux dieux.

Mais chassez loin de vous la basse flatterie,
Qui, cherchant à souiller la bonté de vos mœurs,
Par cent détours obscurs s'ouvre avec industrie
La porte de vos cœurs.

Le pauvre est à couvert de ses ruses obliques:
Orgueilleuse, elle suit la poupre et les faisceaux;
Serpent contagieux, qui des sources publiques
Empoisonne les eaux.

Craignez que de sa voix les trompeuses délices
N'assoupissent enfin votre foible raison;
De cette enchantéresse osez, nouveaux Ulysses,
Rejeter le poison.

Némésis vous observe, et frémit des blasphêmes
Dont rougit à vos yeux l'aimable vérité:
N'attirez point sur vous, trop épris de vous-mêmes,
Sa terrible équité.

C'est elle dont les yeux, certains, inévitables,
Percent tous les replis de nos cœurs insensés;
Et nous lui répondons des éloges coupables
Qui nous sont adressés.

Des châtimens du ciel implacable ministre,
De l'équité trahie elle venge les droits:
Et voici les arrêts dont sa bouche sinistre
Epouvante les rois:

Ecoutez, et tremblez, idoles de la terre:
D'un encens usurpé Jupiter est jaloux;
Vos flatteurs dans ses mains allument le tonperre
Qui s'élève sur vous.

Il détruira leur culte; il brisera l'image
A qui sacrifioient ces faux adorateurs ;
Et punira sur vous le détestable hommage
De vos adulateurs.

Moi, je préparerai les vengeances célestes:
Je livrerai vos jours au démon de l'orgueil,
Qui, par vos propres mains, de vos grandeurs funestes
Creusera le cercueil.

Vous n'écouterez plus la voix de la sagesse;
Et, dans tous vos conseils, l'aveugle vanité,
L'esprit d'enchantement, de vertige et d'ivresse,
Tiendra lieu de clarté.

Sous les noms spécieux de zèle et de justice
Vous vous déguiserez les plus noirs attentats;
Vous couvrirez de fleurs les bords du précipice
Qui s'ouvre sous vos pas.

Mais enfin votre chute, à vos yeux déguisée,
Aura ces mêmes yeux pour tristes spectateurs,
Et votre abaissement servira de risée

A vos propres flatteurs.

De cet oracle affreux tu n'as point à te plaindre,
Cher prince; ton éclat n'a point su t'abuser:
Ennemi des flatteurs, à force de les craindre
Tu sus les mépriser.

Aussi la renommée, en publiant ta gloire,
Ne sera point soumise à ces fameux revers:
Les dieux t'ont laissé vivre assez pour ta mémoire,
Trop peu pour l'univers.

§ 11. Ode à la Paix.

Le même.

O Paix, tranquille paix, secourable immortelle,
Fille de l'harmonie et mère des plaisirs,
Que fais-tu dans les cieux, tandis que de Cybèle
Les sujets désolés t'adressent leurs soupirs?

Si par l'ambition de la terre bannie,
Tu crois devoir ta haine à tes profanateurs,
Que t'a fait l'innocence injustement punie
De l'inhumanité de ses persécuteurs?

Equitable déesse, entends nos voix plaintives;
Vois ces champs ravagés, vois ces temples brûlans,

1

Ces peuples éplorés, ces mères fugitives,
Et ces enfans meurtris entre leurs bras sanglans.

De quels débordemens de sang et de carnage
La terre a-t-elle vu ses flancs plus engraissés?
Et quel fleuve jamais vit border son rivage
D'un plus horrible amas de mourans entassés ?

Telle autour d'Ilion la mort livide et blême
Moissonnoit les guerriers de Phrygie et d'Argos,
Dans ces combats affreux où le dieu Mars lui-même
De son sang immortel vit bouillonner les flots.

D'un cri pareil au bruit d'une armée invincible
Qui s'avance au signal d'un combat furieux,
Il ébranla du ciel la voûte inaccessible,

Et vint porter sa plainte au monarque des dieux.

Mais le grand Jupiter, dont la présence auguste
Fait rentrer d'un coup-d'œil l'audace en son devoir,
interrompant la voix de ce guerrier injuste,
En ces mots foudroyans confendit son espoir:

Va, tyran des mortels, dieu barbare et funeste,
Va faire retentir tes regrets loin de moi:
De tous les habitans de l'Olympe céleste
Nul n'est à mes regards plus odieux que toi.

Tigre, à qui la pitié ne peut se faire entendre,
Tu n'aimes que le meurtre et les embrasemens:
Les remparts abattus, les palais mis en cendre,
Sont de ta cruauté les plus doux monumens.

La frayeur et la mort vont sans cesse à ta suite,
Monstre nourri de sang, cœur abreuvé de fiel,
Plus digne de régner sur les bords du Cocyte,
Que de tenir ta place entre les dieux du ciel.

Ah! lorsque ton orgueil languissoit dans les chaînes
Où les fils d'Aloüs te faisoient soupirer,
Pourquoi, trop peu sensible aux misères humaines,
Mercure, malgre moi, vint-il t'en délivrer?

La discorde dès lors avec toi détrônée
Eût été pour toujours reléguée aux enfers;
Et l'altiere Bellone, au repos condamnée,
N'eût jamais exilé la paix de l'univers.

La paix, l'aimable paix, fait bénir son empire;
Le bien de ses sujets fait son soin le plus cher:
Et toi, fils de Junon, c'est elle qui t'inspire
La fureur de régner par la flamme et le fer.

Chaste paix, c'est ainsi que le maître du monde
Du fier Mars et de toi sait discerner le prix:
Ton sceptre rend la terre en délices féconde;
Le sien ne fait régner que les pleurs et les cris.

Pourquoi donc aux malheurs de la terre affligée
Refuser le secours de tes divines mains?
Pourquoi, du roi des cieux, chérie et protégée,
Céder à ton rival l'empire des humains?

Je t'entends: c'est en vain que nos vœux unanimes
De l'Olympe irrité conjurent le courroux;
Avant que sa justice ait expié nos crimes,
Il ne t'est pas permis d'habiter parmi nous.

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