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Lesy Le-ne-s

MICHEL DE MONTAIGNE

MONTAIGNE (Michel, seigneur de), naquit au château de Montaigne, en Périgord, le 28 février 1533. Il fit ses études à Bordeaux, au collège de Guienne, le plus florissant de France à cette époque. Après les avoir terminées à l'âge de treize ans, il fit son cours de droit, et fut pourvu en 1554 d'une charge de conseiller au parlement de Bordeaux. Il fut alors reçu à la cour de Henri II, qui le prit en singulière estime. C'est aussi vers cette époque qu'une parfaite conformité de sentiments le lia avec La Boétie d'une amitié devenue célèbre.

A trente-huit ans, fatigué des fonctions publiques et de l'esclavage de la cour, il se retira dans son château de Montaigne pour se livrer à l'étude. C'est alors qu'il commença à composer les Essais, dont la première partie parut à Bordeaux en 1580; mais c'est alors aussi qu'il reçut les premières atteintes de la cruelle maladie, la gravelle d'abord, puis ensuite la pierre, qui devait, à un âge

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peu avancé, le conduire au tombeau. Quoique souffrant déjà, il n'entreprit pas moins un voyage qui dura dix-huit mois, en Suisse, en Italie et en Allemagne. A Rome, il reçut des lettres de citoyen romain, et fut admis à baiser les pieds du SaintPère, Grégoire XIII, qui l'exhorta « de continuer à » la dévotion qu'il avait toujours portée à l'Eglise » et service du Roi Très-Chrétien. » A vrai dire, le Saint-Père se montra indulgent, et il ne me semble pas que Montaigne ait rendu de bien grands services à l'Église.

Il partit de Rome pour se rendre aux eaux della Villa, où il apprit qu'il venait d'être élu maire de Bordeaux (août 1581). Il refusa d'abord, et ne se décida, contre son gré, à accepter que pour obéir à Henri III, qui lui écrivit à cette occasion. Montaigne, dans cette importante fonction,se maintint, au milieu même de la guerre civile, << amy des "natures temperees et moyennes ». Sa maxime était « qu'on ne doit pas refuser aux charges qu'on prend l'attention, les pas, les paroles, et la sueur » et le sang au besoin. » Maxime admirable! Belle leçon peu suivie dans tous les temps, mais surtout au temps où nous sommes! Après quatre années d'exercice, il put dire justement « qu'il ne laissait après lui ni offense ni haine. »

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Il employa ses dernières années à faire de nouvelles additions aux Essais, et mourut le 12 septembre 1592, à l'âge de cinquante-sept ans.

Pourquoi tenter cette étude? Pourquoi venir encore parler de Montaigne, après tant d'autres qui l'ont fait avec plus d'autorité que moi? C'est téméraire, j'en conviens; mais deux raisons me soutiennent et me décident, d'abord ma vive admiration pour ce profond observateur de la nature humaine, ensuite la conviction où je suis que je fais quelque chose d'utile, en appelant une fois de plus l'attention du lecteur sur le livre immortel des Essais : « C'est icy un livre de bonne foy, dit Mon

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taigne; ie veulx qu'on m'y veoye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice; car c'est moy que ie peinds. Mes deffauts s'y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïfve, autant que la reverence publicque >> me l'a permis

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Eh bien, ce livre, tout le monde l'admire, mais il s'en faut que tout le monde le lise, un peu à cause des légères difficultés que présentent les formes

primitives de la langue de Montaigne, bien plus, parce qu'on donne aujourd'hui très-peu de temps aux lectures sérieuses. Il faut le regretter, et le but de cette étude est d'inspirer au lecteur, en lui offrant de nombreuses citations des Essais, le désir de lire le livre tout entier. Je n'en connais pas qui enseigne mieux la science de la vie.

La langue de Montaigne a vieilli, sans cesser d'être belle. Fénelon en regretta la perte. Un des meilleurs écrivains d'aujourd'hui, M. Prévost-Paradol, a raison de dire que les changements survenus dans notre idiome ont plutôt augmenté qu'affaibli le charme de sa parole.

Avant de passer au premier chapitre des Essais, je dois dire que je me suis beaucoup servi de l'excellente édition de M. Charles Louandre, dont j'ai adopté les traductions pour un grand nombre de citations latines.

ÉTUDE

SUR LES

ESSAIS DE MONTAIGNE

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

PAR DIVERS MOYENS ON ARRIVE A PAREILLE FIN.

Montaigne ne s'est proposé ni plan ni méthode pour son livre des Essais. Il l'a écrit au jour le jour, sans savoir où il s'arrêterait, ni quelle en serait l'étendue. Ce n'est pas ainsi que se font les chefsd'œuvre, et cependant c'est un chef-d'œuvre, et c'est bien ainsi qu'il a été fait. Montaigne le dit luimême : « le n'ay point d'aultre sergent de bande à ranger mes pieces que la fortune. » De plus, l'idée qui lui venait en écrivant ou que développaient les hasards de la plume, n'est pas toujours d'accord

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