Sent redoubler ses chaleurs, Comme une tige élevée. D'une onde pure abreuvée, Voit multiplier ses fleurs.
Mais cette flatteuse amorce D'un hommage qu'on croit dû Souveut prête même force Au vice qu'à la vertu: De la céleste rosée La terre fertilisée, Quand les frimas ont cessé, Fait également éclore
Et les doux parfums de Flore, Et les poisons de Circé.
Cieux, gardez vos eaux fécondes Pour le myrte aimé des dieux; Ne prodiguez plus vos ondes A cet if contagieux:
Et vous, enfans des nuages, Vents, ministres des orages, Venez, fiers tyrans du nord, De vos brûlantes froidures Sécher ces feuilles impures Dont l'ombre donne la mort.
§ 7. Ode sur la bataille de Péterwaradin.
Ainsi le glaive fidèle
De l'ange exterminateur Plongea dans l'ombre éternelle Un peuple profanateur, Quand l'Assyrien terrible Vit dans une nuit horrible Tous ses soldats égorgés De la fidèle Judée, Par ses armes obsédée, Couvrir les champs saccagés.
Où sont ces fils de la terre Dont les fières légions Devoient allumer la guerre Au sein de nos régions? La nuit les vit rassemblées: Le jour les voit écoulées, Comme de foibles ruisseaux Qui, gonflés par quelque orage, Viennent inonder la plage Qui doit engloutir leurs eaux.,
Déjà ces monstres sauvages, Qu'arma l'infidélité, Marchoient le long des rivages Du Danube épouvanté : Leur chef, guidé par l'audace, Avoit épuisé la Thrace D'armes et de combattans, Et des bornes de l'Asie Jusqu'à la double Mésie Conduit leurs drapeaux flottans.
A ce déluge barbare D'effroyables bataillons
L'infatigable Tartare Joint encor ses pavillons. C'en est fait; leur insolence Peut rompre enfin le silence; L'effroi ne les retient plus: Ils peuvent, sans nulle crainte, D'une paix trompeuse et feinte.. Briser les nœuds superflus.
C'est en vain qu'à notre vue Un guerrier, par sa valeur, De leur attaque imprévue A repoussé la chaleur: C'est peu qu'après leur défaite Sa triomphante retraite Sur nos confins envahis Ait, avec sa renommée, Consacré dans leur armée La honte de leurs spahis.
Ils s'aigrissent par leurs pertes: Et déjà de toutes parts Nos campagnes sont couvertes De leurs escadrons épars. Venez, troupe meurtrière; La nuit, qui, dans sa carrière, Fuit à pas précipités,
Va bientôt laisser éclore De votre dernière aurore Les foudroyantes clartés.
Un prince dont le génie Fait le destin des combats Veut de votre tyrannie Purger enfin nos états:
Il tient cette même foudre Qui vous fit mordre la poudre En ce jour si glorieux Où, par vingt mille victimes, La mort expia les crimes De vos funestes aïeux.
Hé quoi! votre ardeur glacée Délibère à son aspect! Ah! la raison est passée D'un orgueil si circonspect. En vain de lâches tranchées Couvrent vos têtes cachées; Eugène est prêt d'avancer: Il vient, il marche en personne; Le jour luit; la charge sonne ; Le combat va commencer.
Wirtemberg, sous sa conduite, A la tête de nos rangs, Déjà certain de leur fuite Attaque leurs premiers flancs. Merci, qu'un même ordre enflamme, Parmi les feux et la flamme Qui tonnent aux environs, Force, dissipe, renverse, Détruit tout ce qui traverse L'effort de ses escadrons.
Nos soldats, dans la tempête, Par cet exemple affermis,
Sans crainte exposent leur tête A tous les feux ennemis; Et chacun, malgré l'orage, Suivant d'un même courage Le chef présent en tous lieux Plein de joie et d'espérance, Combat avec l'assurance De triompher à ses yeux.
De quelle ardeur redoublée Mille intrépides guerriers Viennent-ils dans la mêlée Chercher de sanglans lauriers! O héros à qui la gloire D'une si belle victoire Doit son plus ferme soutien, Que ne puis-je, dans ces rimes Consacrant vos noms sublines, Immortaliser le mien!
Mais quel désordre incroyable Parmi ces corps séparés Grossit la nue effroyable Des ennemis rassurés? Près de leur moment suprême, Ils osent, en fuyant même "Tenter de nouveaux exploits : Le désespoir les excite; Et la crainte ressuscite Leur espérance aux abois.
Quel est ce nouvel Alcide Qui seul, entouré de morts, De cette foule homicide Arrête tous les efforts? A peine un fer détestable, Ouvre son flanc redoutable, Son sang est déjà payé ; Et son ennemi qui tombe, De sa troupe qui succombe Voit fuir le reste effrayé.
Eugène a fait ce miracle; Tout se rallie à sa voix: L'infidèle, à ce spectacle, Recule encore une fois. Aremberg, dont le courage De ces monstres pleins de rage Soutient le dernier effort,
Temeswar, de nos conquêtes Deux fois le fatal écueil, Sous nos foudres toutes prêtes Va voir tomber son orgueil : Par toi seul, prince invincible, Ce rempart inaccessible Pouvoit être renversé : Va, par son illustre attaque, Rompre les fers du Valaque Et du Hongrois oppressé.
Et toi qui, suivant les traces Du premier de tes aïeux, Eprouves, par tant de grâces, La bienveillance des cieux, Monarque aussi grand que juste, Reconnois le prix auguste Dont le monarque des rois Paie avec tant de clémence Ta piété, ta constance, Et ton zèle pour ses lois.
§ 8. Ode aux princes chrétiens.
Ce n'est donc point assez que ce peuple perfide, De la sainte cité profanateur stupide,
Ait dans tout l'orient porté ses étendards, Et, paisible tyran de la Grèce abattue, Partage à notre vue
La plus belle moitié du trône des Césars?
Déjà, pour réveiller sa fureur assoupie, L'interprète effréné de son prophète impie Lui promet d'asservir l'Italie à sa loi; Et déjà son orgueil, plein de cette assurance, Renverse en espérance
Le siége de l'empire, et celui de la foi.
A l'aspect des vaisseaux que vomit le Bosphore, Sous un nouveau Xerxès Thétis croit voir encore Au travers de ses flots promener les forêts; Et le nombreux amas de lances hérissées, Contre le ciel dressées,
Egale les épis qui dorent nos guérets.
Princes, que pensez-vous à ces apprêts terribles? Attendrez-vous encor, spectateurs insensibles, Quels seront les décrets de l'aveugle destin, Comme en ce jour affreux où, dans le sang noyée, Byzance foudroyée
Vit périr sous ses murs le dernier Constantin?
O honte! ô de l'Europe infamie éternelle! Un peuple de brigands, sous un chef infidèle, De ses plus saints remparts détruit la sûreté; Et le mensonge impur tranquillement repose Où le grand Théodose
Fit régner si long-temps l'auguste vérité.
Jadis, dans leur fureur non encor ralentie, Ces esclaves chassés des marais de Scythie Portèrent chez le Parthe et la mort et l'effroi ; Et bientôt des Persans, ravisseurs moins barbares, Leurs conducteurs avares
Reçurent à la fois et le sceptre et la loi.
Dès lors courant toujours de victoire en victoire, Des califes déchus de leur antique gloire
Le redoutable empire entre eux fut partagé : Des bords de l'Hellespont aux rives de l'Euphrate Par cette race ingrate
Tout fut en même temps soumis ou ravage.
Mais sitôt que leurs mains, en ruines fécondes, Osèrent, du Jourdain souillant les saintes ondes,' Profaner le tomheau du fils de l'Eternel, L'occident, réveillé par ce coup de tonnerre, Arma toute la terre
Pour laver ce forfait dans leur sang criminel.
En vain à cette ardeur si bouillante et si vive La folle ambition, la prudence craintive, Prétendoient opposer leurs conseils spécieux; Chacun comprit alors, mieux qu'au siècle où nous sommes, Que l'intérêt des hommes
Ne doit point balancer la querelle des cieux.
Comme un torrent fougueux qui, du haut des montagnes Précipitant ses eaux, traîne dans les campagnes Arbres, rochers, troupeaux, par son cours emportés: Ainsi de Godefroi les légions guerrières
Forcèrent les barrières
Que l'Asie opposoit à leurs bras indomtés.
La Palestine enfin, après tant de ravages,
Vit fuir ses ennemis, comme on voit les nuages Dans le vague des airs fuir devant l'aquilon, Et des vents du midi la dévorante haleine N'a consumé qu'à peine
Leurs ossemens blanchis dans les champs d'Ascalon.
De ses temples détruits et cachés sous les herbes
Sion vit relever les portiques superbes,
De notre délivrance augustes monumens;
Et d'un nouveau David la valeur noble et sainte Sembloit dans leur enceinte
D'un royaume éternel jeter les fondemens.
Mais chez ses successeurs la discorde insolente, Allumant le flambeau d'une guerre sanglante, Enerva leur puissance en corrompant leurs mœurs; Et le ciel irrité, ressuscitant l'audace
Se servit des vaincus pour punir les vainqueurs.
Rois, symboles mortels de la grandeur céleste, C'est à vous de prévoir dans leur chute funeste De vos divisions les fruits infortunés: Assez et trop long-temps, implacables Achilles, Vos discordes civiles
De morts ont assouvi les enfers étonnés.
Tandis que, de vos mains déchirant vos entrailles, Dans nos champs engraissés de tant de funérailles Vous semiez le carnage et le trouble et l'horreur, L'infidèle, tranquille au milieu des alarmes Forgeoit ces mêmes armes Qu'aujourd'hui contre vous aiguise sa fureur.
Enfin l'heureuse paix, de l'amitié suivie, A réuni les cœurs séparés par l'envie,
Et banni loin de nous la crainte et le danger: Paisible dans son champ le laboureur moissonne; Et les dons de l'automne
Ne sont plus profanés par le fer étranger.
Mais ce calme si doux que le ciel vous renvoie N'est point le calme oisif d'une indolente joie Où s'endort la vertu des plus fameux guerriers: Le démon des combats siffle encor sur vos têtes; Et de justes conquêtes
Vous offrent à cueillir de plus nobles lauriers.
Il est temps de venger votre commune injure: Eteignez dans le sang d'un ennemi parjure Du nom que vous portez l'opprobre injurieux; Et, sous leurs braves chefs assemblant vos cohortes, Allez briser les portes
D'un empire usurpé sur vos foibles aïeux.
Vous n'êtes plus au temps de ces craintes serviles Qu'imprimoient dans le sein des peuples imbécilles De cruels ravisseurs, à leur perte animés: L'aigle de Jupiter, ministre de la foudre, A cent fois mis en poudre
Ces géans orgueilleux contre le ciel armés.
Belgrade assujettie à leur joug tyrannique Regrette encor ce jour où le fer Germanique Renversa leur croissant du haut de ses remparts; Et de Salankemen les plaines infectées
Du sang de leurs soldats sur la poussière épars.
Sous le fer abattus, consumés dans la flamme, Leur monarque insensé, le désespoir dans l'âme, Pour la dernière fois osa tenter le sort:
Déja, de sa fureur barbares émissaires, Ses nombreux Janissaires
Portoient de toutes parts la terreur et la mort.
Arrêtez, troupe lâche, et de pillage avide: D'un Hercule naissant la valeur intrépide Va bientôt démentir vos projets forcenés, Et, sur vos corps sanglans se traçant un passage, Faire l'apprentissage
Des triomphes fameux qui lui sont destinés.
Le Tibisque, effrayé de la digue profonde De tant de bataillons entassés dans son onde, De ses flots enchaînés interrompit le cours; Et le fier Ottoman, sans drapeaux et sans suite, Précipitant sa fuite,
Borna toute sa gloire au salut de ses jours.
C'en est assez, dit-il; retournons sur nos traces :- Foibles et vils troupeaux, après tant de disgrâces, N'irritons plus en vain de superbes lions: Un prince nous poursuit, dont le fatal génie Dans cette ignominie
De notre antique gloire éteint tous les rayons.
Par une prompte paix, tant de fois profanée, Conjurons la victoire à le suivre obstinée: Prévenons du destin les revers éclatans; Et sur d'autres climats détournons les tempêtes Qui, déjà toutes prètes,
Menacent d'écraser l'empire des sultans.
N. B. Comme cette ode se trouve dans tous les recueils, et qu'on la regarde comme un chef-d'œuvre, je crois qu'il est essentiel de prévenir des étrangers, qui sont naturellement portés à admirer sur parole, que, malgré la beauté des vers, et celle de 4 ou 5 strophes, cette ode est bien inférieure aux précédentes, surtout aux quatre premières. L'harmonie, quelque parfaite qu'on la suppose, ne peut faire passer des idées fausses, des déclamations, et des expressions impropres ou vagues.
Fortune, dont la main couronne Les forfaits les plus inouis, Du faux éclat qui t'environne Serons-nous toujours éblouis? Jusques à quand, trompeuse idole, D'un culte honteux et frivole Honorerons-nous tes autels? Verra-t-on toujours tes caprices Consacrés par les sacrifices Et par l'hommage des mortels?
Le peuple, dans ton moindre ouvrage Adorant la prospérité,
Te nomme grandeur de courage, Valeur, prudence, fermeté: Du titre de vertu suprême Il dépouille la vertu même Pour le vice que tu chéris; Et toujours ses fausses maximes Erigent en héros sublimes Tes plus coupables favoris.
Mais de quelque superbe titre Dont ces héros soient revêtus, Prenons la raison pour arbitre, T. III. P. 3.
Et cherchons en eux leurs vertus: Je n'y trouve qu'extravagance, Foiblesse, injustice, arrogance, Trahisons, fureurs, cruautés: Etrange vertu qui se forme Souvent de l'assemblage énorme Des vices les plus détestés!
Apprends que la seule sagesse Peut faire les héros parfaits; Qu'elle voit toute la bassesse De ceux que ta faveur a faits; Qu'elle n'adopte point la gloire Qui nait d'une injuste victoire Que le sort remporte pour eux; Et que, devant ses yeux stoïques, Leurs vertus les plus héroïques Ne sont que des crimes heureux.
Quoi! Rome et l'Italie en cendre Me feront honorer Sylla? J'admirerai dans Alexandre Ce que j'abhorre en Attila? J'appellerai vertu guerrière Une vaillance meurtrière
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