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ture et qu'un reflet de la réalité sensible ou intelligible, au lieu d'être les effets d'une puissance intime et véritablement active. On le voit plus nous avançons, plus nous avons sujet de regretter qu'Aristote ait négligé l'étude spéciale de l'âme humaine par le moyen de ce sens intime qui nous révèle à nousmêmes notre unité et notre activité propre.

Nous ne dirons qu'un mot de la théorie générale des facultés ou puissances de l'âme, suivant Aristote. Nous la croyons bonne et vraie en général, comme tableau des degrés de la vie dans la création. Il faut même avouer que le spiritualisme d'Aristote, qui nous paraît si imparfait en psychologie, prend un tout autre aspect en histoire naturelle; et quand on le compare à tant de naturalistes qui ont chancelé là où lui-même est demeuré si ferme, on ne peut s'empêcher de se rappeler qu'il était soutenu par le souffle de Socrate et de Platon dans ces difficiles et périlleuses études.

Mais revenons au point de vue plus restreint et plus sûr de la psychologie. Si nous mettons de côté la vie physiologique ou végétative, il reste dans l'âme humaine deux puissances irréductibles entre elles et essentiellement distinctes ou même séparables l'une de l'autre, savoir la sensibilité et l'entendement. Ces puissances diffèrent entre elles comme l'intelligible diffère du sensible. A la sensibilité Aristote attribue la connaissance qui résulte de la sensation proprement dite, de l'imagination et de la mémoire; d'un autre côté, la sensibilité est capable de plaisir et de peine et par suite d'appétit. Même distinction dans l'entendement il connaît par sa partie scientifique et

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pár sa partie logistique, et par cette dernière il est doué d'appétit raisonnable ou de volonté (1). Quant à la locomotion, dont on pourrait croire qu'Aristote a fait une puissance distincte, il la considère comme un effet de l'appétit, raisonnable ou non, déterminé par la fantaisie, à la suite d'un acte de la sensation ou de la pensée.

D'après cette théorie, l'âme humaine ne comprend que deux puissances irréductibles, l'entendement et la sensibilité, en vertu de ce principe que les objets de nos actes sont de deux sortes, intelligibles ou sensibles, et que nous devons distinguer dans l'âme autant de puissances qu'il y a d'objets au monde. Nous avons déjà fait nos réserves contre ce principe qui réduit l'âme à une sorte de miroir de la nature, abstraction faite de son activité propre; si l'âme est essentiellement une cause, une force active, ce n'est pas du dehors qu'il faut observer ses actes; les objets auxquels ils se rapportent sont choses secondaires, du moment que c'est l'âme que l'on veut étudier. A la méthode tout objective ou ontologique d'Aristote nous substituons volontiers la méthode purement psychologique de Descartes, et nous distinguons. après lui dans l'âme, d'une part l'action, c'est-à-dire tout ce qu'elle fait d'elle-même, telle qu'est la volition, et d'autre part la passion, c'est-à-dire tout ce qui est pour elle une manière d'être mue ou de pâtir, comme l'intellection ou la vision (2). C'est là en effet la dis

(1) Je ne m'arrête pas à faire remarquer que cette division de la puissance raisonnable est l'origine de la célèbre division des facultés de l'entendement et des facultés de la volonté. — (2) Lettres, t. VIII, p. 549, édit. de M. Cousin.

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tinction capitale, quand il s'agit d'un être essentiellement actif.

Nos principaux actes, tels que la consience nous les fait découvrir, sont la connaissance, l'amour et le mouvement par lequel nous traduisons au dehors nos sentiments et nos idées. Or nous produisons ces actes de deux manières très-différentes: tantôt notre activité est déterminée par la nature, la fatalité ou la Providence; tantôt nous agissons par nous-mêmes, indépendamment de toute autre cause et dans la plénitude de notre libre arbitre.

Pensée, amour, volonté, puissance, tels sont les trois ou quatre faits saillants que nous offre l'observation de notre nature intellectuelle et morale. Nous allons interroger successivement sur chacun d'eux la doctrine psychologique d'Aristote, en laissant néanmoins de côté le fait de locomotion comme le moins important et le moins universellement reconnu de nos jours (1).

(1) Voyez dans les Mélanges de M. Jouffroy, le morceau intitulé : Des facultés de l'âme.

CHAPITRE IV.

DE LA CONNAISSANCE.

L'homme, dit Aristote, ne vit que par la sensation et par la pensée : or sentir ou penser, c'est connaître. La connaissance est le fait saillant aux yeux d'Aristote; dans toutes ses analyses l'élément intellectuel est celui auquel il s'attache de préférence; aussi la théorie de la connaissance est-elle de beaucoup la plus considérable de toutes celles qui composent son système psychologique. A la sensation se rapportent les sens particuliers, le sens commun, l'imagination et la mémoire; la pensée se manifeste dans l'induction et la définition, l'intellection pure, la démonstration l'opinion, la réminiscence et le syllogisme du contingent. Chacune de ces manières de sentir ou de penser est l'objet d'une théorie spéciale qui mérite d'attirer l'attention des psychologues modernes. Nous indiquerons d'une manière sommaire les principaux mérites de ces diverses analyses. Mais il est un point sur lequel il importe de déterminer avant tout le vrai caractère de la doctrine d'Aristote : je veux parler de l'origine des connaissances humaines. C'est là une des questions fondamentales par lesquelles on peut juger de toute une philosophie. Suivant qu'on la résout dans un sens ou dans l'autre, on est dit partisan de l'expérience et des sens ou défenseur de la raison; on

est rangé dans l'une ou dans l'autre de ces deux grandes familles de philosophes on est sensualiste ou idéaliste, empirique ou rationaliste.

Dans tous les temps Aristote a été l'objet de jugements contraires et peut-être également erronés. Sa doctrine a paru aux uns tellement pure et élevée, qu'ils l'ont considérée comme une sorte d'orthodoxie en philosophie; les autres ont mis à l'attaquer autant de passion qu'on en mettait à le défendre, et ils l'ont taxé à l'envi de sensualisme, de matérialisme, presque d'athéisme. Aujourd'hui encore, malgré l'impartialité plus grande de notre siècle, les historiens de la philosophie l'abaissent ou l'exaltent outre mesure; en sorte que le public, qui n'est point philosophe et qui n'épouse volontiers aucun parti extrême, demeure en suspens et ne sait s'il doit admirer ou blâmer. Peut-être aurons-nous contribué à éclaircir cette question délicate; peut-être aussi nous accusera-t-on de l'avoir embrouillée davantage en apportant une solution qui s'ajoutera à toutes les autres et ne les remplacera pas. Quoi qu'il en soit, examinons avec calme et impartialité ce qu'a enseigné véritablement notre philosophe sur le problème de l'origine des connaissances humaines.

Toute connaissance, sensation ou pensée, est relative à quelque objet c'est donc d'après leurs objets que les connaissances doivent être divisées. Tel est le point de départ d'Aristote, tel est aussi le nôtre, et cela par une double raison. La première est que pour déterminer l'origine de nos idées et de nos connaissances, c'est-à-dire pour savoir si elles dérivent de plusieurs facultés ou d'une seule, il est

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