Page images
PDF
EPUB

eft la maison paternelle & les affemblées populaires, la tribune de la convention & celle des tribunaux.

Quant aux arts, leur éclipfe doit durer encore quelque temps; c'est-à-dire jufqu'à ce que nous ayions abbatu ou enchaîné tous les ennemis de la république aux pieds de la ftatue de la liberté. Une fois affermie fur fa bafe, fans doute que les artistes. nés pour Pindépendance, réveilleront leur verve à la voix de la patrie hors de danger, & enfanteront de quoi nous dédommager des chef-d'œuvres qu'on nous reproche d'avoir renversé ou mutilé d'une main barbare; mais duffent les arts être ensevelis avec la royauté, ne les regrettons pas, tant que la nature offrira à notre admiranon des merveilles fi nombreuses & trop peu connues. D'ailleurs périffent, oui, périffent les arts, s'il faut les acheter au prix de la liberté! car s'il eft vrai qu'ils font les enfans du luxe, il faudra bien y renoncer, en renonçant au luxe ce ver rongeur des vertus républicaines. Périffent donc tous les arts plutôt que la liberté, l'égalité, la république! Poffédons de grands hom-. mes, de bons citoyens, de préférence à de belles ftatues; montrons de belles actions, en réalité plutôt qu'en peinture; ne nous amufons pas à représenter fur la fcène les héros du patriotifme, de l'amitié, de l'amour maternel, de la tendreffe conjugale; foyons nous-mêmes ces héros; ayons d'abord des mœurs; il fe trouvera toujours, bien des poëtes pour les chanter, des hiftoriens pour les redire à nos defcendans.

[ocr errors]

Pour ce qui regarde les femmes, nous ne confeillons pas à nos compagnes, à nos amies, à nos fœurs, de le modeler fur les Lacédémoniennes, lefquelles parta-. geoient prefque tous les exercices des hommes, luttant avec eux corps à corps & comme eux, en l'abfence de tout vêtement. Nous difpenfons volontiers de ces mœurs viriles un fexe deftiné à des occupations plus paifibles & à de plus doux combats; nous aimons mieux les rappeler aux vertus moins héroïques peut-être, mais plus naturelles & non moins utiles à la république, des premières citoyennes de la Gaule & de la Germanie (1).

(1) Un des griefs allégués contre le ministère du citoyen Roland, c'est qu'il confultoit fa femme. C'est Danton lui-même qui a eu le courage de fe charger de ce reproche, & qui ne craignit pas de le faire avec une ironie déplacée, dans la tribune de la convention nationale. Nous dirons au citoyen Danton qu'une telle dénonNo. 170. Tome 14.

B

Jufqu'à préfent les nôtres ont eu continuellement fous les yeux les turpitudes d'une cour qui fe permettoit tout, Les modes difpendieufes & les vices quelquefois trop aimables du château de Versailles étoient fidélement copiés par les Parifiennes de tout étage: celles-ci donnoient le ton aux autres villes de l'empire; des cités, ce débordement de mauvaises moeurs gagnoit les hameaux; l'époufe & les filles du laboureur fe modeloient fur la dame du lieu & les femmes de fa fociété; l'impertinence & l'immodestie du maintien paffoit pour un air de nobleffe qui en impofoit; le gafpillage & la galanterie ruinoient les familles & multiplioient les mauvais ménages; la royauté méritoit d'être abolie, quand ce n'eût été qu'à caufe des fcandales de la cour. Bonnes gens que nous étions! Depuis trois ans nous nous difions libres, en gardant au milieu de nous une pépinière d'efclaves qui vantoient les bienfaits de la fervitude & la vouloient faire aimer; nous parlions de régénérer nos mœurs, & nous confervions au fein de la patrie un foyer de cor-' ruption, un dédale inextricable de baffes intrigues. Tous les maux qui ont inondé la France font fortis de la cour, plus fatale que la boîte de Pandore, au fond de laquelle du moins fe trouvoit l'espérance.

Plufieurs de nos voisins, qui vantent l'excellence de leur gouvernement, fouffrent chez eux des nobles & des courtifanes, entretiennent des prêtres & des mouchards. Nous perfiftons, nous, à croire que la noblesse & la prêtraille, le catinifme & l'efpionnage font quatre élémens qui ne peuvent entrer dans la compofition des bonnes mœurs bafes premières de toute république bien conftituée.

2

ciation étoit au-deffous de lui. Sans doute il eft ridicule & dangereux que les hommes en place fe laiffent influencer par des femmes ; mais il falloit admettre quelque différence entre la citoyenne Roland & la Staël, par exemple.

Dans tous les cas, ce n'étoit point au citoyen Danton à lever publiquement le voile qui couvre l'intimité si naturelle qui exifte entre deux époux honnêtes, ne faifant rien fans te confulter. Il feroit à défir er que le citoyen Danton cût été auffi bien entouré dans fes bureaux que on confrère Roland.

Res eft facra mifer.

Le malheureux eft facré.

Puifqu'il n'y a plus de roi en France, les uftenfiles du métier ne font plus bons qu'à faire de l'argent pour payer les frais de vacation. En conféquence, par un décret rendu à l'unanimité, il eft ordonné de porter à la monnoie , pour y être convertis en espèces nationales, le fceptie & la couronne, le trône & la main de juftice, &c. Je tout après avoir été brifé & mis en pièces en la prétence du véritable louverain. Si la motion faite par P. Manuel à la première féance de la convention avoit pris faveur, fans doute que l'ex-procureur de la commune fe feroit empreffé de revendiquer aujourd'hui tous ces menus objets pour en décorer le préfident des Français.

La convention vient de prononcer fur l'emploi qu'il convenoit de faire de ces hochets royaux; elle eût agi fagement encore de ne pas abandonner l'homme qui les portoit à la difcrétion de la municipalité. Louis XVI, du haut de fon trône, donnant l'ordre de fermer les portes de la falle d'aflemblée aux repréfentans de la nation, méritoit la réponie fière & courageufe que l'aîné des Mirabeau lui fit en s'adreffant à Brzé. Louis XVI, dans la foirée du 20 juin, méritoit quelque chofe de plus ferme encore que ce que lui répliqua le maire de Paris, à qui il ooit dire: Retirez-vous. Louis XVI, le 10 août, venant avec baffeffe & perfidie chercher un afile au fein de la légiflature, auffi-tôt après avoir donné le fignal du maffacre des citoyens réunis devant le château des Tuileries, méritoit tout au moins d'être transféré dans les tours du Temple pour y attendre fa fentence de mort. Mais du moment que ce lache aflailin des patriotes fut confiitué prifonnier, la loi & l'humanité devoient le mettre à l'abri non-feulement des farcafines ou des malédictions des citoyens préposés à fa garde, mais encore des leçons amères & humiliantes des magiftrats chargés de veiller fur fa perfomme. Le devoir de la convention étoit du moins de fe faire rendre un compte exact du régime intérieur du palais du Temple, & de rappeler à la décence & anx gards dus à l'infortune les gardiens de Louis XVI, & ceux qui les infpedient.

En conféquence d'un décret qui, après l'abolition de la royauté, en fupprime toutes les marques extérieuses,' fox fur les chofes, foit fur les perfonnes, un arreté de

Ba

le commune porte que les habits de Louis XVI n'étaleront plus aucune décoration. Sans examiner ici s'il ne convenoit pas plutôt de lui permettre de se chamarrer de croix & de cordons jufque fur l'échafaud, il fuffifoit, pour l'exécution de l'arrêté municipal, de fubltituer, un foir, d'autres habits à ceux que Louis XVI endoffe en ce moment. Les fonctions du procureur de la commune étoient de fe tranfporter au Temple & de vifiter le prifonnier, feulement pour s'informer à lui-même s'il ne lui manquoit rien des chofes qu'exigent les befoins journaliers de la vie. Un magiftra en exercice doit parler comme la loi dont il eft l'organe, avec laconisme & dignité. La convention n'avoit point chargé ce magiftrat d'aller communiquer officiellement au prifonnier du Temple le décret qui abolit la royauté & fonde la république, comme pour lui rappeler le douloureux fouvenir de fon droit de fanation & de veto: cette petite mortification eft indigne d'un peuple libre. L'arrêté de la municipalité ne portoit pas que P. Manuel iroit tout exprès au Temple pour dire à 'Louis XVI: « Vous n'êtes

plus roi, voilà une belle occafion de devenir citoyen: » au refte, confolez-vous. La chute des rois eft auffi pro» chaine que celle des feuilles, &c. ».

C'eft joliment dit. Il y a de quoi fe faire applaudir par les citoyennes qui fe raffemblent fur la terraffe des feuillans. Mais que ces jeux de mots font déplacés dans la bouche d'un magiftrat législateur, s'adreffant à un grand coupable précipité du haut d'un trône dans une tour! Il y a plus, c'est que s'il e vrai que P. Manuel fe foit permis ces antithèses miférables & fi peu convenables, il devroit lui être enjoint d'aller au plus vite réparer une conduite qui compromet la plus loyale de toutes les nations. P. Mannel aura-t-il toujours la vue courte ? Comment ne s'eft-il pas apperçu que de tels propos, adreïïés à Louis XVI dans la pofition où il fe trouve que le rendre intéreffant ?

ne font

Quand viendra l'heure ( qui ne devroit pas être éloignée) de le juger avec toute la févérité de la loi, il fe trouvera des gens, peut-être même des patriotes qui diront: Eh! que peut-on lui faire fouffrir de plus que ce qu'il a endure pendant fa détention? Pour peu que ce monarque foit fenfible, quels tourmens peut-il éprouver comparables aux farcafmes de Manuel & de tous ceux qui l'ont approché? On peut lui faire grace à présent, il a fubi fon fupplice d'avance.

Il feroft convenable au contraire de nous mettre dans le cas de pouvoir nous rendre ce témoignage:

[ocr errors]

Louis XVI n'a rien à nous reprocher; nous n'avons point ajouté aux rigueurs de la loi qui le condamne attéint & convaincu de l'affaffinat réfléchi de 3000 patriotes, cause première des massacres & des pillages qui ont changé nos villes & nos, hameaux des frontières en lieux de défolation, ce Bourbon eût mérité mille morts; il ne perdra qu'une fois la vie. En attendant l'heure de fon jugement dernier, nous ne nous fommes point abaiffés à lui reprocher de vive voix fes crimes & les maux qu'il nous a faits; nons l'avons laiffé feul avec fes remords, dans le filence de fa prifon. Avant le 10 août, il y avoit quelque courage à dire tout haut: Je n'aime pas les rois. Mais depuis le 10 août, il ne feroit point généreux d'infulter à un monarque dont on dreffe l'échafaud.

Si le falut du peuple ne s'accommodoit point des formes trop lentes de la loi, où fe trouvoit compromis par une faction portée à l'indulgence envers un criminel qui n'en mérite aucune, c'eft à tous les patriotes enfemble ou à l'un d'eux en leur nom à recourir aux principes de la juftice naturelle pour délivrer la fociété d'un monfire trop long-temps impuni; mais jufqu'à ce moment il doit être abandonné à lui-même, & refpecté de ceux là même qui pourfuivent fon jugement avec le plus d'ardeur. Les enfans, les femmes & les fauvages ajoutent l'invective au châtiment; les hommes fages tiennent le glaive de la loi fufpendu fur la tête des coupables, & attendent avec gravité le moment de frapper.

Que le juge Ollelin connoît mieux les convenances que P. Manuel il les obferve toutes envers les criminels quand il leur prononce leur arrêt ; fes difcours au ministre Laporte & au vieillard Cafotte font des modèles. On n'y trouve point des traits à chaque phrase, ni des antithèses à prétention, du genre de celles que P. Manuel fe vante d'avoir débitées à Louis XVI. Les amis du roi, car il y en a encore, s'en prévalent déjà. Que ce Manuel, dient-ils, est petit vis-à-vis du monarque captif, écoutant avec patience & réfignation les leçons amères du pédagogue bel-efprit

de la commune !

Le général Dumourier envoie à la convention les foldats volontaires de deux bataillons de Paris qu'il accufe d'avoir maflacré de fang-froid quatre déferteurs Pruffiens, qui n'étoient peut-être que des efpions. Le général preffe le jugement de ces volontaires, qu'il a préalablement dégradés.

Il exifte dans les tours du Temple un homme bien autrement coupable. C'est par ce véritable prifonnier d'état que la convention doit commencer fon grand juri. Pourquoi

« PreviousContinue »