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Le temps de l'Arabie est à la fin veņu.
Ce peuple généreux, trop long-temps inconnu,
Laissoit dans ses déserts ensevelir sa gloire;
Voici les jours nouveaux marqués pour la victoire.
Vois du nord au midi l'univers désolé,

La Perse encor sanglante et son trône ébranlé,
L'Inde esclave et timide, et l'Egypte abaissée,
Des murs de Constantin la splendeur éclipsée;
Vois l'empire Romain tombant de toutes parts,
Ce grand corps déchiré, dont les membres épars
Languissent dispersés, sans honneur et sans vie:
Sur ces débris du monde élevons l'Arabie.

Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers,
Il faut un nouveau dieu pour l'aveugle univers.
En Egypte Osiris, Zoroastre en Asie,

Chez les Crétois Minos, Numa dans l'Italie,

A des peuples sans mœurs, et sans culte, et sans rois,
Donnèrent aisément d'insuffisantes lois.

Je viens après mille ans changer ces lois grossières,
J'apporte un joug plus noble aux nations entières;
J'abolis les faux dieux, et mon culte épuré
De ma grandeur naissante est le premier degré.
Ne me reproche point de tromper ma patrie;
Je détruis sa foiblesse et son idolâtrie:

Sous un Dieu, sous un roi je viens la réunir;
Et pour la rendre illustre, il la faut asservir.

LOPIRE.

Voilà donc tes desseins: c'est donc toi dont l'audace
De la terre à ton gré prétend changer la face!
Tu veux en apportant le carnage et l'effroi,
Commander aux humains de penser comme toi:
Tu ravages le monde et tu prétends l'instruire.
Ah! si par des erreurs il s'est laissé séduire,

Si la nuit du mensonge a pu nous égarer,

Par quels flambeaux affreux veux-tu nous éclairer ? ¦
Quel droit as-tu reçu d'enseigner, de prédire,
De porter l'encensoir, et d'affecter l'empire è

MAHOMET.

Le droit qu'un esprit vaste et ferme en ses desseins
A sur l'esprit grossier des vulgaires humains.

91 ZOPIRE.

Eh quoi! tout factieux qui pense avec courage,
Doit donner aux mortels un nouvel esclavage?
Il a droit de tromper, s'il trompe avec grandeur?

MAHOMET.

Oui, je connois ton peuple, il a besoin d'erreur;
Ou véritable, ou faux, mon culte est nécessaire.

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Que t'ont produit tes dieux ? quel bien t'ont-ils pu faire ?
Quels lauriers vois-tu croître au pied de leurs autels?
Ta secte obscure et basse avilit les mortels,
Enerve le courage et rend l'homme stupide;:
La mienne élève l'âme et la rend intrépide;
Ma loi fait des héros.

ŽOPIRE.

Dis plutôt des brigands.

Porte ailleurs tes leçons, l'école des tyrans;
Va vanter l'imposture à Médine où tu règnes,

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Où tes maîtres séduits marchent sous tes enseignes.
Où tu vois tes égaux à tes pieds abattus.

MAHOMET.),

Des égaux! dès long-temps Mahomet n'en a plus.
Je fais trembler la Mecque, et je règne à Médine;
Crois-moi, reçois la paix, si tu crains ta ruine.

ZOPIRE.

La paix est dans ta bouche, et ton cœur en est loin.
Penses-tu me tromper?

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T. III. p. 3.

18

MAHOMET.

Je n'en ai pas besoin.

C'est le foible qui trompe, et le puissant commande.
Demain j'ordonnerai ce que je te demande;
Demain je puis te voir à mon joug asservi :
Aujourd'hui Mahomet veut être ton ami.
ZOPIRE.

Nous amis! nous! cruel! ah! quel nouveau prestige!
Connois-tu quelque dieu qui fasse un tel prodige?
MAHOMET.

J'en connois un puissant, et toujours écouté,

Qui te parle avec moi.

Ton intérêt.

ZOPIRE.

Qui?

MAHOMET.

La nécessité.

ZOPIRE.

Avant qu'un tel nœud nous rassemble,

Les enfers et les cieux seront unis ensemble.
L'intérêt est ton dieu, le mien est l'équité;
Entre ces ennemis il n'est point de traité.
Quel seroit le ciment, réponds-moi, si tu l'oses,
De l'horrible amitié qu'ici tu me proposes?
Réponds; est-ce ton fils que mon bras te ravit?
Est-ce le sang des miens que ta main répandit?
MAHOMET.

Oui, ce sont tes fils même. Oui, connois un mystère,
Dont seul dans l'univers je suis dépositaire:

Tu pleures tes enfans; ils respirent tous deux.

ZOPIRE.

Ils vivroient! qu'as-tu dit? 6 ciel, ô jour heureux!
Ils vivroient! c'est de toi qu'il faut que je l'apprenne!

MAHOMET.

Elevés dans mon camp, tous deux sont dans ma chaîne. ZOPIRE.

Mes enfans dans tes fers! ils pourroient te servir!

MAHOMET.

Mes bienfaisantes mains ont daigné les nourrir.

ZOPIRE.

Quoi! tu n'as point sur eux étendu ta colère.

MAHOMET

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Achève, éclaircis-moi, parle, quel est leur sort?
MAHOMET.

Je tiens entre mes mains et leur vie et leur mort;
Tu n'as qu'à dire un mot, et je t'en fais l'arbitre.
ZOPIRE.

Moi, je puis les sauver! à quel prix? à quel titre ?
Faut-il donner mon sang? faut-il porter leurs fers?
MAHOMET.

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Non mais il faut m'aider à tromper l'univers.

:

Il faut rendre la Mecque, abandonner ton temple,
De la crédulité donner à tous l'exemple,
Annoncer l'alcoran aux peuples effrayés,
Me servir en prophète, et tomber à ines pieds.
Je te rendrai ton fils, et je serai ton gendre.

ZOPIRE.

Mahomet, je suis père, et je porte un cœur tendre.
Après quinze ans d'ennui retrouver mes enfans,
Les revoir et mourir dans leurs embrassemens,
C'est le premier des biens pour mon âme attendrie;
Mais s'il faut à ton culte asservir ma patrie,

Ou de ma propre main les immoler tous deux,
Connois-moi, Mahomet, mon choix n'est pas douteux.

Adieu.

MAHOMET, seul.

Fier citoyen, vieillard inexorable, Je serai plus que toi cruel, impitoyable.

§ 69. Scène de Mérope.

Voltaire.

Egisthe, enchaîné, paroît devant Mérope qui veut l'interroger sur le meurtre qu'il a commis en se défendant,

MEROPE, EURICLÈS, EGISTHE, ISMÉNIE.

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Dieu qui formas ses traits, veille sur ton image!
La vertu sur le trône est ton plus digne ouvrage.
MEROPE.

C'est là ce meurtrier! se peut-il qu'un mortel
Sous des dehors si doux ait un cœur si cruel?
Approche, malheureux, et dissipe mes craintes.
Réponds-moi? de quel sang tes mains sont-elles teintes ?
EGISTHE

O reine, pardonnez ! le trouble, le respect,
Glacent ma triste voix tremblante à votre aspect.

(à Euriclès)

Mon âme en sa présence étonnée, attendrie....

MEPOPE.

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D'un jeune homme! mon sang s'est glacé dans mes veines. Ah!...t'étoit-il connu?

EGISTHE.

Non, les champs de Messènes,

Ses murs, leurs citoyens, tout est nouveau pour moi!

MEROPE.

Quoi ce jeune inconnu s'est armé contre toi?
Tu n'aurois employé qu'une juste défense?

EGISTHE.

J'en atteste le ciel; il sait mon innocence.
Aux bords de la Pamise, en un temple sacré,
Où l'un de vos aïeux, Hercule, est adoré,
J'osois prier pour vous ce dieu vengeur des crimes:
Je ne pouvois offrir ni présens ni victimes;
Né dans la pauvreté, j'offrois de simples vœux,
Un cœur pur et soumis, présent des inalheureux.
Il sembloit que le dieu, touché de mon hommage,
Au-dessus de moi-même élevât mon courage.
Deux inconnus armés m'ont abordé soudain,
L'un dans la fleur des ans, l'autre vers son déclin.
Quel est donc, m'ont-ils dit, le dessein qui te guide ?
Et quels vœux formes-tu pour la race d'Alcide?
L'un et l'autre à ces mots ont levé le poignard.
Le ciel m'a secouru dans ce triste hasard;
Cette main du plus jeune a puni la furie;

Percé de coups, madame, il est tombé sans vie.
L'autre a fui lâchement, tel qu'un vil assassin.
Et moi, je l'avouerai, de mon sort incertain,
Ignorant de quel sang j'avois rougi la terre,
Craignant d'être puni d'un meurtre involontaire,
J'ai traîné dans les flots ce corps ensanglanté.
Je fuyois; vos soldats m'ont bientôt arrêté:
Ils ont nommé Mérope et j'ai rendu les armes.
EURICLES.

Eh! madame, d'où vient que vous versez des larmes?
MEROPE.

Te le dirai-je? hélas: tandis qu'il m'a parlé,

Sa voix m'attendrissoit; tout mon cœur s'est troublé.
Cresphonte, ô ciel !...j'ai cru...que j'en rougis de honte!
Oui, j'ai cru démêler quelques traits de Cresphonte.
Jeux cruels du hasard, en qui me montrez-vous
Une si fausse image et des rapports si doux?
Affreux ressouvenir, quel vain songe m'abuse!
EURICLES.

Rejetez donc, madame, un soupçon qui l'accuse,
Il n'a rien d'un barbare, et rien d'un imposteur.
MEROPE.

Les dieux ont sur son front imprimé la candeur.
Demeurez: en quel lieu le ciel vous fit-il naître ?
EGISTHE.

En Elide.

MEROPE.

Qu'entends-je? en Elide! ah! peut-être...
L'Elide...répondez...Narbas vous est connu ?
Le nom d'Egisthe au moins jusqu'à vous est venu ?
Quel étoit votre état, votre sang, votre pêre?
EGISTHE.

Mon père est un vieillard accablé de misère;
Polyclète est son nom; mais Egisthe, Narbas,
Ceux dont vous me parlez, je ne les connois pas.
MEROPE.

O dieux, vous vous jouez d'une foible mortelle!
J'avois de quelque espoir une foible étincelle,
J'entrevoyois le jour, et mes yeux affligés
Dans la profonde nuit sont déjà replongés.
Et quel sang vos parens tiennent-ils dans la Grèce?
EGISTHE.

Si la vertu suffit pour faire la noblesse,

Ceux dont je tiens le jour, Polyclète, Sirris,
Ne sont point des mortels dignes de vos mépris:
Leur sort les avilit; mais leur sage constance
Fait respecter en eux l'honorable indigence.
Sous ses rustiques toits mon père vertueux

Fait le bien, suit les lois, et ne craint que les dieux.

MEROPE.

Chaque mot qu'il me dit est plein de nouveaux charmes. Pourquoi donc le quitter? pourquoi causer ses larmes ? Sans doute il est affreux d'ètre privé d'un fils.

EGISTHE.

Un vain désir de gloire a séduit mes esprits.
On me parloit souvent des troubles de Messène,
Des malheurs dont le ciel avoit frappé la reine,
Surtout de ses vertus dignes d'un autre prix :
Je me sentois ému par ces tristes récits.
De l'Elide en secret dédaignant la mollesse,
J'ai voulu dans la guerre exercer ma jeunesse,
Servir sous vos drapeaux, et vous offrir mon bras;
Voilà le seul dessein qui conduisit mes pas.
Ce faux instinct de gloire égara mon courage:
A mes parens, flétris sous les rides de l'àge,

J'ai de mes jeunes ans dérobé les secours;
C'est ma première faute, elle a troublé mes jours;
Le ciel m'en a puni; le ciel inexorable

M'a conduit dans le piége et m'a rendu coupable.
MEROPE.

Il ne l'est point: j'en crois son ingénuité :
Le mensonge n'a point cette simplicité.
Tendons à sa jeunesse uue main bienfaisante;
C'est un infortuné que le ciel me présente.

Il suffit qu'il soit homme, et qu'il soit malheureux.
Mon fils peut éprouver un sort plus rigoureux.
Il me rappelle Egisthe; Egisthe est de son âge:
Peut-être, comme lui, de rivage en rivage
Inconnu, fugitif et partout rebuté,

Il souffre le mépris qui suit la pauvreté.
L'opprobre avilit l'âme et flétrit le courage.
Pour le sang de nos dieux quel horrible partage.

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Voltaire.

Qu'ai-je vu qu'a-t-on fait? barbare! est-il possible?
L'avez-vous commandé ce sacrifice horrible?
Non: je ne puis le croire; et le ciel irrité
N'a pas dans votre sein mis tant de cruauté.
Non vous ne serez point plus dur et plus barbare
Que la loi du vainqueur et le fer du Tartare.
Vous pleurez, malheureux!

ZAMTI.

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Elle n'en a que trop, mais moins que mon devoir;
Et je dois plus au sang de mon malheureux maître,
Qu'à cet enfant obscur à qui j'ai donné l'être.

IDAMÉ.

Non: je ne connois point cette horrible vertu.
J'ai vu nos murs en cendre et ce trône abattu,
J'ai pleuré de nos rois les disgrâces affreuses;
Mais par quelles fureurs encor plus douloureuses
Veux-tu de ton épouse avancer le trépas,
Livrer le sang d'un fils qu'on ne demande pas?
Ces rois ensevelis, disparus dans la poudre,

Sont-ils pour toi des dieux dont tu craignes la foudre?
A ces dieux impuissans, dans la tombe endormis,
As-tu fait le serinent d'assassiner ton fils?
Hélas! grands et petits, et sujets et monarques,
Distingués un moment par de frivoles marques,
Egaux par la nature, égaux par le malheur,
Tout mortel est chargé de sa propre douleur ;
Sa peine lui suffit, et dans ce grand naufrage
Rassembler nos débris, voilà notre partage:
Où serois-je, grand Dieu, si ma crédulité
Eût tombé dans le piége à mes pas présenté ?

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