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Auprès du fils des rois si j'étois demeurée
La victime aux bourreaux alloit être livrée :
Je cessois d'être mère, et le même couteau
Sur le corps de mon fils me plongeoit au tombeau.
Grâces à mon amour, inquiète et troublée,
A ce fatal berceau l'instinct m'a rappelée.
J'ai vu porter mon fils à nos cruels vainqueurs;
Mes mains l'ont arraché des mains des ravisseurs.
Barbare! ils n'ont point eu ta fermeté cruelle.
J'en ai chargé soudain cette esclave fidèle,
Qui soutient de son lait ses misérables jours,
Ces jours qui périssoient sans moi, sans mon secours ;
J'ai conservé le sang du fils et de la mère,

Et j'ose dire encor de son malheureux père.

ZAMTI.

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Dieu des cieux, pardonnez cette joie Qui se mêle un moment aux pleurs où je me noie. O ma chère Idamé! ces momens seront courts. Vainement de mon fils vous prolongiez les jours; Vainement vous cachiez cette fatale offrande. Si nous ne donnons pas le sang qu'on nous demande, Nos tyrans soupçonneux seront bientôt vengés ; Nos citoyens tremblans, avec nous égorgés, Vont payer de vos soins les efforts inutiles, De soldats entourés, nous n'avons plus d'asiles: Et mon fils, qu'au trépas vous croyez arracher, A l'œil qui le poursuit ne peut plus se cacher. Il faut subir son sort.

IDAMÉ.

Ah! cher époux, demeure;

Ecoute-moi, du moins.

ZAMTI.

Hélas! il faut qu'il meure.
IDAMÉ.

Qu'il meure! arrête, tremble, et crains mon désespoir,

Crains sa mère.

ZAMTI.

Je crains de trahir mon devoir.

Abandonnez le vôtre; abandonnez ma vie

Aux détestables mains d'un conquérant impie,

C'est mon sang qu'à Gengis il vous faut demander.

Allez; il n'aura pas de peine à l'accorder.

Dans le sang d'un époux trempez vos mains perfides;

Allez; ce jour n'est fait que pour des parricides.

Rendez vains mes sermens, sacrifiez nos lois,

Immolez votre époux et le sang de vos rois.

IDAME.

De mes rois! va, te dis-je, ils n'ont rien à prétendre;
Je ne dois point mon sang en tribut à leur cendre;
Va; le nom de sujet n'est pas plus saint pour nous
Que ces noms si sacrés et de père et d'époux.
La nature et l'hymen, voilà les lois premieres,
Les devoirs, les liens des nations entières;

Ces lois viennent des dieux; le reste est des humains:
Ne me fais point haïr le sang des souverains.
Oui, sauvons l'orphelin d'un vainqueur homicide;
Mais ne le sauvons pas au prix d'un parricide.
Que les jours de mon fils n'achètent point ses jours;
Loin de l'abandonner, je vole à son secours;
Je prends pitié de lui, prends pitié de toi-même,

De ton fils innocent, de sa mère qui t'aime.
Je ne menace plus, je tombe à tes genoux.
O père infortuné, cher et cruel époux!
Pour qui j'ai méprisé, tu t'en souviens peut-être,
Ce mortel qu'aujourd'hui le sort à fait ton maître;
Accorde-moi mon fils, accorde-moi ce sang,
Que le plus pur amour a formé dans mon fanc;
Et ne résiste point au cri terrible et tendre,
Qu'à tes sens désolés l'amour a fait entendre.
ZAMTI.

Ah! c'est trop abuser du charme et du pouvoir
Dont la nature et vous combattez mon devoir.
Trop foible épouse, hélas! si vous pouviez connoître....
IDAME.

Je suis foible, oui; pardonne, une mère doit l'être,
Je n'aurai point de toi ce reproche à souffrir,
Quand il faudra te suivre, et qu'il faudra mourir.
Cher époux, si tu peux au vainqueur sanguinaire,
A la place du fils sacrifier la mère,

Je suis prête; Idamé ne se plaindra de rien;
Et mon cœur est encore aussi grand que le tien.

Oui, j'en crois ta vertu.

ZAMTI.

Voltaire.

§ 71. Extrait d'une scène de Didon.

DIDON, à Enée.

Non, tu n'es point le sang des héros ni des dieux,
Au milieu des rochers tu reçus la naissance.
Un monstre des forêts éleva ton enfance;
Et tu n'as rien d'humain que l'art trop dangereux
De séduire une femme et de trahir ses feux.
Dis-moi qui t'appeloit aux bords de la Lybie?
T'ai-je arraché moi-même au sein de ta patrie?
Te fais-je abandonner un empire assuré,
Toi qui dans 1 univers, proscrit, désespéré,
Environné partout d'ennemis et d'obstacles,
Serois encor sans moi le jouet des oracles!
Les immortels jaloux du soin de ta grandeur
Menacent tes refus de leur courroux vengeur.
Ah! ces présages vains n'ont rien qui m'épouvante.
Il faut d'autres raisons pour convaincre une amante.
Tranquilles dans les cieux, contens de nos autels,
Les dieux s'occupent-ils des amours des mortels?
Notre cœur est un bien que leur bonté nous laisse.
Ou, si jusques à nous leur majesté s'abaisse,
Ce n'est que pour punir des traîtres comme toi,
Qui d'une foible amante ont abusé la foi.
Crains d'attester encór leur puissance suprême.
Leur foudre ne doit plus gronder que sur toi-même;
Mais tu ne connois point leur austère équité.

Tes dieux sont le parjure et l'infidélité.

Le Franc de Pompignan,

EPITRES.

$72. Epitre 1. AM. le Marquis de Seignelay, Secrétaire

d'Etat.

Dangereux ennemi de tout mauvais flatteur,
Seignelay, c'est en vain qu'un ridicule auteur,
Prêt à porter ton nom de l'Ebre jusqu'au Gange,
Croit te prendre aux filets d'une sotte louange,
Aussitôt ton esprit, prompt à se révolter,

S'échappe, et rompt le piége où l'on veut l'arrêter.
Il n'en est pas ainsi de ces esprits frivoles
Que tout flatteur endort au son de ses paroles;
Qui, dans un vain sonnet placés au rang des dieux,
Se plaisent à fouler l'Olympe radieux;

Et, fiers du haut étage où la Serre les loge,
Avalent sans dégoût le plus grossier éloge.
Tu ne te repais point d'encens à si bas prix.
Non que tu sois pourtant de ces rudes esprits
Qui regimbent toujours, quelque main qui les flatte:
Tu souffres la louange adroite et délicate
Dont la trop forte odeur n'ébranle point les sens.
Mais un auteur novice à répandre l'encens
Souvent à son héros dans un bizarre ouvrage,
Donne de l'encensoir au travers du visage;
Va louer Monterey d'Oudenarde forcé,
Ou vante aux électeurs Turenne repoussé.
Tout éloge imposteur blesse une âme sincère.
Si, pour faire sa cour à ton illustre père

Seignelay, quelque auteur, d'un faux zèle emporté,;
Au lieu de peindre en lui la noble activité,
La solide vertu, la vaste intelligence,

Le zèle pour son roi, l'ardeur, la vigilance,
La constante équité, l'amour pour les beaux arts,
Lui donnoit les vertus d'Alexandre ou de Mars;
Et, pouvant justement l'égaler à Mécène,
Le comparoit au fils de Pélée ou d'Alemène:
Ses yeux, d'un tel discours foiblement éblouis,
Bientôt dans ce tableau reconnoîtroient Louis;
Et, glaçant d'un regard la muse et le poëte,
Imposeroient silence à sa verve indiscrète.

Un cœur noble est content de ce qu'il trouve en lui,
Et ne s'applaudit point des qualités d'autrui.
Que me sert en effet qu'un admirateur fade
Vante mon embonpoint, si je me sens malade;

Si dans cet instant même un feu séditieux

Fait bouillonner mon sang et pétiller mes yeux ?
Rien n'est beau que le vrai: le vrai seul est aimable;
Il doit régner par tout, et même dans la fable:
De toute fiction l'adroite fausseté

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité.
Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces,
Sont recherchés du peuple, et reçus chez les princes?
Ce n'est pas que leurs sons agréables, nombreux,
Soient toujours à l'oreille également heureux;
Qu'en plus d'un lieu le sens n'y gêne la mesure,
Et qu'un mot quelquefois n'y brave la césure:
Mais c'est qu'en eux le vrai, du mensonge vainqueur,
Partout se montre aux yeux, et va saisir le cœur;
Que le bien et le mal y sont prisés au juste ;
Que jamais un faquin n'y tint un rang auguste;
Et que mon cœur, toujours conduisant mon esprit,
Ne dit rien aux lecteurs, qu'a soi-même il n'ait dit.
Ma pensée au grand jour partout s'offre et s'expose;
Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose.
C'est par là quelquefois que ma rime surprend :
C'est là ce que n'ont point Jonas ni Childebrand,
Ni tous ces vains amas de frivoles sornettes,
Montre, Miroir d'amours, Amitiés, Amourettes,
Dont le titre souvent est l'unique soutien,
Et qui, parlant beaucoup, ne disent jamais rien.
Mais peut-être, enivré des vapeurs de ma muse,
Moi-même en ma faveur, Seignelay, je m'abuse.
Cessons de nous flatter. Il n'est esprit si droit
Qui ne soit imposteur et faux par quelque endroit:

Sans cesse on prend le masque, et, quittant la nature,
On craint de se montrer sous sa propre figure.
Par là le plus sincère assez souvent déplaît.
Rarement un esprit ose être ce qu'il est.

Vois-tu cet importun que tout le monde évite;
Cet homme à toujours fuir, qui jamais ne vous quitte?
Il n'est pas sans esprit : mais, né triste et pesant,
Il veut être folâtre, évaporé, plaisant;

Il s'est fait de sa joie une loi nécessaire,

Et ne déplaît enfin que pour vouloir trop plaire.
La simplicité plaît sans étude et sans art.

Tout charme en un enfant dont la langue sans fard,
A peine du filet encor débarrassée,

Sait d'un air innocent bégayer sa pensée.

Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant;
Mais la nature est vraie, et d'abord on la sent;
C'est elle seule en tout qu'on admire et qu'on aime.
Un esprit né chagrin plaît par son chagrin même.
Chacun pris dans son air est agréable en soi:
Ce n'est que l'air d'autrui qui peut déplaire en moi.
Ce marquis étoit né doux, commode, agréable,
On vantoit en tous lieux son ignorance aimable.
Mais, depuis quelques mois devenu grand docteur,
Il a pris un faux air, une sotte hauteur :

Il ne veut plus parler que de rime et de prose ;
Des auteurs décriés il prend en main la cause;
Il rit du mauvais goit de tant d'hommes divers,
Et va voir Popéra seuleinent pour les vers.
Voulant se redresser, soi-même on s'estropie,
Et d'un original on fait une copie.

L'ignorance vaut mieux qu'un savoir affecté.
Rien n'est beau, je reviens, que par la vérité:

C'est par elle qu'on plaît, et qu'on peut long-temps plaire.
L'esprit lasse aisément, si le coeur n'est sincère.

En vain par sa grimace un bouffon odieux

A table nous fait rire, et divertit nos yeux :
Ses bons mots ont besoin de farine et de plâtre.
Prenez-le tête à tête, òtez-lui son théâtre;

Ce n'est plus qu'un cœur bas, un coquin ténébreux:
Son visage essuyé n'a plus rien que d'affreux,
J'aime un esprit aisé qui se montre, qui s'ouvre,
Et qui plaît d'autant plus, que plus il se découvre.
Mais la seule vertu peut souffrir la clarté :
Le vice, toujours sombre, aime l'obscurité;
Pour paroître au grand jour il faut qu'il se déguise :
C'est lui qui de nos mœurs a banni la franchise.

Jadis l'homme vivoit au travail occupé,
Et, ne trompant jamais, n'étoit jamais trompé :
On ne connoissoit point la ruse et l'imposture;
Le Normand même alors ignoroit le parjure:
Aucun rhéteur encore, arrangeant le discours,
N'avoit d'un art menteur enseigné les détours.
Mais sitôt qu'aux humains, faciles à séduire,
L'abondance eut donné le loisir de se nuire,
La mollesse amena la fausse vanité.

Chacun chercha pour plaire un visage emprunté :
Pour éblouir les yeux, la fortune arrogante
Affecta d'étaler une pompe insolente;
L'or éclata partout sur les riches habits;
On polit l'émeraude, on tailla le rubis;
Et la laine et la soie, en cent façons nouvelles,
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelles :
La trop courte beauté monta sur des patins :
La coquette tendit ses lacs tous les matins ;
Et, mettant la céruse et le plâtre en usage,
Composa de sa main les fleurs de son visage:
T. III. p. 3.

19

L'ardeur de s'enrichir chassa la bonne foi:
Le courtisan n'eut plus de sentimens à soi.
Tout ne fut plus que fard, qu'erreur, que tromperie:
On vit partout régner la basse flatterie.
Le Parnasse surtout, fécond en imposteurs,
Diffama le papier par ses propos menteurs,
De là vint cet amas d'ouvrages mercenaires,
Stances, odes, sonnets, épitres liminaires,
Où toujours le héros passe pour sans pareil,
Et fút-il louche et borgne, est réputé soleil.

Ne crois pas toutefois, sur ce discours bizarre,
Que d'un frivole encens malignement avare,
J'en veuille sans raison frustrer tout l'univers.
La louange agréable est l'âme des beaux vers:
Mais je tiens, comme toi, qu'il faut qu'elle soit vraie
Et que son tour adroit n'ait rien qui nous effraie.
Alors, comme j'ai dit, tu la sais écouter,.

Et sans crainte à tes yeux on pourroit t'exalter.
Mais, sans t'aller chercher des vertus dans les nues,
Il faudroit peindre en toi des vérités connues:
Décrire ton esprit ami de la raison;

Ton ardeur pour ton roi puisée en ta maison;
A servir ses desseins ta vigilance heureuse;

Ta probité sincère, utile, officieuse.

Tel, qui hait à se voir peint en de faux portraits,

Sans chagrin voit tracer ses véritables traits.

Condé même, Condé, ce héros formidable,

Et, non moins qu'aux Flamands, aux flatteurs redoutable, Ne s'offenseroit pas si quelque adroit pinceau

Traçoit de ses exploits le fidèle tableau;

Et, dans Seuef en feu contemplant sa peinture,
Ne désavoueroit pas Malherbe ni Voiture.
Mais malheur au poëte insipide, odieux,
Qui viendroit le glacer d'un éloge ennuyeux!
Il auroit beau crier: " Premier prince du monde !
Courage sans pareil! lumière sans seconde!

66

Ses vers, jetés d'abord sans tourner le feuillet,
Iroient dans l'antichambre amuser Pacolet.

§ 73. Epitre 2. A Racine.

Boileau.

Le sujet de cette épitre est l'utilité qu'on peut retirer de la jalousie de ses ennemis, et en particulier des bonnes et des mauvaises critiqnes. Elle fut composée à l'occasion de la tragédie de Phedre et Hippolite, que M. Racine fit représenter pour la première fois, le premier Janvier 1677.

Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur,
Emouvoir, étonner, ravir un spectateur!
Jamais Iphigénie en Aulide immolée,
N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,
Que dans l'heurenx spectacle à nos yeux étalé,
En a fait sous son nom verser la Chanmeslé.
Ne crois pas toutefois par tes savans ouvrages,
Entraînant tous les cœurs, gagner tous les suffrages.
Sitôt que d'Apollon un génie inspiré,
Trouve join du vulgaire un chemin ignoré,
En cent lieux contre lui les cabales s'amassent.
Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent:
Et son trop de lumière importunant les yeux,
De ses propres amis lui fait des envieux.
La mort seule ici-bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie,

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