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Albion lui sourit; elle fut consolée.
Tel un frêle arbrisseau qu'un orage soudain
Enlève et transporte sur l'onde,

Contraint de s'exiler sur quelque bord lointain,
Suit au hasard sa course vagabonde,
Rencontre, aborde une terre féconde;
Là, par zéphire transplanté,

Bientôt l'arbuste acclimaté

Se croit dans son berceau: les enfans du bocage
Lui font accueil; il partage avec eux
Et la douce rosée et les rayons des cieux;
De sa fleur étrangère embellit ce rivage,
Bénit son sort et pardonne à l'orage.
ENVOI.

En retour de vos vers, purs, nobles et faciles,
DEVONSHIRE, accueillez l'humble tribut des miens.
Les dieux sur nous épanchent tous les biens,
Les fruits, les fleurs et les moissons fertiles;
Pour s'acquitter nos vœux sont impuissans,
Mais les dieux sont trop grands pour être difficiles;
Tout est payé d'un simple grain d'encens.
L'Abbé de Lille.

§ 84. Epitre 13. A l'amitié.

Divinité, dont les traits délicats,
Font reconnoître l'air de ton aveugle frère;
Mais qui joins à tous ses appas,
Les yeux clairs et sereins de ta céleste mère;
Tendre amitié, doux asile des cœurs,
C'est à toi que je sacrifie :

Si l'amour nous donne la vie,
Toi seule en donnes les douceurs.
Qu'un insensé porte à ce Dieu cruel
Le sacrifice de ses larmes ;

Que d'un cœur déchiré de chagrins et d'alarmes
Il aille parer son autel;

S'il en obtient une couronne,
Il ignore quel prix elle doit lui coûter.

Ta libéralité nous donne

Les biens que ce tyran nous fait trop acheter.
Quand les appas d'une douce union

Nous engagent sous ton empire,
Ils ne viennent pas nous séduire
Par une courte illusion.

Chez toi la vertu, le mérite,

Nous découvrent toujours mille nouveaux attraits;
Chez toi les vrais plaisirs sont toujours à la suite
De l'innocence, et de la paix.

En amour tout est imposture;
Jusqu'au silence tout y ment:

Ce qui pour l'un est siècle, est pour l'autre un moment,
Tout s'y donne à fausse mesure.

Chez-toi la vérité fait entendre sa voix :
Sa lumière nous sert de guide;
Sur nos goûts la raison décide,
Et le temps respecte son choix.
Au joug d'airain deux cœurs,assujettis,
Font l'un de l'autre le supplice;
Quand par un bizarre caprice,
Amour les a faits assortis.

Sous les aimables lois dont l'amitié nous lie,
Et les biens et les maux, tout doit se partager:
Mais quel partage heureux! le bien s'y multiplie,
Et le mal y devient léger.

M. le Marquis de St. Aulaire.

§ 85.

DISCOURS.

Discours 1. Qu'il y a dans toutes les conditions une
mesure de biens et de maux qui les rend toutes égales.
Tu vois, sage Ariston, d'un œil d'indifférence
La grandeur tyrannique et la fière opulence;
Tes yeux d'un faux éclat ne sont point abusés.
Ce monde est un grand bal, où des fous déguisés,
Sous les risibles noms d'éminence et d'altesse,
Pensent enfler leur être et hausser leur bassesse.
En vain des vanités l'appareil nous surprend.
Les mortels sont égaux, leur masque est différent.
Nos cinq sens imparfaits, donnés par la nature,
De nos biens, de nos maux, sont la seule mesure.
Les rois en ont-ils six? et leur âme et leur corps
Sont-ils d'une autre espèce? ont-ils d'autres ressorts?
C'est du même limon que tous ont pris naissance;
Dans la même foiblesse ils traînent leur enfance:
Et le riche et le pauvre, et le foible et le fort,
Vont tous également des douleurs à la mort.

Eh quoi! me dira-t-on, quelle erreur est la vôtre?
N'est-il aucun état plus fortuné qu'un autre?
Le ciel a-t-il rangé les mortels au niveau?
La femme d'un commis, courbé sur son bureau,
Vaut-elle une princesse, auprès du trône assise?
Tout rang est-il égal pour tout homme d'église,
Sous un triple mortier n'est-on pas plus heureux,
Qu'un clerc enseveli dans un greffe poudreux?
Non, Dieu seroit injuste, et la sage nature
Dans ses dons partagés garde plus de mesure.
Pense-t-on qu'ici-bas son aveugle fureur
An char de la fortune attache le bonheur ?
Un jeune colonel a souvent l'impudence
De passer en plaisirs un maréchal de France.
Elre heureux comme un roi, dit le peuple hébété ;
Hélas! pour
le bonheur que fait la majesté ?
En vain sur ses grandeurs un monarque s'appuie;
Il gémit quelquefois, et bien souvent s'ennuie.
Son favori sur moi jette à peine un coup d'œil.
Animal composé de bassesse et d'orgueil,
Accablé de dégoûts en inspirant l'envie,
Tour à tour on t'encence et l'on te calomnie.
Parle, qu'as-tu gagné dans la chambre du roi?
Un peu plus de flatteurs et d'ennemis que moi.
Sur les énormes tours de notre observatoire,
Un jour en consultant leur céleste grimoire,
Des enfans d'Uranie un essaim curieux,
D'un tube de cent pieds braqué contre les cieux,
Observoit les secrets du monde planétaire.
Un rustre s'écria: ces sorciers ont beau faire,
Les astres sont pour nous, aussi-bien que pour eux.
On en peut dire autant du secret d'être heureux.
Le simple, l'ignorant, pourvu d'un instinct sage
En est tout aussi près, au fond de son village,
Que le fat important qui pense le tenir,

Et le triste savant qui croit le définir.

On dit qu'avant la boîte apportée à Pandore,
Nous étions tous égaux; nous le sommes encore.
Avoir les mêmes droits à la félicité,

C'est pour nous la parfaite et seule égalité,
Vois-tu dans ces vallons ces esclaves champêtres
Qui creusent ces rochers, qui vont fendre ces hêtres,
Qui détournent ces eaux, qui, la bêche à la main,

Fertilisent la terre en déchirant son sein?
Ils ne sont point formés sur le brillant modèle
De ces pasteurs galans qu'a chantés Fontenelle.
Ce n'est point Timarette et le tendre Tircis,
De roses couronnés, sous des myrtes assis,
Entrelaçant leurs noms sur l'écorce des chênes,
Vantant avec esprit leurs plaisirs et leurs peines:
C'est Pierrot, c'est Colin, dont le bras vigoureux
Soulève un char tremblant dans un fossé bourbeux.
Perrette au point du jour est aux champs la première.
Je les vois haletans, et couverts de poussière,
Braver dans ces travaux, chaque jour répétés,
Et le froid des hivers, et le feu des étés.

Ils chantent cependant: leur voix fausse et rustique,
Gaîment de Pellegrin détonne un vieux cantique:
La paix, le doux sommeil, la force, la santé,
Sont le fruit de leur peine et de leur pauvreté.
Si Colin voit Paris, ce fracas de merveilles,
Sans rien dire à son cœur, assourdit ses oreilles:
Il ne désire point ces plaisirs turbulens;
Il ne les conçoit pas : il regrette ses champs;
Dans ses champs fortunés l'amour même l'appelle,
Et tandis que Damis, courant de belle en belle,
Sous des lambris dorés et vernis par Martin,
Des intrigues du temps composant son destin,
Dupé par sa maîtresse, et haï de sa femme,
Prodigue à vingt beautés ses chansons et sa flamme,
Quitte Eglé qui l'aimoit, pour Cloris qui le fuit,
Et prend pour volupté le scandale et le bruit;
Colin, plus vigoureux, et pourtant plus fidèle,
Revole vers Lisette en la saison nouvelle.
Il vient, après trois mois de regrets et d'ennui,
Lui présenter des dons aussi simples que lui.
Il n'a point à donner ces riches bagatelles,
Qu'Hébert vend à crédit pour tromper tant de belles.
Sans tous ces riens brillans il peut toucher un coeur;
Il n'en a pas besoin: c'est le fard du bonheur.
L'aigle, fière et rapide, aux ailes étendues,
Suit l'objet de sa flamme, élancé dans les nues.
Dans l'ombre des vallons, le taureau bondissant
Cherche en paix sa génisse, et plaît en mugissant.
Au retour du printemps, la douce Philomele
Attendrit par ses chants sa compagne fidèle;
Et du sein des buissons, le moucheron léger
Se mêle en bourdonnant aux insectes de l'air.

De son être content, qui d'entre eux s'inquiète

S'il est quelque autre espèce, ou plus ou moins parfaite?

Et qu'importe à mon sort, à mes plaisirs présens,

Qu'il soit d'autres heureux, qu'il soit des biens plus grands?
Mais, quoi! cet indigent, ce mortel famélique,
Cet objet dégoûtant de la pitié publique,

D'un cadavre vivant traînant le reste affreux,

Respirant pour souffrir, est-il un homme heureux!
Non, sans doute. Thamas qu'un esclave détrône,
Ce visir déposé, ce grand qu'on emprisonne,

Ont-ils des jours sereins, quands ils sont dans les fers?
Tout état à ses maux, tout homme à ses revers.
Moins hardi dans la paix, plus actif dans la guerre,
Charle auroit sous ses lois retenu l'Angleterre,
Et Dufréni, plus sage et moins dissipateur,

Ne fût point mort de faim, digne mort d'un auteur.
Tout est égal enfin: la cour a ses fatigues:
L'église a ses combats; la guerre a ses intrigues:
Le mérite modeste est souvent obscurci,

Le malheur est partout, mais le bonheur aussi.
T. III. p. 3.

22

Ce n'est point la grandeur; ce n'est point la bassesse,
Le bien, la pauvreté, l'âge mûr, la jeunesse,
Qui fait, ou l'infortune, ou la félicité.

Jadis le pauvre Irus, honteux et rebuté,
Contemplant de Crésus l'orgueilleuse opulence,
Murmuroit hautement contre la providence.
Que d'honneurs! disoit-il, que d'éclat! que de bien!
Que Crésus est heureux! il a tout, et moi rien.
Comme il disoit ces mots, une armée en furie
Attaque en son palais le tyran de Carie.
De ses vils courtisans il est abandonné :
Il fuit; on le poursuit; il est pris, enchaîné;
On pille ses trésors; on ravit ses maîtresses.
Il pleure; il aperçoit, au fort de ses détresses,
Irus, le pauvre Irus, qui, parmi tant d'horreurs,
Sans songer aux vaincus, boit avec les vainqueurs.
O Jupiter! dit-il; ô sort inexorable!

Irus est trop heureux, je suis seul misérable.

Ils se trompoient tous deux, et nous nous trompons tous.
Ah! du destin d'autrui ne soyons point jaloux.
Gardons-nous de l'éclat qu'un faux dehors imprime,
Tous les cœurs sont cachés; tout homme est un abîme.
La joie est passagère, et le rire est trompeur.

Hélas! où donc chercher, où trouver le bonheur?
En tous lieux, en tout temps, dans toute la nature,
Nulle part tout entier, partout avec mesure,
Et partout passager, hors dans son seul auteur.
Il est semblable au feu, dont la douce chaleur
Dans chaque autre élément en secret s'insinue,
Descend dans les rochers, s'élève dans la nue,
Va rougir le corail dans le sable des mers,
Et vit dans les glaçons qu'ont durcis les hivers.
Le ciel en nous formant mélangea notre vie
De désirs, de dégoûts, de raison, de folie,
De momens de plaisir, et de jours de tourmens.
De notre être imparfait voilà les élémens.

Ils composent tout l'homme; ils forment son essence,
Et Dieu nous pesa tous dans la même balance.

Voltaire.

§86. Discours 2. Sur la Liberté de l'Homme.

On entend par ce mot liberté, le pouvoir de faire ce qu'on veut. Il n'y a, et ne peut y avoir d'autre liberté : c'est pourquoi Locke l'a si bien définie puissance.

Dans le cours de nos ans, étroit et court passage,

Si le bonheur qu'on cherche est le prix du vrai sage,

Qui pourra me donner ce trésor précieux?

Dépend-il de moi-même ? est-ce un présent des cieux?
Est-il comme l'esprit, la beauté, la naissance,
Partage indépendant de l'humaine prudence?
Suis-je libre en effet? ou mon âme et mon corps
Sont-ils d'un autre agent les aveugles ressorts?
Enfin, ma volonté, qui me meut, qui m'entraîne.
Dans le palais de l'âme est-elle esclave ou reine?

Obscurément plongé dans ce doute cruel,
Mes yeux, chargés de pleurs, se tournoient vers le ciel
Lorsqu'un de ces esprits que le souverain Etre
Plaça près de son trône, et fit pour le connoître,
Qui respirent dans lui, qui brûlent de ses feux,
Descendit jusqu'à moi de la voûte des cieux;
Car on voit quelquefois ces fils de la lumière,
Eclairer d'un mondain l'âme simple et grossière.

Ecoute, me dit-il, prompt à me consoler,
Ce que tu peux entendre, et qu'on peut révéler.
J'ai pitié de ton trouble; et ton âme sincère,
Puisqu'elle sait douter, mérite qu'on l'éclaire.
Oui, l'homme sur la terre est libre ainsi que moi;
C'est le plus beau présent de notre commun Roi,
La liberté qu'il donne à tout être qui pense,
Fait des moindres esprits et la vie et l'essence,
Qui conçoit, veut, agit, est libre en agissant;
C'est l'attribut divin de l'Etre tout-puissant.
Il en fait un partage à ses enfans qu'il aime.
Nous sommes ses enfans, des ombres de lui-même.
Il connut, il voulut, et l'univers naquit ;
Ainsi, lorsque tu veux, la matière obéit.
Souverain sur la terre, et roi par la pensée,
Tu veux, et sous tes mains la nature est forcée.
Tu commandes aux mers, au souffle des zéphyrs,
A ta propre pensée, et même à tes désirs.'
Ah! sans la liberté que seroient donc nos âmes?
Mobiles agités par d'invisibles flammes,
Nos vœux, nos actions, nos plaisirs, nos dégoûts,
De notre être, en un mot, rien ne seroit à nous.
D'un artisan suprême impuissantes machines,
Automates pensans, mus par des mains divines,
Nous serions à jamais de mensonge occupés,
Vils instrumens d'un Dieu qui nous auroit trompés.
Comment, sans liberté, serions-nous ses images?
Que lui reviendroit-il de ses brutes ouvrages?
On ne peut donc lui plaire, on ne peut l'offenser;
Il n'a rien à punir, rien à récompenser.
Dans les cieux, sur la terre, il n'est plus de justice,
Pucelle est sans vertu, Desfontaines sans vice.
Le destin nous entraîne à nos affreux penchans,
Et ce chaos du monde est fait pour les méchans,
L'oppresseur insolent, l'usurpateur avare,
Cartouche, Mirivveis, ou tel autre barbare,
Plus coupable enfin qu'eux, le calomniateur
Dira: Je n'ai rien fait; Dieu seul en est l'auteur;
Ce n'est pas moi, c'est lui qui manque à ma parole
Qui frappe par mes mains, pille, brule, viole.
C'est ainsi que le Dieu de justice et de paix
Seroit l'auteur du trouble et le Dieu des forfaits.
Les tristes partisans de ce dogme effroyable,
Diroient-ils rien de plus s'ils adoroient le diable?
J'étois, à ce discours, tel qu'un homme enivré,
Qui s'éveille en sursaut, d'un grand jour éclairé,
Et dont la clignotante et débile paupière
Lui laisse encore à peine entrevoir la lumière.
J'osai répondre enfin, d'une timide voix :
Interprète sacré des éternelles lois,

Pourquoi, si l'homme est libre, a-t-il tant de foiblesse ?

Que lui sert le flambeau de sa vaine sagesse ?

Il le fuit, il s'égare; et toujours combattu,

Il embrasse le crime en aimant la vertu.

Pourquoi ce roi du monde, et si libre et si sage,
Subit-il si souvent un si dur esclavage?

L'esprit consolateur à ces mots répondit;

Quelle douleur injuste accable ton esprit ?
La liberté, dis-tu, quelquefois t'est ravie:

Dieu te la devoit-il immuable, infinie,

Egale en tout état, en tout temps, en tout lieu?

Tes destins sont d'un homme, et tes vœux sont d'un Dieu.

Quoi dans cet océan cet atôme qui nage

Dira: L'immensité doit être mon partage.

Non, tout est foible en toi, changeant et limité;

Ta force, ton esprit, tes talens, ta beauté.

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