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bourbeux que nous soyons et que nous ayons à estre à l'advenir : mais encores, en recompense, la fault il regarder de bon œil; encores fault il recevoir ce pardon avec action de graces; et au moins, pour cet instant que nous nous adressons à elle, avoir l'ame desplaisante de ses faultes et ennemie des passions qui nous ont poulsé à

l'offenser.

pas

Dans cette fin de chapitre, qui est comme une admirable péroraison, Montaigne n'est pas resté audessous des maîtres de l'éloquence sacrée. Certes ces belles pensées, ce langage si pur et si élevé, ne sont d'un homme irréligieux, ainsi que l'ont prétendu avec la rigueur la plus injuste les solitaires de PortRoyal. Il est à remarquer que Pascal, qui leur donne souvent raison contre Montaigne, n'en a pas moins trouvé bon de lui faire de nombreux emprunts. Du reste, s'il a dit beaucoup de mal des Essais, il en a dit aussi beaucoup de bien. Il y en a qui font pis : Voltaire, par exemple, s'est servi de Shakespeare et n'en a dit que du mal. Il est vrai dans ses ennuyeuses imitations, il a pris si peu à Shakespeare, qu'il n'avait que faire de lui en être

que,

reconnaissant.

CHAPITRE LVII.

DE L'AAGE.

On pourrait contester plusieurs des opinions émises dans ce chapitre. Mais la lecture en est trèsagréable. Il est écrit dans ce langage expressif qui met toute la pensée dehors et où les choses sont plus entièrement dites qu'elles ne l'ont jamais été depuis. La langue du dix-septième siècle, la plus belle de notre littérature, la plus conforme aux lois éternelles du goût, devait nécessairement être limitée par ses qualités exquises d'harmonie, de pureté sévère et de concision. Aujourd'hui nous sommes diffus. Nos livres sont bavards; la phrase touffue les envahit, et nos seuls bons écrivains sont encore ceux qui, sans s'ingénier à chercher des formes nouvelles et à mettre vingt mots là où quatre suffiraient, suivent simplement les traditions des deux siècles derniers.

Montaigne fait l'éloge de la jeunesse, et il a bien raison. Il n'y a guère que cela de bon dans la vie. Mais n'est-ce pas aller trop loin que de prétendre que

passé trente ans le déclin commence? C'est une erreur. Montaigne se prend pour exemple :

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Quant à moy, ie tiens pour certain que, depuis cet aage, et mon esprit et mon corps ont plus diminué qu'augmenté, et plus reculé que advancé. Il est possible qu'à ceulx qui employent bien le temps, la science et l'experience croissent avecques la vie; mais la vivacité, la promptitude, la fermeté, et aultres parties bien plus nostres, plus importantes et essentielles, se fanissent et s'allanguissent.

Le corps, c'est possible; mais l'esprit, incontestablement non. De plus, l'exemple est mal choisi. Montaigne avait plus de trente-cinq ans lorsqu'il commença ses Essais. Il y travaillait encore à cinquante-cinq ans, peu d'années avant sa mort, et ce livre a immortalisé son nom. Donc, il est permis de le croire, ce qu'il était avant trente ans ne vaut pas ce qu'il a été après.

FIN DU LIVRE PREMIER.

LIVRE SECOND.

CHAPITRE PREMIER.

DE L'INCONSTANCE DE NOS ACTIONS.

Il est vrai, comme le dit Montaigne au commencement de ce chapitre premier du livre second, que l'inconstance et l'irrésolution sont au nombre des défauts les plus communs et les plus apparents de notre nature. En ce moment j'ai peur, pour mon propre compte, que la constance ne me manque. avant d'avoir achevé cette étude, que j'ai commencée avec une ardeur convaincue. Je suis incertain. A mesure que j'avance, je trouve la tâche plus difficile. Ce qui me déplaît surtout, c'est de placer à chaque instant ma faible prose près de celle d'un grand écrivain. Je serais tenté d'y renoncer, si je ne pensais rendre un léger service à quelques lecteurs peu familiarisés avec Montaigne, en les amenant ainsi à le connaître, d'une manière imparfaite sans doute, mais assez pour lui accorder leur juste et vive

admiration.

Cette raison donnée, la seule qui me semble bonne, je reprends mes citations :

Il y a quelque apparence de faire iugement d'un homme par les plus communs traicts de sa vie; mais veu la naturelle instabilité de nos mœurs et opinions, il m'a semblé souvent que les bons aucteurs mesmes ont tort de s'opiniastrer à former de nous une constante et solide contexture ils choisissent un air universel; et, suyvant cette image, vont rengeant et interpretant toutes les actions d'un personnage; et s'il ne les peuvent assez tordre, les renvoyent à la dissimulation.....

C'est là une observation très-juste. Mais l'auteur n'est pas seul blâmable; il cède au goût du lecteur à qui, même dans un récit historique, il faut présenter des personnages d'une constante et solide contexture: c'est un parti à prendre en commençant un portrait d'histoire. On fait choix du caractère, de la physionomie qu'on lui donnera, et, ce choix arrêté, il faut s'y tenir jusqu'à la fin. Au théâtre, cette condition s'impose impérieusement. Le public veut que dans une comédie, dans un drame, les personnages principaux soient, pour ainsi dire, tout d'une pièce. Bons ou méchants, il ne leur permet pas de changer. S'ils se démentent, il les siffle. Et pourtant le contraire se voit fréquemment dans la vie réelle, parce que Dieu n'a fait l'homme ni absolument bon,

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