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battent leur nourrice (1). » Je veux que la science ait fait des progrès depuis Aristote; encore faut-il songer, comme il l'a dit lui-même, que « ce qui importe le plus en toute chose, c'est le commencement, et que c'est aussi le plus difficile (2). » Il s'agit d'étudier dans cet esprit les commencements de la psychologie, alors que s'ignorant presque elle-même, elle procède tantôt par l'observation directe, tantôt par des inductions empruntées au langage ou à la conduite extérieure des hommes, au moment où déjà elle repousse les hypothèses des premiers sages, au nom des faits qu'elle ne connaît pas tous encore. Rechercher dans tous les ouvrages d'Aristote les traits épars de cette psychologie à moitié instinctive et traditionnelle, à moitié scientifique et personnelle, les rassembler et en faire un tout conforme aux idées générales d'Aristote, tel est l'objet de la première partie de ce travail. Dans la seconde, qui sera consacrée à l'appréciation des mêmes doctrines, nous essayerons d'en indiquer les défauts et les mérites, pratiquant le plus fidèlement qu'il nous sera possible cette sage et éclectique impartialité qui est le caractère éminent du XIXe siècle.

(1) Des ouvrages de l'esprit.

(2) Réfutat. des soph., ch. 34, § 6. Je me conforme aux divisions adoptées par M. Barthélemy Saint-Hilaire, dans ses savantes traductions de la Logique, de la Politique, du traité De l'âme et des Parva naturalia. Pour tous les autres livres d'Aristote, je les citerai toujours d'après l'édition de Berlin.

PREMIÈRE PARTIE.

EXPOSITION.

CHAPITRE I.

DE L'ÉTUDE DE L'AME ET DES QUESTIONS QU'ELLE COMPREND,

SUIVANT ARISTOTE.

Avant d'exposer la doctrine d'Aristote sur l'âme et ses facultés, il est indispensable de considérer quelle place il a donnée, quelle importance il a attribuée à cette partie de la science.

Aristote a reconnu expressément l'utilité de certaines recherches psychologiques et de l'étude de l'âme en général, non-seulement pour la conduite de la vie (1), mais encore et surtout pour l'art et pour la science. Ainsi, il fonde l'art de persuader sur la connaissance de l'âme. Pour inventer les preuves dont se sert la rhétorique, il faut, dit-il, connaître le caractère et les passions de l'homme (2).

Il en est de même de la morale et de la politique : elles supposent une étude approfondie des passions,

(1) Rhét., I. II, ch. 21, p. 1395, col. a; Mor. à Nicom., IV, 9, p. 1125, a.

— (2) Rhét., I, 2, p. 1356, a.

de la volonté, de l'âme tout entière. En effet, la vertu morale nous fait supporter avec calme la peine et la douleur; elle nous fait éviter l'excès du plaisir. Traiter de la vertu n'est donc pas autre chose au fond que traiter des plaisirs et des peines (1): car l'homme vertueux est celui qui sait en faire un bon usage, et le vicieux celui qui en fait un mauvais. Des observations de détail ne peuvent manquer de répandre plus de lumière sur le sujet des mœurs (2). De plus, l'éloge et le blâme dont la vertu et le vice sont l'objet, ne s'adressent qu'à ce qu'ils contiennent de volontaire; il est donc nécessaire, quand on traite de la vertu, d'expliquer la différence du volontaire et de l'involontaire (3). D'ailleurs, c'est la vertu purement humaine que l'on considère en morale; or on entend par vertu purement humaine, non celle du corps, mais celle de l'âme (4). Enfin, de même que pour guérir les maladies des yeux ou de tout le corps, un médecin distingué a d'abord observé la nature des yeux ou du corps tout entier, de même il faut qu'un politique habile ait fait une étude particulière de l'âme. Il n'est pas permis d'ignorer l'homme, quand on veut déterminer le but suprême des individus et de la société (5).

La science de l'âme sert encore et surtout à faire comprendre la nature; car l'âme est en quelque sorte le principe des êtres animés (6). En effet, « l'animal est ou une âme, ou une partie de l'âme, ou quelque

(1) Mor. à Nicom., II, 2, p. 1104, b. (2) Ibid., IV, 13, p. 1127, a. (3) Ibid., III, 1, p. 1109, b. (4) Mor. à Nicom., I, 13, p. 1102, a. (5) Ibid.

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(6) De l'âme, I, 1, § 1.

chose qui n'est point sans âme. Celui qui étudie la nature doit donc discuter et connaître l'essence de l'âme; au moins doit-il savoir quelle est l'âme ou la partie de l'âme en vertu de laquelle tel animal est ce qu'il est (1). » De là l'évidente nécessité d'étudier l'âme et les affections qui lui sont propres ou qui appartiennent aux êtres animés à cause d'elle (2).

L'importance d'une telle étude n'est égalée que par sa difficulté (3). Il faut d'abord savoir quelle est l'essence de l'âme (4) : car l'âme et l'essence de l'âme c'est la même chose (5). Cette question de l'essence toujours si difficile l'est ici peut-être plus que pour tout autre sujet. En effet, on ne voit pas, on ne touche pas l'âme comme on fait le corps (6). Sans doute il n'est pas impossible que l'âme se connaisse ellemême (7); mais peut-être sommes-nous plus en état d'observer ceux avec qui nous vivons que de nous observer nous-mêmes (8); peut-être même est-il plus facile de savoir ce qu'est le feu que de savoir ce qu'est l'âme (9). Il faut pourtant déterminer si l'âme est une substance, ou si elle n'est qu'une qualité ou une manière d'être (10). L'âme est-elle l'animal, ou tout être animé, ou la vie de chaque être, ou bien n'est-elle pas l'être animé (11)? Est-elle ou non divisée en parties (12) ? Quelles sont ses facultés ? Comment les déterminer ? Dans quel ordre les étudier (13)? On devra

(1) Part. des anim., I, 1, p. 641, a.

- (2) De l'âme, I, 1, § 1. — (3) Ibid.,

§ 1, § 2. — (4) Ibid., § 2, § 3.—(5) Métaph., VII, 6 et 10, p. 1036, a, l. 1.—

(6) Mor. à Nicom., I, 13.

(7) Topiq., IV, 4, § 14.- (8) Mor. à Nicom.,

(9) Topiq., V, 2, § 3, § 4.

IX, 9, p. 1169, b. (10) De l'âme, I, 1, § 3. (11) Métaph., VII, 10, p. 1036, a, l. 16; VIII, 3.— (12) De l'âme, I, 1, § 4. -(13) Ibid., § 5 et suiv.

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