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NANTES, IMP. DE VINCENT FOREST, PLACE DU COMMERCE, 1.

SHAKSPEARE".

OTHELLO.

Je vous ai fait une profession de foi sur un point très-important de l'art et de la composition littéraires; j'ai dit que je n'étais pas pour les imitateurs, et que les imitateurs me rappelaient toujours involontairement le vers accablant d'Horace :

O imitatores, servum pecus!

On est presque toujours condamné à échouer, et lorsqu'on réussit, on ne réussit encore qu'à demi. Ainsi Ducis a gâté un beau talent, en le condamnant à une perpétuelle imitation. Il l'a mis, pour ainsi dire, à l'ombre de la gloire immense de Shakspeare, et comme il n'a été donné à aucun mortel de s'élever plus haut que Shakspeare, Ducis, tout en s'élevant très-haut, n'a obtenu ni la même admiration, ni les mêmes applaudissements. Nous avons encore cité l'exemple de M. Casimir Delavigne; le spirituel et gracieux auteur de l'Ecole des Vieillards a fait preuve d'une grande résolution et d'un rare courage en s'attaquant au Richard III de Shakspeare; mais on doit lui tenir compte de l'intention, sans être tenu d'admirer le résultat, et tout en louant cette générosité de sentiments, on peut, sans injustice, désirer

laissant le modèle à la hauteur où l'on a coutume de le contempler l'imitateur se place à une hauteur voisine, égale ou supérieure. C'est ainsi que Virgile a imité Homère, que Tasse a imité Homère et Virgile; que, parmi nous, Corneille a imité les Espagnols; Racine, les Grecs; Voltaire les Grecs, Corneille, Racine, Shakspeare, tous ceux qui avaient acquis dans leur art quelque supériorité avant lui. Il n'est pas sûr que Shakspeare lui-même n'ait jamais imité de cette façon. Il y a plus, on doit croire qu'il l'a fait; et en effet, les commentateurs ont réussi à déterrer quelques-unes des compositions informes et dédaignées où le regard du poëte a trouvé l'inspiration. Ainsi non seulement l'imitation peut être permise, mais elle est quelquefois la source de très-grandes beautés, et alors non seulement c'est une faculté qu'il faut laisser au génie, mais c'est un bienfait dont il faut lui savoir gré. C'est là ce qui fait la continuité de la tradition et de la pensée humaine. Or, de tous les poëtes modernes que je connais, il n'en est aucun qui ait été si souvent imité que Shakspeare, (il l'est depuis un siècle et demi par les Français, depuis un demi siècle par les Allemands), aucun qui ait tant imité que Voltaire. Voltaire l'a fait avec plus ou moins de bonheur, mais il l'a fait très-souvent. Seulement il a trouvé le secret, chaque fois qu'il a été imitateur, de mêler à l'imitation une part assez considérable d'originalité pour échapper au plagiat. Il a été à la fois imitateur et original, disciple soumis et novateur. Or, il m'a paru intéressant de vous le faire voir dans un de ces moments où il était en possession de tout son talent, dans un âge où la pensée n'a encore rien perdu de sa force ni de sa grâce, aux prises avec un adversaire gigantesque, placé lui aussi dans les mêmes conditions, les conditions les plus favorables pour lui-même, les plus redoutables pour un rival. Nous ne voulons point en cela comparer des talents, ces comparaisons ne mènent à rien ; nous voulons seulement comparer des situations. Ils appartiennent à coup sûr à deux civilisations différentes. Qu'y a-t-il de plus opposé que Voltaire et Shakspeare? Et néanmoins, ils se sont souvent rencontrés. Ainsi, de quelque côté que penche la balance, la question de supériorité restera sauve. Chacun pourra garder en toute sécurité ses sympathies et ses préférences. Les deux ho.nmes sont trop grands, l'un

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