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blé, il eust à chercher la victoire sanglante et hazardeuse..... Il dressa sa battaille en rond, assiegeant de toutes parts l'ost des Portugais; lequel rond venant à se courber et serrer, les empescha non seulement au conflict (qui feut tresaspre par la valeur de ce ieune roy assaillant), veu qu'ils avoient à montrer visage à touts sens, mais aussi les empescha à la fuyte aprez leur roupte; et, trouvants toutes les yssues saisies et closes, ils feurent contraincts de se reiecter à eulx mesmes...., et s'amonceller les uns sur les aultres, fournissants aux vainqueurs une tresmeurtriere victoire et tresentiere. Mourant il se feit porter et tracasser où le besoing l'appelloit, et, coulant le long des files, enhortoit ses capitaines et soldats, les uns aprez les aultres mais un coing de sa battaille se laissant enfoncer, on ne le peult tenir qu'il ne montast à cheval l'espee au poing; il s'efforçoit pour s'aller mesler, ses gents l'arrestants, qui par la bride, qui par sa robbe et par ses estriers. Cet effort acheva d'accabler ce peu de vie qui luy restoit on le recoucha. Luy, se resuscitant comme en sursault de cette pasmoison, toute aultre faculté luy defaillant pour advertir qu'on teust sa mort, qui estoit le plus necessaire commandement qu'il eust lors à faire, afin de n'engendrer quelque desespoir aux siens par cette nouvelle, expira tenant le doigt contre sa bouche close, signe ordinaire de faire silence. Qui vesceut oncques si long temps, et si avant en la mort? qui mourut oncques si, debout?

CHAPITRE XXII.

DES POSTES.

Les chemins de fer et la télégraphie électrique donnent une couleur affreusement fanée à ce chapitre. Mais il est curieux rien que par le contraste, et comme il est court, je vais le citer en entier.

Quelques mots avant. Je ne veux pas laisser échapper cette rare occasion de donner un juste éloge au siècle où nous sommes, et, quand nous entrons dans le domaine de la science, il y aurait mauvaise grâce à ne pas mettre le dix-neuvième siècle infiniment audessus de ceux qui l'ont précédé. Cette question des postes présente en effet une des conséquences les plus merveilleuses des découvertes scientifiques modernes, puisque aujourd'hui quelques heures suffisent pour nous mettre en communication, dans nos rapports de famille ou d'affaires, avec des pays éloignés de nous de plus de trois mille lieues. Au temps de Montaigne on n'était guère plus avancé que dans l'antiquité la plus reculée. C'est dans l'histoire des Perses qu'il faut chercher les premières traces d'un service de postes. Les civilisations grecque et romaine ne nous signalent aucun progrès notable sur

ce point. Au moyen âge, Charlemagne établit des lignes de poste pour faciliter ses communications avec son vaste empire. Mais c'est à Louis XI que la France doit une organisation sérieuse et régulière des postes. Il est vrai que l'édit du 19 juin 1464, établissant cette institution, ne s'occupe que du service du roi : il У consacra des sommes considérables, et, sur toutes les grandes routes de France, il y eut de quatre lieues en quatre lieues des maîtres tenant les chevaux courants du roi, qui portaient, de relais en relais, toutes les dépêches qui leur étaient adressées. Enfin Henri III rendit public l'usage de la poste, en créant des messagers royaux se chargeant des lettres des particuliers. Me voici, dans ce rapide exposé, à l'époque où vivait Montaigne, et je m'empresse de lui céder la place:

Ie n'ay pas esté des plus foibles en cet exercice, qui est propre à gents de ma taille, ferme et courte mais i'en quitte le mestier; il nous essaye trop pour y durer long temps. Ie lisois, à cette heure, que le roy Cyrus, pour recevoir plus facilement nouvelles de touts les costez de son empire, qui estoit d'une fort grande estendue, feit regarder combien un cheval pouvoit faire de chemin en un iour, tout d'une traicte; et à cette distance, il establit des hommes qui avoient charge de tenir des chevaulx prests pour en fournir à ceulx qui viendroient vers luy; et disent aulcuns, que cette vistesse d'aller revient à la inesure du vol des grues.

Cesar dict que Lucius Vibullius Rufus, ayant haste de porter un advertissement à Pompeius, s'achemina vers luy iour et nuict, changeant de chevaulx, pour faire diligence et luy mesme, à ce que dict Suetone, faisoit cent milles par iour sur un coche de louage; mais c'estoit un furieux courrier; car, où les rivieres luy trenchoient son chemin, il les franchissoit à la nage, et ne se destournoit du droict, pour aller querir un pont ou un gué. Tiberius Nero, allant veoir son frere Drusus malade en Allemaigne, feit deux cents milles en vingt quatre heures, ayant trois coches. En la guerre des Romains contre le roy Antiochus, T. Sempronius Gracchus, dict Tite Live, per dispositos equos prope incredibili celeritate ab Amphissa tertio die Pellam pervenit1 : et appert, à veoir le lieu, que c'estoient postes assises, non ordonnees freschement pour cette course.

L'invention de Cecina à r'envoyer des nouvelles à ceulx de sa maison, avoit bien plus de promptitude : il emporta quand et soy des arondelles, et les relaschoit vers leurs nids quand il vouloit r'envoyer de ses nouvelles, en les teignant de marque de couleur propre à signifier ce qu'il vouloit, selon qu'il avoit concerté avecques les siens.

Au theatre à Rome, les maistres de famille avoient des pigeons dans leur sein, ausquels ils attachoient des lettres, quand ils vouloient mander quelque chose à leurs gents au logis; et estoient dressez à en rapporter response. D. Brutus en usa, assiegé à Mutine; et aultres, ailleurs.

1 Se rendit en trois jours d'Amphisse à Pella, sur des chevaux de relais, avec une rapidité presque incroyable.

Au Peru, ils couroient sur les hommes, qui les chargeoient sur les espaules à tout des portoires, par telle agilité, que, tout en courant, les premiers porteurs reiectoient aux seconds leur charge, sans arrester un pas.

l'entends que les Valachi, courriers du Grand Seigneur, font des extremes diligences, d'autant qu'ils ont loy de desmonter le premier passant qu'ils treuvent en leur chemin, en luy donnant leur cheval recreu; et que, pour se garder de lasser, ils se serrent à travers le corps bien estroictement d'une bande large, comme font assez d'aultres. Ie n'ay trouvé nul seiour à cet usage.

CHAPITRE XXIII.

DES MAUVAIS MOYENS EMPLOYÉS A BONNE FIN.

Au commencement de ce chapitre quelques mots suffisent à Montaigne pour représenter l'ordre invariable et universel des choses de ce monde :

Il se treuve une merveilleuse relation et correspondance en cette universelle police des ouvrages de nature, qui montre bien qu'elle n'est ny fortuite, ny conduicte par divers maistres. Les maladies et conditions de nos corps se veoient aussi aux estats et polices : les royaumes, les republiques naissent, fleurissent, et fanissent de vieillesse,

comme nous.

Après avoir parlé de la guerre comme d'un moyen

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