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Leurs mœurs domeftiques méritent toute notre atten tion. Ils ne demandoient à leurs époufes qu'un trousseau, point de dot. Sans doute que nos légiflateurs pèferont dans leur fageffe tout ce que cette difpofition a de louable, quand ils en feront au code matrimonial. Un citoyen qui confent à fe laiffer enrichir par la femme qu'il prend, eft né pour un autre joug encore que celui du mariage.

Si la famille de l'épousée jouiffoit de quelque fuperflu, elle faifoit fon préfent de noces, qui étoit ordinai rement un bœuf de labour ou un cheval de bataille prêt à recevoir fon cavalier, ou une pique d'une fabrique remarquable; mais point de repas de noces difpendieux, point de fêtes humiliantes pour les voifins pauvres, point de mauvaises plaifanteries, ou de propos équivoques. Le Germain étoit grave jufque dans le plaifir, & le ménage répondoit à ces préliminaires. L'époufe étoit laborieufe & fobre, modefte & foumife. On connoiffoit à peine l'adultère la coupable avoit les cheveux rafés de la main de fon mari, & chaffée toute nue. Une fille qui s'étoit permis une foibleffe, étoit encore plus févérement punie; elle n'avoit plus l'efpoir de trouver un mari: & Tacite, le premier peut-être des hiftoriens, fait à ce fujet cette réflexion digne de remarque: les bonnes mœurs ont plus de pouvoir fur les peuples libres, qu'on appelle barbares, que n'en ont les bonnes loix fur des nations plus civilifées.

L'éducation de leurs enfans étoit bien propre à en faire des hommes: on n'emprifonnoit leurs membres dans aucun vêtement; leurs mères feules les allaitoient, & ne confioient jamais à des mains mercenaires les foins du premier âge. Les fils de famille étoient élevés pêle mêle avec les ferviteurs de la maison ; la continence leur étoit recommandée & religieufement obfervée par eux; ils ne s'épuifoient point par l'ufage précoce & inmodéré des jouiffances conjugales. Les unions attendoient la maturité du tempérament, en forte que les plus robuftes ne mettoient au jour que des citoyens qui leur reffembloient. En Germanie (dit textuellement le peintre des hommes) on ne gagne rien à fe trouver fans enfans,

Les Germains étoient hofpitaliers; on fe préfentoit à leur table fans y être invité, & on y étoit bien reçu. Si la maifon où vous adreffiez étoit pauvre, ou peu fournie pour le moment des chofes néceffaires à la vie, on vous conduifoit chez le voifin qui favoit gré à

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(TOT) fon voifin de lui avoir amené un convive. On fervoit frugalement, mais on ne manquoit de rien. Le temps du repas ne fe confumait point en vain cérémonial ou en propos niais; on y paffoit en revue les perfonnes & les évenemens les généraux d'armée, les magiftrats du peuple; & le vin ou telle autre liqueur fermentée donnoit Peffor à la franchife & délioit les langues. La salle à manger leur fervoit de club: c'est là qu'ils préparoient fans morgue les matières les plus graves qui devoient être agitées & réfolues dans leurs affemblées générales.

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Les Germains avoient des fpectacles. Ce n'étoient point des pantomimes laffives ou des drames langoureux. Les jeunes gens nus fautoient en folâtrant, à travers des piques hériffées fur eux; & cet exercice demandoit tout à la fois beaucoup d'adreffe & d'agilité, beaucoup de courage & de préfence d'efprit.

Ils avoient des ferviteurs pour les aider au peu de culture qu'ils faifoient; mais dans l'intérieur des ménages, la mère de famille & fes enfansen rempliffoient l'office; & nous prions nos lecteurs de ne pas perdre de vue trait d'économie domeftique. Une nation qui fe propose d'être libre long-temps, ne doit pas fouffrir dans fon fein une valetaille nombreuse.

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Un autre trait du tableau des Germains, que nous devons nous hâter d'appliquer à notre position, autant & auffi vite que poffible, c'eft que chaque citoyen ne poffedoit en terres que ce qu'il pouvoit en cultiver avec fes enfans, ou en faire cultiver par un petit nombre de fer

viteurs.

Comme, par une conféquence immédiate de l'égalité fociale, les fortunes particulières doivent être tôt ou tard nivelées, les excès & les abus, fuite néceffaire de l'opulence fans bornes, difparoitront en même temps pour faire place au bien-être de tous.

Leurs funérailles étoient fans pompe, & leurs tombeaux fans fafte; c'étoit pour l'ordinaire un tertre de gazon; mais ce petit momument ruftique étoit arrofé de farmes qu'on refufe au marbre & à l'airain de nos infolens maufolées.

Nous nous propofions d'abord de tracer l'efquiffe des mœurs qui conviennent à la république françaife, quand. nous nous fommes rappelé celles de nos premiers aïeux, dont

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le régime politique n'étoit pas, il eft vrai, tout-à-fait républicain, mais ils en avoient l'efprit & les vertus.

Qu'on n'aille pas confondre ces bons Germains, fi fiers de leur indépendance, avec les nations ferviles qui occupent en ce moment les contrées qu'ils habitoient avant de franchir le Rhin pour venir s'établir dans les Gaules, fur les rives de la Seine & de la Loire. Ils n'ont jamais eu rien de commun avec ces Allemands & ces Pruffiens, originaires du nord de l'Europe, & auxquels Brunswick, Guillaume & François vouloient faire prendre leurs quartiers d'hiver en France. Puiffionsnous mériter bientôt à notre tour qu'un autre Tacite s'occupe de nous, & confacre fes pinceaux à tranfmet re à nos neveux nos principes & nos inœurs comme des leçons & des exemples!

Nous l'avouerons, nous nous étions attendus que nos députés à la convention donneroient à leurs contemporains les premières leçons & les premiers exemples du détinté-. reffement & de la modération que nous admirons dans les magiftrats de la république chez les Gaulois & les Romains. Après avoir annonce folennellement l'abolition de la royauté, leur devoir étoit peut-être de déclarer au peuple, à qui les plus grands facrifices n'ont rien coûté, qu'ils fe réduifoient eux-mêmes à la moitié de leurs indemnités (1). Il en avoit été question un moment parmi les électeurs de Paris; mais la plupart avoient pris l'alarme, & déjà l'un d'eux s'étoit écrié: 9 liv. !.. c'est mettre à un taux bien bas le temps & les lumières de législateurs tels

que nous.

N'en déplaife à ces Meffieurs, une pikole, tout au plus, par jour doit fuffire à des légiflateurs tels qu'il nous en faut; & cette réduction n'a jamais été plus à propos, maintenant que le décret en faveur du marc d'argent, cette barrière odieuse élevée entre le riche & le pauvre, eft pour jamais abrogée & laiffe à l'un & à l'autre la concurrence

(1) On parle de réduire auffi à 30,000 liv. les gages du maire de Paris, & à 3000 liv. ceux du procureur de la commune. Les républiques économes ont fubfifté plus long-temps que les autres; le gafpillage ne convient qu'à

la cour des rois.

à toutes les places de la république. Un repréfentant du peuple à qui il faut plus d'une pftole pour les befoins de la journée, eft fufpect par cela feul, & n'annonce pas la tempérance des moeurs de Fabius, qui vivoit affurément bien fans avoir 20 deniers (2) romains à dépenser par jour. Les véritables grands hommes de la république dont Fabius étoit citoyen, les fénateurs intègres, les bons capitaines fe font trouvés dans le fiècle où la frugalité éroit le plus en honneur. A l'armée, Lafayette rendit hommage un moment aux mœurs républicaines, en renonçant fous fa tente à tout luxe de table & d'équipage. L'hypocrite! c'étoit pour trahir fa patrie en toute fécurité. Arthur Dillon ne fe fert pas des mêmes moyens, car il étale tout le fafte afiatique de nos généraux de l'ancien régime.

Nos législateurs & nos miniftres peuvent faire pour les moeurs républicaines beaucoup plus par leurs procédés négatifs que par des loix pofitives. Par exemple, à l'occafion d'un fuccès à la guerre, en laiffant aux généraux & à leurs foldats le choix entre le Te Deum des prêtres & l'Hymne à la Liberté, des Marfeillois, ils ont frappé d'un coup indirect, mais sûr, ce fot ufage de rapporter à un ê re placé hors du monde, tout l'honneur d'une bataille gagnée par des troupes difciplinées & valeureufes, fous les ordres d'un chef patriote & prudent.

Plus que tout cela encore l'éducation mettra le fceau aux meeurs républicaines; & fous ce point de vue, il eft peut- être heureux que nos députés conftituans ne s'en foient pas occupés. Ces meflieurs ont gâté la plupart des choles qu'ils ont touchée; mais l'inftruction nationale demande à être organifee tout de fuite, à préfent que nous tenons dans nos mains le timon d'un gouvernement vraiment libre il n'y a pas de temps perdre; car il eft inditpenfable de faire marcher de front.

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(2) Le denier romain valoit dix fons de notre monnoie; par conféquent une piftole ou dix liv. tournois de France étoit repréfentée par 20 deniers romains.

On fait que Fabius le plus fouvent n'avoit fur fa table que des oignons cuits dans de l'eau & du fel.

les loix & les mœurs: or, l'inftruction, qu'il ne faut pas confondre avec les fciences & les arts qui perden les mœurs, les avive au contraire, les dirige, les foutient & les conferve. Nous parlons ici de cette inftruction populaire, & pour ainfi dire domeftique, qui n'apprend rien de nouveau aux hommes, mais qui fert à développer en eux cet inftinct moral que nous appor tons tous en naiffant, & qui fuffit au bonheur individuel & à la proférité publique.

Pour répandre cette inftruction, il n'eft pas befoin de tout l'appareil qu'on a déjà étalé deux fois (1) à nos yeux. Beaucoup de maitres ne font pas néceflaires pour cette befogne; il ne s'agit que de s'adreffer aux chefs de maitons & aux pères & mères de famille. Ne craignons pas de donner un démenti formel à Lycurgue à Solon & à tous leurs partifans; difons avec confiance que l'éducation domestique eft la feule capable d'infpirer les mœurs républicaines, par la raifon qu'une république eft un aggrégat de familles égales en droits, ayant les mêmes devoirs à remplir, & unies par le lien d'un intérêt commun.

Et qu'on ne craigne pas que les mœurs & l'éducation domestiques détruifent cet efprit public qui met l'unité & l'harmonie dans la marche des opérations de la république; car toutes ces familles font autant de petites républiques fédératives, qui à elles toutes n'en compofent qu'une feule.

On ne fauroit donc trop recommander aux chefs de maifons & aux pères de famille de fe charger eux-mêmes de cette inftruction, la fauve-garde des mœurs. Peu d'avances fuffiront pour cette tâche importante; car il ne s'agit pas de former leurs enfans ou leurs élèves à l'art oratoire ou à la logique ex profeffo: ces deux arts & d'autres encore s'apprennent fans maitre, furtout dans une république. Il ne faut point pour cela fender des chaires; deux heures de leçons dans l'un des groupes de nos places publiques, fuffifent. La fcience des mœurs s'apprend encore moins dans des cours; la meilleure école

(1) Voyez les projets d'inftruction publique de TailJerand & de Condorcet.

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