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N'y n'entendent les stoïciens que l'ame de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantasies qui luy surviennent; ains, comme à subiection naturelle, consentent qu'il cede au grand bruit du ciel ou d'une ruyne, pour exemple, iusques à la pasleur et contraction, ainsin aux aultres passions, pourveu que son opinion demeure saulve et entiere, et que l'assiette de son discours n'en souffre atteinte ny alteration quelconque, et qu'il ne preste nul consentement à son effroy et souffrance. De celuy qui n'est pas sage, il en va de mesme en la premiere partie; mais tout aultrement en la seconde; car l'impression des passions ne demeure pas en luy superficielle, ains va penetrant iusques au siege de sa raison, l'infectant et la corrompant; il iuge selon icelles, et s'y conforme. Veoyez bien disertement et plainement l'estat du sage stoïque :

Mens immota manet; lacrymæ volvuntur inanes 1.

Le sage peripateticien ne s'exempte pas des perturbations, mais il les modère.

CHAPITRE XIII.

CERIMONIE DE L'ENTREVEUE DES ROYS.

Montaigne fait voir ici son esprit libre et peu courtisan, eu égard au temps où il vivait. Il met peu

1 Son cœur reste inébranlable, et c'est en vain qu'il pleure. VIRCILE, Énéide, IV.

d'importance à tout ce qui est cérémonie. Il lui suffit d'être un homme de bonne compagnie et de se montrer poli sans exagération : « l'ay veu souvent, dit

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il, des hommes incivils par trop de civilité, et importuns de courtoisie. »

Montaigne reçut plusieurs fois la cour. Henri IV logea chez lui.

A nos regles communes, ce seroit une notable discourtoisie, et à l'endroict d'un pareil, et plus à l'endroict d'un grand, de faillir à vous trouver chez vous quand il vous auroit adverty d'y debvoir venir voire, adioustoit la royne de Navarre Marguerite à ce propos, que c'estoit incivilité à un gentilhomme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souvent, pour aller au devant de celuy qui le vient trouver, pour grand qu'il soit; et qu'il est plus respectueux et civil de l'attendre pour le recevoir, ne feust que de peur de faillir sa route; et qu'il suffit de l'accompaigner à son partement. Pour moy, i'oublie souvent l'un et l'aultre de ces vains offices ; comme ie retranche en ma maison autant que ie puis de la cerimonie. Quelqu'un s'en offense, qu'y feroy ie? Il vault mieux que ie l'offense pour une fois, que moy touts les iours; ce seroit une subiection continuelle. A quoy faire fuit on la servitude des courts, si on l'entraisne iusques en sa tanière?.....

Non seulement chasque païs, mais chasque cité, et chasque vacation, a sa civilité particuliere. I'y ay esté assez soigneusement dressé en mon enfance, et ay vescu en assez bonne compaignie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre françoise, et en tiendrois eschole. l'ayme à

les ensuivre, mais pas si couardement que ma vie en demeure contraincte elles ont quelques formes penibles, lesquelles pourveu qu'on oublie par discretion, non par erreur, on n'en a pas moins de grace. l'ay veu souvent des hommes incivils par trop de civilité, et importuns de courtoisie.

Montaigne termine en parlant excellemment de la grande utilité de l'entregent dans les relations sociales :

C'est au demourant une tresutile science que la science de l'entregent. Elle est, comme la grace et la beaulté, conciliatrice des premiers abords de la societé et familiarité; et par consequent nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d'aultruy, et à exploicter et produire nostre exemple, s'il a quelque chose d'in

struisant et communicable.

Je trouve admirable cette définition de l'esprit d'entregent. Elle n'a pas vieilli ; elle est tout actuelle, et jamais rien n'a été dit de mieux sur ce sujet.

CHAPITRE XIV.

ON EST PUNY POUR S'OPINIASTRER A UNE PLACE SANS RAISON.

Il s'agit de la défense des places de guerre. Rier à dire et rien à citer de ce chapitre, dont le sujet n'a

que faire avec notre temps, où l'on s'opiniâtre bien aux places, mais pas aux places de guerre.

CHAPITRE XV.

DE LA PUNITION DE LA COUARDISE,

l'ouy aultrefois tenir à un prince et tresgrand capitaine, que pour lascheté de cœur un soldat ne pouvoit estre condamné à mort........... A la verité c'est raison qu'on face grande difference entre les faultes qui viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice............ De maniere que prou de gents ont pensé qu'on ne se pouvoit prendre à nous que de ce que nous faisons contre nostre conscience; et sur cette regle est en partie fondée l'opinion de ceulx qui condemnent les punitions capitales aux heretiques et aux mecreants.....

Montaigne tenait là un langage hardi pour son temps. Il aurait certainement voulu en dire plus encore. Mais rien que ce blâme infligé aux cruautés commises au nom de la religion était, en même temps qu'un acte de courage, un service rendu à l'humanité qui s'acheminait, guidée par le génie d'un grand homme comme par un flambeau, vers un avenir meilleur et plus conforme à la raison.

CHAPITRE XVI.

UN TRAICT DE QUELQUES AMBASSADEURS.

l'observe en mes voyages cette practique, pour apprendre tousiours quelque chose par la communication d'aultruy (qui est une des plus belles escholes qui puisse estre), de ramener tousiours ceulx avecques qui ie confère, aux propos des choses qu'ils sçavent le mieulx.

Rien de plus vrai, et dans ces quelques lignes tout est enseignement et tous les mots portent. Les voyages sont un puissant moyen de développement pour l'intelligence. Eh bien, quand nous voyageons, suivons l'avis de Montaigne. Tout ce monde avec lequel la vie de voyage nous met nécessairement en rapport, faisons-le parler pour notre profit, faisons causer chacun de ce qu'il sait, et nous apprendrons ainsi facilement, sans peine aucune, beaucoup de choses que nous ne savons pas.

Il y a toujours à gagner à lire Montaigne, et je considère le livre des Essais comme un excellent vademecum de tout esprit bien réglé qui désire s'éloigner le moins possible de la ligne droite, en suivant le chemin difficile de la vie. Molière, la Fontaine, la Bruyère, madame de Sévigné, Montesquieu,

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