Page images
PDF
EPUB

jetté lui-même dans les fers, & s'étoit foumis volontairement à la fervitude.

Ces motifs avoient fait beaucoup d'impreffion fur l'efprit de Prufias, mais les lettres qu'il reçut dans le même tems du Conful Scipion & de fon frere contribuerent beaucoup à diffiper tous fes foupçons & toutes fes craintes. Ce dernier lui représentoit la coutume perpétuelle du peuple Romain de combler d'honneurs les Rois qui recherchoient fon alliance: & il en citoit des exemples auxquels lui-même il avoit eu grande part. Il lui marquoit qu'en Espagne, plufieurs, de petits Princes qu'ils étoient auparavant, étoient devenus de grands Rois depuis qu'ils s'étoient mis fous la protection des Romains. Que Maffiniffa non-feulement avoit été rétabli dans fon Royaume, mais y avoit ajouté celui de Syphax, & étoit devenu l'un des plus puiflans potentats de l'univers. Que Philippe & Nabis, quoique vaincus dans la guerre par Quintius, avoient été laiffés fur le trône. Que l'année précédente on avoit remis à Philippe le tribut qu'il s'étoit obligé de payer, & qu'on lui avoit renvoyé fon fils qui étoit retenu à Rome en otage. Que Nabis feroit encore actuellement fur le trône, fi fa propre fureur, & la perfidie des Etoliens, ne le lui avoient fait perdre avec la vie.

L'arrivée de Livius qui avoit commandé la flotte, & que le peuple Romain avoit envoyé vers Prufias en qualité d'Ambaffadeur, acheva de fixer fon efprit. Il lui Tome VIII. P

fit fentir de quel côté on devoit raifonnablement préfumer que tourneroit la victoire; & combien il étoit plus fûr pour lui de fe fier à l'amitié des Romains, qu'à celle d'Antiochus.

r

Antiochus, fruftré de l'efpérance qu'il avoit eue d'attirer Prufias dans fon parti, ne fongea plus qu'à s'oppofer au paffage des Romains dans l'Afie, pour empêcher qu'elle ne devînt le théatre de la guerre. Il crut que le meilleur moyen d'y réuffir étoit de recouvrer l'empire de la mer qu'il avoit prefque perdu par la perte des deux combats dont j'ai parlé qu'alors il feroit en état d'employer fes flottes où il lui plairoit, & qu'il feroit impoffible aux ennemis de tranfporter une armée en Afie par l'Hellefpont, ou par quelque autre trajet que ce fût, quand fes flottes n'auroient d'autre chofe à faire qu'à l'empêcher. Il réfolut donc de hazarder encore une bataille pour cela il fe rendit à Ephese où étoit fa flotte. Il en fit la revue, la mit dans le meilleur état qu'il put, l'équipa abondam'ment de tout ce qui étoit néceffaire pour une nouvelle action & l'envoya encore une fois fous le commandement de Polixé'nide, chercher les ennemis & les combattre. Ce qui le détermina à ce parti, eft qu'il avoit appris qu'une grande partie de la flotte des Rhodiens étoit demeurée près de Patare, & que le Roi Eumene étoit allé au-devant du Conful dans la Querfonnefe avec tous fes vaiffeaux.

&

Polyxénide trouva Emilius & la flotte Romaine près de Myonnese, ville maritime d'Ionie, & l'attaqua avec auffi peu de fuccès qu'auparavant. Emilius remporta fur lui une victoire complette, & l'obligea à fe retirer à Ephefe, après lui avoir coulé à fond ou brûlé vingt-neuf vaiffeaux, & lui en avoir pris treize.

Liv.lib.

1.31.

Antiochus fut fi frappé de ce coup, qu'il Ltv.116. 37: en parut entiérement déconcerté. Comme Appian, in fi le bon fens l'eût tout d'un coup abandon- Syr. p. 1940 né, il prit des mesures visiblement contraires à fes intérêts. Dans la confternation où il étoit, il envoya des ordres pour faire retirer fes troupes de Lyfimachie & des autres villes de l'Hellefpont, de peur qu'elles ne tombaffent entre les mains des ennemis qui marchoient de ce côté-là pour paffer en Afie: au lieu que le feul moyen qui lui reftoit de les en empêcher, eût été de laiffer ces troupes où elles étoient. Car Lyfimachie, qui étoit une place très-bien fortifiée, auroit pu foutenir un long fiege, & peut-être jufques bien avant dans l'hy ver, ce qui auroit extrêmement inl'hyver, commodé les ennemis par la difette de vivres & de fourrages : & pendant ce tems il auroit pu fonger à s'accommoder avec les Romains.

Non-feulement il fit une grande faute en retirant de là fes troupes dans le tems · qu'elles y étoient le plus néceffaires, mais il le fit avec tant de précipitation, qu'on y laiffa toutes les munitions de guerre & de bouche, dont il y avoit fait des maga

fins confidérables. Ainfi quand les Romains y entrerent, ils y trouverent toutes les munitions dont ils avoient befoin pour leur armée avec autant d'abondance, que fi elles euffent été préparées exprès pour eux, & le paffage de l'Hellefpont fi libre, qu'ils tranfporterent leur armée fans la moindre oppofition dans l'endroit de tous le plus avantageux à l'ennemi pour le leur difputer.

[ocr errors]

On voit ici fenfiblement, ce qui eft marqué fi fouvent dans les Ecritures, que quand Dieu veut perdre & punir un Royaume, il ôte au Roi, ou aux Commandans ou aux Miniftres, le confeil, la prudence, le courage. C'eft la menace qu'il fait à fon peuple Yai, 3.1-3. par Ifaïe. Le Dominateur, le Seigneur des armées va ôter de Jérufalem & de Juda le courage & la vigueur...... tous les gens de cœur & tous les hommes de guerre, tous les Juges & les vieillards...... les hommes d'autorité, & ceux qui peuvent donner confeil. Mais, ce qui eft bien remarquable, c'eft que l'Hiftorien paien dit ici en termes formels, & le répete deux fois, que (a) Dieu óta l'esprit au Roi, & lui renverfa le raisonnement ; punition, dit-il, qui arrive toujours, quand les hommes font prêts de tomber dans quelque grand malheur. L'expreffion eft énergique Dieu renverfa le raifonnement du Roi. Il lui ôta, c'est-à-dire, qu'il lui refufa le bon fens,

(α) Θεό βλάπτοντος [ται.... ἢ μὴν ὅτε τὸν ἤδη τις λογισμός, ὅπερ διάπλον ἐφύλαξεν ὑπὸ ἅπασι προσιόντων ἀλύ- θεοβλαβείας. χημάτον, ἐπιγίγνε

la prudence, le jugement: il écarta de fon efprit toute penfée falutaire : il le rendit diftrait, & même oppofé à tous les bons confeils qu'on pouvoit lui donner. C'eft ce (a) que David demandoit à Dieu à l'égard d'Achitophel, Miniftre d'Abfalom: Seigneur, renverfez, je vous prie, les confeils d'Achitophel. Le terme original eft bien plus fort : INFA TUA. Quelques fages que foient fes avis, faites-les paroître fous & infenfés à Abfalom.Et c'eft ce qui arriva. Ce fut par la volonté du Seigneur que le confeil d'Achitophel qui étoit le plus utile, fut ainsi détruit, afin que le Seigneur fit tomber Abfalom dans le malheur dont il étoit digne.

Les Romains étant entrés en Afie, s'arrê- Justin. 1. 31. terent quelque tems à Ilion, qu'ils regarcap.8. doient comme le berceau de leur origine, & comme leur patrie primitive, d'où Enée étoit parti pour aller s'établir en Italie. Le Conful offrit des facrifices à Minerve qui préfidoit à la Citadelle. La joie fut grande de part & d'autre, prefque comme entre des peres & des enfans qui fe revoient après une longue féparation Les habitans de cette ville, voyant leurs petits-fils vainqueurs de l'Occident & de l'Afrique

re

vendiquer l'Afie comme un Royaume qui avoit appartenu à leurs aïeuls, s'imaginoient voir Ilion fortir de fes cendres, &

(4) Infatua, quæfo, Do-Achitophel utile, ur IN◄ mine confilium Achito- DUCERET DOMINUS SUPER phel....Domini autem nutu ABSALOM MALUM. 2. Reg. diffipatum eft confillum|c, 15. V. 3 I. ‚ & c. 1,7. V. 14.

« PreviousContinue »