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M. Alphonse Leveaux, qui nous donne aujourd'hui, dans un livre remarquable, une collection d'extraits de l'oeuvre de Montaigne faite avec un goût sévère, avec une connaissance profonde de toutes ses parties. Chacun des chapitres a fourni un article spécial accompagné ou suivi de notes et d'appréciations qui éclairent le texte sans le surcharger, et de rapprochements très-ingénieux de Montaigne avec nos auteurs modernes, de son langage avec celui que nous parlons au dixneuvième siècle.

On peut dire que si M. Leveaux ne donne pas l'ouvrage entier de Montaigne, il le donne vraiment complet; en effet, rien n'a été omis des pensées de l'auteur, de tout ce qu'il peut offrir d'agréable ou d'utile: il a seulement laissé de côté, et avec raison, des répétitions fréquentes, des citations très-nombreuses que Montaigne semble avoir prodiguées pour sa sa satisfaction personnelle (il l'avoue lui-même), plus que pour l'instruction du lecteur.

La Fontaine a dit : « Les longs ouvrages me peur....... » Nous pensons tous un peu comme

font.

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la Fontaine, et nous devons remercier M. Leveaux d'avoir, avec un tact parfait, réduit les Essais à tout ce que cet immortel ouvrage renferme de vraiment digne de l'étude et de l'adıniration des lettrés, des moralistes et des gens du monde.

L'ÉTUDE SUR LES ESSAIS DE MONTAIGNE

forme un joli volume petit in-8° anglais

ORNÉ DU

PORTRAIT

DE

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MONTAIGNE.

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PRIX 6 FRANCS.

L'ouvrage est expédié franco en France à toute personne qui en adresse la valeur en un mandat de poste ou en timbres-poste à l'éditeur.

PARIS.

TYPOGRAPHIE HENRI PLON, IMPRIMEUR DE L'EMPEREUR, S, RUE GARANCIÈRE.

LE PROUFIT

I'ne page Vignes:

Montaigne donne ensuite quelques bons conseils aux jeunes mariés, et les engage à ne pas se montrer trop impatients et à prendre leur temps, si tout d'abord quelque mésaventure de ce genre leur arrive.

Il y a dans les histoires que raconte Montaigne des faits d'une authenticité douteuse et parfois même des contes de bonne femme. Il le sait parfaitement; mais tenant à en amuser son lecteur, il prend toutes les précautions convenables, et lui dit dans ce vingtième chapitre :

Les histoires que i'emprunte, ie les renvoye sur la conscience de ceulx de qui ic les prens.

C'est très-commode; on cite comme cela tout ce

qui a chance d'amuser, et je ne doute pas que le

livre des Essais ne se soit bien trouvé de cette méthode d'emprunt à responsabilité si prudemment limitée.

CHAPITRE XXI.

LE PROUFIT DE L'UN EST DOMMAGE DE L'AULTRE.

Une page seulement. J'aime assez les premières lignes :

Demades, Athenien, condemna un homme de la ville qui faisoit mestier de vendre les choses necessaires aux enterrements, soubs tiltre de ce qu'il en demandoit trop de proufit.

Je ne réclame aucune condamnation; mais que dirait aujourd'hui l'Athénien Démade? Il est évident qu'il en coûte affreusement cher pour se faire enterrer. Tout le monde le reconnait, et l'on crierait bien plus si l'on n'héritait pas.

Il ne se faict aulcun proufit qu'au dommage d'aultruy... Le marchand ne faict bien ses affaires qu'à la desbauche de la ieunesse; le laboureur, à la cherté des vivres; l'architecte, à la ruine des maisons; les officiers de la iustice, aux procez et querelles des hommes; l'honneur mesme et practique des ministres de la religion se tire de nostre mort et de nos vices; nul medecin ne prend plaisir à la santé de ses amis mesmes, dit l'ancien comique grec; ny soldat, à la paix de sa ville ainsi du reste. Et qui pis est, que chascun se sonde au dedans, il trouvera que nos souhaits interieurs, pour la pluspart, naissent et se nourrissent aux despens d'aultruy. Ce que considerant, il m'est venu en fantasie comme nature ne se desment point en cela de sa generale police; car les physiciens tiennent que la naissance, nourrissement et augmentation de chasque chose, est l'alteration et corruption d'une aultre............

:

Montaigne a tort de s'en prendre aux laboureurs, aux marchands, aux architectes, dont les bénéfices sont le plus souvent la légitime rémunération du

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travail, de l'habileté et du talent. De plus, loin de nous porter préjudice, ils nous sont très-utiles et nous avons besoin d'eux. L'économie sociale a fait de grands progrès, surtout depuis le commencement de notre siècle. Elle explique cette loi des échanges qui profite à tous, et qui est aujourd'hui la richesse des

nations.

Sur quelques autres points, Montaigne est bien dans le vrai, et c'est encore maintenant comme de son temps. Par exemple, quand il parle des officiers de justice, nous avons aujourd'hui les avoués, et n'est-il pas vrai que les procès sont ruineux? Et les médecins! Oh! ici, j'accepte franchement le titre de ce vingt et unième chapitre : le proufit de l'un est dommage de l'aultre. Le médecin gagne toujours, que le malade guérisse ou non; or, ce dont je suis convaincu, et en cela je suis de l'école de Molière qui a presque toujours raison, c'est que le plus souvent le malade guérit, sans que le médecin y soit pour rien, et dans ce cas ce que coûte le médecin représente un dommage, une dépense inutile et mal faite. Il faut être juste; il arrive parfois aux médecins de nous rendre la santé, et, comme on l'a souvent dit, ceux qu'ils tuent ne se sont jamais plaints : c'est là certainement le plus beau côté de leur profession.

En résumé, il me parait incontestable que Mon

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