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Le grand Seigneur ne permet auiourd'huy, ny à un chrestien, ny à un iuif, d'avoir cheval à soy, soubs son einpire.

Le Grand Seigneur est devenu plus accommodant; il permet maintenant le cheval et même la voiture.

Plus loin Montaigne dit qu'il espère qu'on renoncera à l'usage des armes à feu, parce qu'elles sont de trop peu d'effet :

.....

Ie conseillerois de choisir les armes les plus courtes, et celles de quoy nous nous pouvons le mieulx respondre. Il est bien plus apparent de s'asseurer d'une espee que nous tenons au poing, que du boulet qui eschappe de nostre pistole, en laquelle il y a plusieurs pieces, la pouldre, la pierre, le rouet, desquelles la moindre qui vienne à faillir vous fera faillir vostre fortune. On assene peu seurement le coup que l'air vous conduict :

Et, quo ferre velint, permittere vulnera ventis :

Ensis habet vires et gens quæcumque virorum est,
Bella gerit gladiis 1.

Mais quant à cette arme là, i'en parleray plus amplement, où ie feray comparaison des armes anciennes aux nostres; et, sauf l'estonnement des aureilles, à quoy désormais chascun est apprivoisé, ie crois que c'est une arme de fort peu d'effect, et espere que nous en quitterons un iour l'usage.

1

....

Lorsqu'on s'en rapporte aux vents du soin de porter les coups au hasard; l'épée est puissante, et toutes les nations valeureuses combattent avec le glaive. LUCAIN.

Il s'en faut que cette espérance se soit réalisée. C'est le contraire. Mais du moins Montaigne ne pourrait dire aujourd'hui que les armes à feu ne font point d'effet. Les perfectionnements réalisés de nos jours, il faut bien appeler cela des perfectionnements, les canons rayés, les fusils nouveaux, lui donneraient toutes les satisfactions possibles sur ce point.

Montaigne regarde les Français comme les premiers écuyers du monde. Je ne sais si nous avons conservé cette supériorité, et j'avoue que cela m’intéresse peu. Mais j'ai vu plus d'une fois, dans les cirques, faire des tours d'agilité assez semblables à ceux dont parle Montaigne à la fin de ce chapitre :

On a veu de mon temps, à Constantinople, deux hommes sur un cheval, lesquels, en sa plus roide course, se reiectoient, à tours, à terre, et puis sur la selle; et un qui, seulement des dents, bridoit et enharnachoit son cheval : un aultre qui, entre deux chevaux, un pied sur une selle, l'aultre sur l'aultre, portant un second sur ses bras, picquoit à toute bride; ce second, tout debout sur luy, tirant en la course, des coups bien certains de son arc : plusieurs qui, les iambes contremont, donnoient carriere, la teste plantee sur leurs selles entre les poinctes des cimeterres attachez au harnois. En mon enfance, le prince de Sulmone, à Naples, maniant un rude cheval de toute sorte de maniements, tenoit soubs ses genouils et soubs ses or

teils, des reales, comme si elles y eussent esté clouees, pour montrer la fermeté de son assiette.

C'est là certainement un modèle du genre descriptif. Ce style, quoique d'une rare souplesse, sent le travail, mais un travail auquel Montaigne a dû se complaire. Je ne doute pas que ce quarante-huitième chapitre ne lui ait pris beaucoup de temps, et n'ait subi de nombreuses retouches avant d'être livré à l'impression.

CHAPITRE XLIX.

COUSTUMES ANCIENNES.

Coustumes anciennes, dit Montaigne; mais ce sont les coutumes de son temps qui sont anciennes, et très-anciennes à présent, et les nôtres même ne tarderont pas à le devenir, tout en nous survivant. Tant est petite la place que nous occupons, pendant quelques instants à peine, sur cette vastę scène du monde où se joue toujours à peu près la même pièce, avec des décors et des acteurs sans cesse nouveaux !

A propos du vêtement, Montaigne se moque avec

esprit des caprices de la mode, et se plaint de ce qu'on change d'opinion et d'advis touts les mois.

Quand nostre peuple portoit le busc de son pourpoinct entre les mammelles, il maintenoit, par vifves raisons, qu'il estoit en son vray lieu quelques annees aprez, le vôyià avalé iusques entre les cuisses; il se mocque de son aultre usage, le treuve inepte et insupportable. La façon de se vestir presente luy faict incontinent condamner l'ancienne, d'une resolution si grande et d'un consentement si universel, que vous diriez que c'est quelque espece de manie qui luy tourneboule ainsi l'entendement. Parce que nostre changement est si subit et si prompt en cela, que l'invention de touts les tailleurs du monde ne sçauroit fournir assez de nouvelletez, il est force que bien souvent les formes mesprisees reviennent en credit, et celles là mesmes tumbent en mespris tantost aprez; et qu'un mesme iugement prenne, en l'espace de quinze ou vingt ans, deux ou trois, non diverses seulement, mais contraires opinions, d'une inconstance et legiereté incroyable. Il n'y a si fin entre nous, qui ne se laisse embabouiner de cette contradiction, et esblouïr tant les yeulx internes que les externes insensiblement.

Ce chapitre est une revue rapide d'anciens usages. Quelques-uns concernent les détails les plus intimes de la vie privée, et j'éprouve ici quelque embarras. Montaigne ne se gêne pas pour appeler les choses par leur nom. J'hésite; je citerai un peu trop, peut-être, et cependant je ne citerai pas tout.

Ie veulx ici entasser aulcunes façons anciennes que i̇'ay en memoire, les unes de mesme les nostres, les aultres differentes; à fin qu'ayant en l'imagination cette continuelle variation des choses humaines, nous en ayons le iugement plus esclaircy et plus ferme.....

Aux bains, que les anciens prenoient touts les iours avant le repas, et les prenoient aussi ordinairement que nous faisons de l'eau à laver les mains, ils ne se lavoient du commencement que les bras et les iambes; mais depuis, et d'une coustume qui a duré plusieurs siecles et en la pluspart des nations du monde, ils se lavoient tout nuds d'eau mixtionnee et parfumee, de maniere qu'ils employoient pour tesmoignage de grande simplicité, de se laver d'eau simple. Les plus affettez et delicats se parfumoient tout le corps bien trois ou quatre fois par iour. Ils se faisoient souvent pinceter tout le poil, comme les femmes françoises ont prins en usage, depuis quelque temps, de faire leur front........... Ils mangeoient couchez sur des licts, à peu prez en mesme assiette que les Turcs de nostre temps..... Ils baisoient les mains aux grands, pour les honnorer et caresser. Et entre les amis, ils s'entrebaisoient, en se saluant, comme font les Venitiens... et touchoient aux genouils pour requerir et saluer un grand..... Ils mangeoient, comme nous, le fruict à l'issue de la table. Ils se torchoient le cul (il faut laisser aux femmes cette vaine superstition des parolles) avecques une esponge; voylà pourquoy spongia est un mot obscoene en latin : et estoit cette esponge attachee au bout d'un baston.....

Voilà des parolles terriblement gauloises! Après tout, prenons cela comme un document historique. Il n'y avait pas de journaux dans ce temps-là. Com

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