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vité doulce, humble et tresmodeste; singulier soing de l'honnesteté et decence de sa personne et de ses habits, soit à pied, soit à cheval: monstrueuse foy en ses paroles; et une conscience et religion, en general, penchant plustost vers la superstition que vers l'aultre bout: pour un homme de petite taille, plein de vigueur, et d'une stature droicte et bien proportionnee; d'un visage agreable, tirant sur le brun; adroict et exquis en touts nobles exercices..... Sur mon propos, il disoit qu'en toute une province, à peine y avoit il une femme de qualité, qui feust mal nommee; recitoit des estranges privautez, nommeement siennes, avec des honnestes femmes, sans souspeçon quelconque; et, de soy, iuroit sainctement estre venu vierge à son mariage; et si, c'estoit aprez avoir eu longue part aux guerres delà les monts, desquelles il nous a laissé un papier iournal de sa main, suyvant poinct par poinct ce qui s'y passa et pour le public, et pour son privé........... Revenons à nos bouteilles.....

Ce dernier trait, « Revenons à nos bouteilles», n'estpas d'une douce gaieté et d'une charmante bonhomie?

il

CHAPITRE III.

COUSTUME DE L'ISLE DE CEA.

Ce chapitre traite du suicide. Montaigne parle pour et contre; peut-être un peu plus pour que

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contre, et de vifs reproches lui ont été adressés à ce sujet. D'abord nous voyons que Montaigne ne fait guère autre chose sur toutes les questions. Puis, dans son esprit si souvent flottant, les sentiments chrétiens et sincèrement chrétiens, il est impossible d'en douter, se sont trouvés sur ce point en lutte avec une admiration excessive pour l'antiquité païenne, où le suicide était, dans beaucoup de cas, admis et même honoré. Les lois romaines reconnaissaient l'entière liberté de l'homme sur sa propre personne. C'est sous cette influence que Montaigne écrivait les lignes suivantes :

.....

La mort est la recepte à touts maulx; c'est un port tresasseuré, qui n'est iamais à craindre, et souvent à rechercher. Tout revient à un, que l'homme se donne sa fin, ou qu'il la souffre; qu'il courre au devant de son iour, ou qu'il l'attende; d'où qu'il vienne, c'est tousiours le sien : en quelque lieu que le filet se rompe, il y est tout; c'est le bout de la fusee. La plus volontaire mort, c'est la plus belle. La vie despend de la volonté d'aultruy; la mort, de la nostre. En aulcune chose nous ne debvons tant nous accommoder à nos humeurs qu'en celle-là. La reputation ne touche pas une telle entreprinse : c'est folie d'y avoir respect........... Aux plus fortes maladies, les plus forts remedes..... Dieu nous donne assez de congé, quand il nous met en tel estat, que le vivre est pire que le mourir....... . Comme ie n'offense les loix qui sont faictes contre les larrons, quand l'emporte le mien, et que ie coupe ma bourse; ni des boutefeux, quand ie brusle mon bois :

aussi ne suis ie tenu aux loix faictes contre les meurtriers, pour m'estre osté ma vie.............

Mais à ces pensées évidemment empruntées au paganisme, voici ce que répond Montaigne, obéissant à la pensée bien plus élevée que le christianisme a fait dominer dans nos mœurs et dans nos lois :

Mais cecy ne s'en va pas sans contraste : car plusieurs tiennent, Que nous ne pouvons abandonner cette garnison du monde, sans le commandement exprez de celuy qui nous y a mis, et Que c'est à Dieu, qui nous a icy envoyez, non pour nous seulement, ouy bien pour sa gloire, et service d'aultruy, de nous donner congé quand il luy plaira, non à nous de le prendre : Que nous ne sommes pas nays pour nous, ains aussi pour nostre païs...........

y a bien plus de constance à user la chaisne qui nous tient, qu'à la rompre, et plus d'espreuve de fermeté en Regulus qu'en Caton.....

Enfin Montaigne présente contre le suicide l'argument suivant qui est sans réplique et qui aurait dû, à mon avis, adoucir la sévérité avec laquelle certains passages de ce chapitre ont été jugés :

.....

Touts les inconvenients ne valent pas qu'on veuille mourir pour les eviter : et puis, y ayant tant de soubdains changements aux choses humaines, il est malaysé à iuger à quel poinct nous sommes iustement au bout de nostre

esperance.....

« Voilà sans contredit la plus forte raison contre

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» le suicide, dit Servan; l'inconstance des choses >> et l'inconstance humaine; car il peut arriver, ou

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que les choses changent par rapport à l'homme,

» ou que l'homme change par rapport aux choses,

et, dans les deux cas, le suicide est hors-d'œuvre. »

Je ne puis suivre Montaigne dans les nombreux exemples qu'il cite de cette sortie violente de la vie. J'en compte plus de trente; Cléomènes, Agis, Régulus, Caton, Cassius et Brutus, Sextilia, Sophronie et bien d'autres encore! Quel infatigable conteur que Montaigne! Et comme il faut toujours que le Gascon d'humeur gauloise montre le bout de l'oreille, il mêle à cette liste funèbre un épisode terriblement risqué. J'hésite un peu à le citer. Après tout, c'est de Montaigne, et le mot de la fin est tout à fait gai :

L'histoire ecclesiastique a en reverence plusieurs tels exemples de personnes devotes, qui appelerent la mort à garant contre les oultrages que les tyrans preparoient à leur religion et conscience. Pelagia et Sophronia, toutes deux canonisees, celle là se precipita dans la riviere avecques sa mère et ses sœurs, pour eviter la force de quelques soldats; et cette cy se tua aussi, pour eviter la force de Maxentius l'empereur.

Il nous sera à l'adventure honnorable aux siecles advenir, qu'un sçavant aucteur de ce temps, et notamment pa

risien, se mette en peine de persuader aux dames de nostre. siecle de prendre plustost tout aultre party, que d'entrer en l'horrible conseil d'un tel desespoir. Je suis marry qu'il n'a sceu, pour mesler à ses contes, le bon mot que i'apprins à Toulouse, d'une femme passee par les mains de quelques soldats : «Dieu soit loué! disoit elle, qu'au moins » une fois en ma vie ie m'en sois saoulee sans peché! »

CHAPITRE IV.

DEMAIN LES AFFAIRES.

Montaigne, qui n'est jamais pressé et remet volontiers son sujet à demain, commence par faire l'éloge de Jacques Amyot, à qui il donne la palme sur touts nos escrivains françois. Ensuite il se sert, comme transition, d'une anecdote que lui fournit son grand pourvoyeur Plutarque pour en venir au titre de son chapitre.

Montaigne, tout en faisant l'aveu de sa nonchalance, ne veut pas qu'on remette les affaires à demain, surtout quand on occupe des fonctions publiques pour ne rompre son disner, voire ny son sommeil, il est inexcusable de le faire.

Le vice contraire à la curiosité, c'est la nonchalance, vers laquelle ie penche evidemment de ma complexion, et

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