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Depuis Agnès jusqu'au fier Misantrope,
Te dévoila les plis du cœur humain;
Quel dieu remit ces crayons dans ta main?
Dans tes écrits, quelle séve féconde,
Quelle chaleur, quelle âme tu répands!
La cour, la ville, et le peuple et le monde,
Tu fais de tout une étude profonde;
Et nous rions toujours à nos dépens.
Le jaloux rit d'un sot qui lui ressemble;
Le médecin se moque de Purgon;
L'avare pleure et sourit tout ensemble,
D'avoir payé pour entendre Harpagon:
Le seul Tartuffe a peu ri, ce me semble.
Moi, qui n'ai point le masque d'un dévot,
Quand la vapeur d'une bile épaissie
S'élève autour de mon âme obscurcie,
Quand de l'ennui j'ai bu le froid pavot,
Ou que la sombre et vague inquiétude
Trouble mes sens fatigués de l'étude,
J'appelle à moi Sotenville et Dandin,
Le bon Sosie, et Nicole et Jourdain:
Le rire alors dans mes yeux étincelle,

A plein canaux mon sang coule soudain,
De mes esprits le feu se renouvelle;
Je crois renaître, et ma sérénité
En un jour clair me peint l'humanité.
Tous ces travers qui m'excitoient la bile,
Ne sont pour moi qu'un spectacle amusant:
Moi-même enfin je me trouve plaisant
D'avoir tranché du censeur difficile.
Fruits du génie, heureux présens des cieux,
Embellissez la retraite que j'aime,
Et rendez-moi mon loisir précieux;
Seul avec vous, je me plais en moi-même :
Par vous guéri de cette vanité
Qui sacrifie à la célébrité

Le doux repos, des biens le plus solide,
De cette vie, inconstante et fluide,
Je suis le cours avec tranquillité;
L'œil attaché sur un charmant rivage,
Où la nature étale à mon passage
Son abondance et sa variété.

§ 82. Epitre 11.

Toi, que la voix de ma douleur
A fait voler vers moi du sein de ta patrie,
Et qui portant encor dans ton âme attendrie
Du spectacle de mon malheur
La douloureuse rêverie,

Après mon péril même en conserves l'horreur,
Renais, rappelle la douceur

De ton allégresse chérie,

Ma Minerve, ma tendre sœur.

Mais quoi! suis-je encor fait pour nommer l'allégresse,
Et pour en chanter les appas,
Moi, qui depuis deux mois de mortelle tristesse,
Ai vu sur ma demeure étinceler sans cesse
La faux sanglante du trépas?
Par les songes du sombre empire

Enfans tumultueux du bizarre délire,

Mon esprit si long-temps noirci,
Pourra-t-il retrouver, sous ces épais nuages
Les pinceaux du plaisir, les brillantes images,
Et lever le bandeau qui le tient obscurci?

Quand sur les champs de Syracuse,
Un volcan vient au loin d'exercer ses fureurs,
Aux bords désolés d'Aréthuse
Daphné cherche-t-elle des fleurs?
Dans de mâles et sages rimes,
Si de l'inflexible raison

Il ne falloit qu'offrir les stoïques maximes,
Ici, plus que jamais, j'en trouverois le ton.
Je sors de ces instans de force et de lumière,
Où l'éternelle vérité,

Telle que le soleil, au bout de sa carrière,
Domme à ses derniers feux sa dernière clarté.
J'ai vu ce pas fatal, où l'âme plus hardie
S'élançant de ses tristes fers,

Et prête à voir finir le songe de la vie
Au poids du vrai seul apprécie
Le néant de cet univers.
Eclairé sur les vœux frivoles

Et sur les faux biens des humains

Je pourrois à tes yeux renverser leurs idoles,

Marmontel.

Les dieux de leur folie, ouvrage de leurs mains,
Et dans mon ardeur intrépide,
De la vérité moins timide,

Osant rallumer le flambeau,

Juger et nommer tout avec cette assurance
Que j'ai su rapporter du sein de la souffrance,
Et de l'école du tombeau.

Réduit, comme je fus, par l'arrêt inflexible
Et de la douleur et du sort,

A demander aux dieux le bienfait de la mort,
Je te dirois aussi que cette mort horrible
Pour le vulgaire malheureux,

Pour un sage n'est point ce spectre si terrible,
Sur qui les vils mortels n'osent lever les yeux;
Et qu'après avoir vu la misère profonde
Des insectes présomptueux,

De tous les êtres ennuyeux

Dont le ciel a chargé la surface du monde,
Et qui rampent dans ces bas lieux,
Au premier arrêt de la parque,

Sans peine et d'un pas ferme, on passeroit la barque,
Si la tendre amitié, si le fidèle amour

N'arrêtoient l'âme dans leurs chaînes,
Et si leurs plaisirs, tour à tour,
Plus vrais et plus vifs que nos peines,
Ne nous faisoient chérir le jour.
Mais de cette philosophie

Je ne réveille pas les lugubres propos,
Tu n'es faite que pour la vie;
Et t'entretenir de tombeaux,
Ce seroit déployer sur la naissante aurore
Du soir d'un jour obscur les nuages épais,
Et donner à la jeune Flore
Une couronne de cyprès.

Qu'attends-tu cependant? Tu veux que ma mémoire
Retournant sur des jours d'alarmes et d'ennuis,
T'en fasse la pénible histoire;

Sur quels déplorables récits
Exiges-tu que je m'arrête ?

C'est rappeler mon âme aux portes de la mort.
J'y consens mais bannis l'effroi de la tempête,
Je la rencontre dans le port.

Sut ses hameaux brisés et semés sur la terré

Par la foudre ou l'effort des vents,
Un chêne voit enfin d'autres rameaux naissans,
Et relevé des coups d'Eole et du tonnerre,

Il compte de nouveaux printemps.
Le jour a reparu. Rien n'est long-temps extrême.
Tel étoit mon affreux tourment;
J'ai souffert plus de maux au bord du monument,
Que n'en apporte la mort même;

La douleur est un siècle et la mort un moment.
Frappé d'une main froudroyante
Et frappé dans le sein des arts et des amours,
De la santé la plus brillante
Je vis en un instant s'éteindre les beaux jours.
Ainsi d'un ruisseau pur la naïade éplorée
Dans une froide nuit par le fougueux Borée,
De ses plus vives eaux voit enchaîner le cours.
Dans cette langueur meurtrière

Comptant les pas du temps trop lents aux malheureux,
Quarante fois de la lumière

J'ai vu disparoître les feux;
Quarante fois dans sa carrière
J'ai vu rentrer l'astre des cieux:
Et dans un si long intervalle
La parque d'une main fatale,

Arrachant de mes yeux les paisibles pavots,
Pour moi, ne fila point une heure de repos:
Par le souffle brûlant de la fièvre indomptée,
Chaque jour ma force emportée,

Renaissoit chaque jour pour des tourmens nouveaux;
Dans la fable de Prométhée

Tu vois l'histoire de mes maux.

Après l'effroi qui suit l'attente du supplice,
Voilé des plus noires couleurs

Parut enfin ce jour de malheureux auspice,
Où de l'humanité j'épuisai les douleurs.
Couché sur un bucher et l'autel et le trône
D Esculape et de Tisiphone,

Courbé sous le pouvoir de leurs prêtres cruels;
J'ai vu couler mon sang sous les couteaux mortels;
Mon âme s'avança vers les rivages sombres,
Mais quel rayon lancé du sein des immortels,
L'arrêtant à travers la région des ombres,
Vint ranimer mes sens sur ces sanglans autels!
Je crus sortir du noir abîme

Quand, revenant au jour je me vis délivré;
Je trompai le trépas ainsi qu'une victime
Que frappe un bras mal assuré,
Inutilement poursuivie,

Et plus forte par la douleur,

Elle arrache, en fuyant, les restes de sa vie
Aux coups du sacrificateur.

Il est une jeune déesse

Plus agile qu'Hébé, plus fraîche que Vénus,
Elle écarte les maux, les langueurs, la foiblesse;
Sans elle la beauté n'est plus;

Les amours, Bacchus et Morphée
La soutiennent sur un trophée
De myrte et de pampres ornés,
Tandis qu'à ses pieds abattue
Rampe l'inutile statue

Du dieu d'Epidaure enchaîné.

Ame de l'univers, charme de nos années,
Heureuse et tranquille santé !

Toi, qui viens renouer le fil de mes journées,
Et rendre à mon esprit sa plus vive clarté,
Quand prodigues des dons d'une courte jeunesse
Ne portant que la honte et d'amères douleurs
A la précoce vieillesse,

'Les aveugles mortels abrégent tes faveurs,
Je vais sacrifier dans ton temple champêtre

Loin des cités et de l'ennui:

Tout nous rappelle aux champs; le printemps va renaître
Et j'y vais renaître avec lui.
Dans cette retraite chérie
De la sagesse et du plaisir,
Avec quel goût je vais cueillir
La première épine fleurie,
Et de Philomèle attendrie
Recevoir le premier soupir
Avec les fleurs dont la prairie
A chaque instant va s'einbellir;
Mon âme trop long-temps flétrie,
Va de nouveau s'épanouir,
Et sans pénible rêverie
Voltiger avec le zéphyr.

Occupé tout entier du soin, du plaisir d'être

Au sortir du néant affreux

Je ne songerai qu'à voir naître
Ces bois, ces berceaux amoureux,
Et cette mousse et ces fougères,

Qui seront, dans les plus beaux jours,
Le trône des tendres bergères,
Et l'autel des heureux amours.
O jours de la convalescence!
Jours d'une pure volupté!
C'est une nouvelle naissance,
Un rayon d'immortalité :

Quel feu! tous les plaisirs ont volé dans mon âme,
J'adore avec transport le céleste flambeau;

Tout m'intéresse, tout n'enflamme,
Pour moi l'univers est nouveau.

Sans doute que le dieu qui nous rend l'existence,
A l'heureuse convalescence,

Pour de nouveaux plaisirs donne de nouveaux sens;
A ses regards impatiens

Le chaos fuit; tout naît; la lumière commence;
Tout brille des feux du printemps:
Les plus simples objets, le chant d'une fauvette,
Le matin d'un beau jour, la verdure des bois,
La fraîcheur d'une violette,

Mille spectacles, qu'autrefois
On voyoit avec nonchalance,

Transportent aujourd'hui; présentent des appas
Inconnus à l'indifférence,

Et que la foule ne voit pas.
Tout s'émousse dans l'habitude;
L'amour s'endort sans volupté.

Las des mêmes plaisirs, las de leur multitude,
Le sentiment n'est plus flatté;

Dans le fracas des jeux, dans la plus vive orgie,
L'esprit sans force et sans clarté
Ne trouve que la léthargie
De l'insipide oisiveté.

Cléon, depuis dix ans de fêtes et d'ivresse,
Frais, brillant d'embonpoint, ramené chaque jour
Dans le néant de la mollesse

Dort et végète tour à tour.

Lisis, depuis long-temps plongé dans les ténèbres
Entre Hipocrate et les ennuis;

Libre de leurs chaînes funèbres,
Vient de quitter enfin leurs lugubres réduits.
Observez-les tous deux dans une même fête:
Cléon n'y paroîtra que distrait ou glacé :
Tout glisse sur ses sens, nul plaisir ne s'arrête
Au fond de son cœur émoussé.
Tout charmera Lisis: cette nymphe est plus belle,
Cette syrène a mieux chanté,

D'un plus aimable feu ce champagne étincelle,
Ces convives joyeux sont la troupe immortelle,
Cette brune charmante est la divinité.

Cléon est un sultan, qu'un bonheur trop facile
Prive du sentiment, des ardeurs, des transports;
En vain de cent beautés une troupe inutile,
Lui cherche des désirs, infructueux efforts!
Mahomet est au rang des morts.
Lisis dans ses ardeurs nouvelles
Est un voyageur de retour;
Eloigné des jeux et des belles,

Le plus triste vaisseau fut long-temps son séjour.
Il touche le rivage, à l'instant tout l'invite,
Et pour Lisis dans ce beau jour

La première Philis des hameaux d'alentour
Est la sultane favorite,

Et le miracle de l'amour.

Gresset.

§ 83. Epitre 12. A Madame la Duchesse de Devonshire.

De vos riches tableaux que j'aime les images,

Quand vous peignez ces monts sauvages,
Noir séjour des frimas, d'où tombent les torrens,
Où gronde le tonnerre, où mugissent les vents,
Sillonnés de ravins, entrecoupés d'abîmes!
Lorsqu'avec tant de grâce à leurs horreurs sublimes
Vous opposez leurs tranquilles abris,
Leurs doux ruisseaux et leurs vallons fleuris,
Le vrai bonheur, loin d'un luxe profane,
A leurs rochers confiant sa cabane,
Toujours la vérité dirige vos pinceaux;
Vous unissez la force à la mollesse;

Le cours des fleuves, des ruisseaux
Embrasse avec moins de souplesse
Les terrains variés que parcourent leurs eaux.
De la variété le mérite est si rare!

Toujours pour leurs Phaons soupirent nos Saphos;
Déshoulières m'endort au chant des pastoureaux.
Prodigue des grands traits dont sa muse est avare,
Mieux qu'elle vous savez varier votre ton;
Je crois voir à côté de l'aigle de Pindare
La colombe d'Anacréon.

Ainsi des saints devoirs et d'épouse et de mère
Des muses l'entretien charmant

Vient quelquefois doucement vous distraire.
A la raison vous joignez l'agrément,

Le talent de bien dire au bonheur de bien faire.
Telles naissent les fleurs au milieu des moissons.
Mais c'étoit peu pour vous de briller et de plaire;
A vos enfans vous transmettez ces dons;
De l'amour maternel tel est le caractère:

C'est dans ces tendres rejetons,

Qu'est sa volupté la plus chère;

C'est dans eux qu'il jouit, c'est pour eux qu'il espère.
Au milieu de ses nourrissons,
Ainsi la rose, déjà mère,

Que les zéphyrs trop tôt cèdent aux aquilons,
Ne pouvant retenir sa beauté passagère,

Met son espoir dans ses jeunes boutons;
Leur légue ses parfums, sa grâce héréditaire,
Sa couronne de pourpre et ses riches festons.
De vous, de vos enfans c'est l'image fidèle;
L'aimable Cavendish, grâces à vos leçons,
Est le portrait charmant du plus parfait modèle;
Comme vous elle plaît, vous vous plaisez dans elle.
Jouissez, reprenez vos aimables concerts:

Vos chants servent d'exemple aux nôtres,
Et le plus dur censeur eut fait grâce à mes vers,
Si j'eusse été plutôt le confident des vôtres.
C'est peu de les aimer: encouragez les arts,
Belle GEORGINA: c'est vous dont les regards
La mémoire encor m'en est chère,
Ont les premiers à ma muse étrangère
D'un accueil caressant accordé la faveur,
Et dissipé la crainte attachée au malheur.
Dans les champs paternels, jadis simple bergère,
Elle chantoit aux montagnes, aux bois;

Les bois lui répondoient, et même quelquefois,
Il m'en souvient, sa chanson bocagère

Sut se faire écouter dans le palais des rois.
Ce temps n'est plus: fugitive, exilée,
Sur les bords où chantoient les Popes, les Thompsons,
Sa voix tremblante essaya quelques sons ;

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