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à la liberté mais perfonne ne s'émeut. Ils tuent le Gouverneur de la ville qui venoit à leur rencontre, & quelques autres Seigneurs. Ils prennent le chemin de la Citadelle, pour en enfoncer les portes, & délivrer les prifonniers mais ils trouverent ces portes bien fermées & bien barricadées. Cléomene, déchu de fon efpérance, alloit errant çà & là par toute la ville, fans que perfonne fe préfentât pour le fuivre, ni pour le combattre, mais ils prenoient tous la fuite faifis de frayeur. Alors, voyant que leur entreprise ne pouvoit réuffir, ils la terminerent par une fin tragique & fanglante, s'entr'égorgeant tous les uns les autres, pour fe dérober à la honte du fupplice. Ainfi finit Cléomene, après avoir régné feize ans à Sparte. Le Roi fit mettre fon corps en croix, & condamna à la mort fa mere, fes enfans & toutes les femmes qui l'accompagnoient. Quand on eut mené cette malheureuse Princeffe au lieu du fupplice, elle ne demanda d'autre grace, finon qu'on la fît mourir avant fes enfans. Mais ce fut par eux qu'on commença, tourment plus cruel pour une mere que la mort même : après quoi elle préfenta la gorge à l'Exécuteur fans avoir prononcé d'autre parole que celle-ci : Ah, mes enfans, où êtes-vous venus!

Le deffein que formerent Agis & Cléomene de réformer Sparte, & d'y rétablir l'ancienne difcipline étoit certainement Tome VIII. C

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très-louable en lui-même ; & ils avoient raifon l'un & l'autre de croire, que dans un Etat entiérement infecté & corrompu comme étoit alors celui de Sparte, vouloir corriger les abus en détail, & retrancher peu à peu les défordes, c'étoit couper les têtes de l'Hydre, & qu'il falloit aller tout d'un coup à la racine du mal. Mais je ne fais fi la (a) maxime de Platon n'auroit pas lieu ici, qui eft de n'entreprendre dans une République libre que ce que l'on peut faire accepter aux citoyens par la voie de la perfuafion, fans jamais employer celle de la violence. N'eftil pas quelquefois des maladies défefpérées à un point que les remedes ne peuvent qu'avancer la mort ? N'y (b) a-t-il pas auffi quelquefois des défordres qui ont tellement pris le deffus dans un Etat, que de tenter alors une réforme, c'est une entreprife qui n'aboutit qu'à faire fentir la foibleffe des Magiftrats & des loix? Mais, ce qui ne peut s'excufer dans Cléomene, c'eft d'avoir, contre toute raison & toute juftice, égorgé les Ephores pour faire réuffir fon entreprise: conduite abfolument tyrannique, & indigne d'un Spartiate, &

(a) Jubet Plato quem 9. ad Famil,

ego auctorem vehementer (b) Decebat omittere pofequor tantum conten- tius prævalida & adulta videre in republica, quan- tia, quàm hoc adfequi, ut tum probare civibus tuis palàm fieret quibus flagitiis poffis • vim neque paren- impares effemus. Tacit. An ti neque patriæ afferre opor-nal, lib, 3, cap. 53. xe. Cic. lib. x. Epift.

encore plus d'un Roi ; & qui femble autorifer les Tyrans qui depuis firent tant fouffrir Lacédémone. Aussi a-t-il été traité lui-même par certains hiftoriens de Tyran, & (a) c'eft à lui qu'ils ont commencé la fucceffion des Tyrans de Sparte.

Depuis trois ans que Cléomene avoit Polyb. Nb. 47 quitté Sparte, on n'avoit point fongé à y. 304. nommer des Rois, parce qu'on espéroit toujours qu'il pourroit revenir, & qu'on confervoit pour lui une grande eftime & un grand respect. Dès qu'on eut appris fa mort on procéda à l'élection des Rois. On nomma d'abord "Agéfipolis

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encore

enfant, qui étoit de l'une des deux familles Royales, & on lui donna pour Tuteur Cléomene fon oncle. Enfuite on choifit Lycurgue, I dont aucun des ancêtres n'avoit régné, mais qui avoit gagné les Ephores, en leur donnant à chacun un talent. C'é- Mille écusi toit mettre la Royauté à un bien vil prix. Ils eurent bientôt lieu de fe repentir de ce choix, qui étoit contre toutes les loix, & qui jufques là n'avoit point eu d'exemple. Le parti des factieux, ouvertement oppofé à Philippe, & qui exerçoit dans la ville les dernieres violences, avoit préfidé à ce choix. Auffi-tôt après ils firent déclarer Sparte en faveur des Etoliens.

(a) Foft mortem Cleomenis, qui primus Tyrannus Lacedæmone fuit, Liv, lib. 34. n, 26,

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B:294-306.

§. III.

Diverfes expéditions, de Philippe contre les ennemis des Achéens. Etrange abus qu'Apelle fon Miniftre fait de fa confiance. Irruption de Philippe dans l'Etolie: Therme pris d'emblée excès qu'y commirent les foldats de Philippe : prudente retraite de ce Prince. Troubles dans le camp : punition de ceux qui en étoient les auteurs. Irruption de Philippe dans la Laconie. Nouvelle intrigue des Conjurés: leur punition. On parle de paix entre Philippe & les Achéens d'un côté, & les Etoliens de l'autre. Enfin elle fe conclut.

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AN.M.3785. Nous avons vu auparavant que PhilipAv. J.C.219.pe Roi de Macédoine appellé par les Poly Achéens pour les fecourir, étoit venu à Corinthe où fe tenoit leur Affemblée générale, & que là, d'un commun accord on avoit déclaré la guerre aux Etoliens. Le Roi retourna enfuite en Macédoine pour travailler aux préparatifs de la guerre.

Philippe engagea dans l'alliance des Achéens Scerdilede. C'étoit, comme je l'ai déja dit, un petit Roi d'Illyrie. Les Etoliens, dont il étoit allié, lui avoient manqué de parole, en refufant de lui donner une certaine partie butin qu'ils avoient fait dans la prife de Cynethe, comme ils en étoient convenus: il embraffa avec joie cette occafion de fe venger de leur perfidie.

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Démétrius de Phare s'attacha auffi à

Philippe. Nous avons vu que les Romains, Polyb. lib. 3. pour qui il s'étoit d'abord déclaré, l'avoient ? 171-174. 1. 4. p. 355. gratifié de plufieurs des villes qu'ils avoient' 305-330. conquifes dans l'Illyrie. Comme le principal revenu de ces petits Princes avoit confifté jufques là dans le butin qu'ils faifoient fur leurs voifins, quand les Romains furent éloignés, il ne put s'empêcher de piller les villes & les terres du pays qui étoient de leur domaine. D'ailleurs, Démétrius, auffi-bien que Scerdilede, avoit, dans la même vue, navigé au-delà de la ville d'Iffus, ce qui étoit directement contraire au principal article du Traité conclu avec la Reine Teuta. Pour toutes ces raifons les Romains déclarerent la guerre à Démétrius. Le Conful Emilius l'attaqua vivement, lui enleva fes meilleures places, & l'affiégea lui-même、 dans fa ville de Phare. Ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'il s'en fauva. La ville fe rendit aux Romains. Dépouillé de tous fes Etats, il fe refugia vers Philippe, qui le reçut à bras ouverts. Les Romains en furent fort indignés, & lui en-. 33. voyerent des Ambaffadeurs pour redemander Démétrius. Philippe, qui rouloit dès lors dans fa tête le deffein qui éclata bientôt après, n'eut point d'égard à leur demande. Démétrius paffa le refte de fa vie auprès de lui. C'étoit un homme plein de courage & de hardieffe, mais téméraire & inconfidéré dans fes entreprises, & dont le courage étoit abfolument deftitué de prudence & de jugement.

Liv. lib. 22.

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