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néanmoins s'ils croyoient l'honneur de Rhodes intéreffé à cette demande, il feroit de nouveaux efforts pour vaincre cette ré pugnance. Les Rhodiens, renouvellant leurs actions de graces pour les bienfaits & la bonté du peuple Romain à leur égard, répondirent qu'ils étoient bien éloignés de vouloir troubler la paix, & fe retirerent fort

contens.

L'honneur du triomphe fut accordé par les Romains à Emilius Régillus, qui avoit remporté une victoire navale fur l'Amiral de la flotte d'Antiochus ; &, à plus jufte titre encore à L. Scipion, qui avoit vaincu le Roi en perfonné. Il prit le furnom d'Afiati que, pour ne le point céder à fon frere qui avoit pris celui d'Africain.

Ainfi fut terminée la guerre contre Antiochus, qui ne fut pas de longue durée, coûta peu de fang aux Romains, & contribua pourtant beaucoup à l'aggrandiffement de leur Empire. Mais en même tems cette victoire contribua auffi d'une autre maniere au dépériffement & à la ruine, de ce même Empire, en introduifant à Rome par les richeffes qu'elle y fit entrer, le goût du luxe, de la molleffe, & des délices : car c'eft à cette victoire, remportée fur Antióchus, & à cette conquête de l'Afie, que PH 13. Pline attache l'époque de la corruption, dès mœurs dans la République Romaine, & du funefte changement qui y arriva. L'Afie (a) vaincue par les armes de Rome, vain(^)«Amis Vicit, vitiis victus cft, Sence, de Alex,

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quit Rome à fon tour par fes vices. Les ri cheffes étrangeres y étoufferent l'amour de la pauvreté & la fimplicité ancienne, qui en avoient fait l'honneur & la force. Le (a) luxe, qui entra comme en triomphe à Rome avec les fuperbes dépouilles de l'Afie, traînant à fa fuite tous les défordres & tous les crimes y fit plus de ravage que n'auroient pu faire les armées les plus nombreufes,& vengea ainfi l'univers vaincu..

Réflexion fur la conduite des Romains à l'égard des Républiques Grecques, & des Rois tant de l'Europe que de l'Afie..

ON commence à démêler dans les faits que j'ai rapportés jufqu'ici un des principaux caracteres des Romains, qui décidera bientôt du fort de tous les Etats de la Grece, & qui caufera dans l'univers un changement pref que général : je veux dire l'efprit de domination & de fouveraineté. Ce caractere ne fe montre pas d'abord en entier & dans toute fon étendue: il ne fe développe que peu à peu & comme par degrés : & ce n'eft que par des accroiffemens infenfibles, mais cependant affez

(6) Prima peregrinos obfcœna pecunia mores Intulit, & turpi fregerunt fæcula luxu Divitia molles.... 21

Nullum crimen abeft facinufque libidinis, ex quo

Paupertas Romana perit.,..

Sævior armis

Luzuria incubuit,,victumque ulelicitur orbem, Invenal.

lib.
6.2, Satyr. 6. Prolak, onu za

rapides, qu'il eft enfin porté à fon comble.

Il faut l'avouer. Ce peuple, dans de certaines occafions, fait paroître une mo--dération & un défintéreffement, qui, à n'en confidérer que les dehors, font audeffus de tout ce qu'on lit dans l'Hiftoire & auxquels il femble qu'on ne puiffe refu- · fer fon admiration. Fut-il jamais une journée plus belle & plus glorieufe que celle où le peuple Romain, après avoir effuyé une longue & périlleufe guerre, avoir paffé les mers, & s'être confumé en frais, fait déclarer par la voix d'un héraut dans une affemblée générale, qu'il rend la liberté à toutes les villes, & ne veut d'autre fruit de fa victoire que le doux plaifir de faire du bien à des peuples que le feul fouvenir de leur ancienne réputation pouvoit lui rendre chers! On ne peut lire le récit de ce qui fe paffa dans cette célebre journée, fans en être attendri prefque jufques aux larmes, & fans entrer dans une efpece d'en-thoufiafme d'eftime & d'admiration.

cette délivrance des villes Grecques avoit été pleinement gratuite, qu'elle n'eût eu d'autre principe que la générofité des Romains, & que leur conduite n'eût jamais démenti de fi beaux fentimens, rien certainement ne feroit plus grand, ni plus capable de faire honneur à un peuple. Mais pour peu qu'on perce ces dehors éclatans, on entrevoit aifément que cette prétendue modération des Romains avoit des racines. dans une profonde politique, fage à la

vérité & prudente felon les regles ordinaires du gouvernement, mais bien éloignée de ce noble défintéreffement qu'on fait tant valoir. dans l'occafion dont il s'agit. On peut dire que les Grecs alors fe livrerent à une joie. ftupide, croyant être libres en effet, parce que les Romains les déclaroient tels.

Deux puiffances, dans le tems dont nous parlons, partageoient la Grece, les Républiques Grecques & la Macédoine, & elles. étoient toujours en guerre, les unes pour conferver les débris de leur ancienne liberté, l'autre pour achever de les foumettre & de fe les affervir. Les Romains parfaitement inftruits de cette fituation de la Gre

fentoient bien qu'ils n'avoient rien à craindre de ces petites Républiques, affoiblies par le tems, par leurs divifions inteftines, par des jaloufies réciproques, & par les guerres qu'elles avoient eu à foutenir audehors. Mais la Macédoine, qui avoit des troupes aguerries, qui ne perdoit point de vue la gloire de fes anciens Rois, qui avoit porté autrefois fes conquêtes jufqu'au bout du monde, qui confervoit toujours un vif defit, quoique chimérique, de la monarchie univerfelle, & qui avoit une alliance comme naturelle avec les Rois d'Egypte & de Syrie fortis de la même origine & réunis par les intérêts communs de la Royauté la Macédoine, dis-je, donnoit de juftes alarmes à Rome, qui, depuis la défaite de Carthage, ne pouvoit plus trouver d'obftacles à fes deffeins ambi

f

tieux que dans ces puiffans Royaumes qui partageoient entr'eux le refte de l'univers, & en particulier dans celui de Macédoine, plus voifin de l'Italie que tous les

autres.

Pour mettre donc un contrepoids à la puiffance Macédonienne, & pour enlever à Philippe le fecours qu'il fe flattoit de tirer de la Grece, laquelle en effet auroit pu peut-être le rendre invincible aux Romains, fi elle avoit joint toutes fes forces aux fiennes contre cet ennemi commun; dans cette vue les Romains fe déclarent hautement pour ces Républiques, font gloire de les prendre fous leur protection fans autre def fein ce femble que de les défendre contre leurs oppreffeurs; &, afin de les attacher par un lien plus ferme, ils affectent de leur montrer pour récompenfe de la fidélité qu'elles leur garderont, la liberté, dont toutes ces Républiques étoient jalouses audelà de tout ce qu'on peut dire, & que les Rois de Macédoine leur avoient toujours difputée.

L'appas étoit habillement préparé, & il fut avidement faifi par les Grecs qui ne portoient pas leurs vues plus loin. Mais les plus fenfés & les plus clairvoyans découvri rent le péril cache fous cette amorce, & ilsavertirent de tems en tems les peuples dans les affemblées publiques de fe défier de ce. nuage qui fe formoit en occident, & qui bientôt, changé en un terrible orage), les fubmergeroit tous. foldeb 9VWUTO

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