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accompagne tous les actes conformes à notre nature, qu'il en est le complément et l'achèvement (1). Il n'est donc pas un mal, et même on doit convenir que la notion du bien souverain implique une certaine satisfaction accordée à nos facultés naturelles (2). Il est des plaisirs méprisables; il en est qui sont naturellement désirables; d'autres sont pour ainsi dire intermédiaires (3). Le plaisir le plus pur s'attache à l'acte le plus parfait (4), et si la fin de toutes nos actions est le bien, c'est aussi le bonheur (5).

Dieu, l'acte pur et parfait, est souverainement heureux par la possession même du bien souverain (6). Le bonheur dont il jouit éternellement dans la contemplation ne nous est point refusé : nous rencontrons aussi à de rares intervalles cette félicité suprême (7), et la connaissance des principes nous procure d'ineffables jouissances (8).

Le bonheur est donc une action de l'âme, et il dépend de nous d'y atteindre (9), à la double condition, il est vrai, de l'expérience et de la vertu (10). Pour qu'il soit complet d'ailleurs, le loisir paraît indispensable, et par conséquent l'aisance et les biens de la vie et du corps (14). Mais comme la vertu de l'homme est essentiellement dans son âme, son bien est aussi le bien de l'âme (12). Il doit donc embrasser et chérir

(1) Polit., V, 7, §7; Hist. des anim., VIII, 1 fin.- (2) Mor. à Nic., VIII, 7, p. 1158, a, 1. 24, 25; X, 7, p. 1177, a. (3) Ibid., VII, 6, p. 1148, a. (4) Ibid., X, 5, p. 1175, b.

- (5) Ibid., I, 1; X, 7.— (6) Métaph., XII, 7, 9.

(7) Ibid.; Mor. à Nic., X, 8, pass.- (8) Part. des anim., 1, 5.- (9) Polit., IV, 3, §5; Gr. Mor., 1, 4; Poët., V, § 7. (10) Polit., IV, 1, § 5; Mor.

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à Nic., I, 10, etc.- (11) Polit., II, 8, § 6; Mor. à Nic., X, 8, p. 1178, a, b. (12) Gr. Mor., 1, 4, pass.; Mor. à Nic., X, 7 fin.

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cette partie essentielle de lui-même, qui seule survit à la dissolution du corps (1): car seule elle est indépendante, séparable, éternelle (2).

(1) Métaph., XII, 3 fin. — (2) De l'âme, II, 2, §9; III, 4, § 4; ch. 5, S$ 1, 2; etc.

SECONDE PARTIE.

CRITIQUE.

CHAPITRE I.

RÉSUMÉ GÉNÉRAL.

Nous avons parcouru, dans l'ordre qu'Aristote lui-même nous indiquait, le cercle entier des questions relatives à la nature et aux facultés de l'âme. Nous y avons répondu au nom d'Aristote, ses ouvrages à la main, et nous croyons avoir reproduit fidèlement sa pensée, sa méthode et jusqu'à son langage.

L'exposition qui précède fait connaître, au moins dans son ensemble et dans ses principaux détails, le système psychologique épars dans les divers écrits de ce grand philosophe. Il s'agit maintenant de nous rendre compte de ce système et de l'apprécier à la fois dans son idée générale et dans ses théories essentielles. Nous allons en retracer brièvement les traits les plus saillants, en nous efforçant dans ce résumé rapide de concilier l'exactitude et la clarté.

La science de l'âme, suivant Aristote, ne doit point se borner à l'étude de l'homme. C'est une grave er

:

reur des premiers philosophes d'avoir cru qu'on pouvait fonder une science générale sur l'étude d'une seule espèce. Tout être animé, par cela seul qu'il vit, a une âme chacun a la sienne, qui est son essence et sa forme propre. Toutes ces âmes ne sont point de même espèce, et celui qui n'en considère qu'une seule ignore toutes les autres. Pour donner une définition générale de l'âme, il faut avoir devant les yeux nonseulement l'homme, mais tous les autres animaux, non-seulement tous les animaux, mais encore les plantes, en un mot tout ce qui participe de la vie.

Tout corps naturel organisé pour vivre, et possédant ainsi la vie en puissance, la reçoit en acte et vit réellement, dès que l'âme pour laquelle il est fait vient s'unir à lui et lui imprimer sa forme. L'âme est donc la première entéléchie de ce corps, c'est-à-dire son premier but et son premier acte. En d'autres termes, l'âme est le principe de la vie.

Chaque être animé est composé d'âme et de corps, j'entends d'une certaine âme et d'un certain corps qui sont faits l'un pour l'autre, et dont l'union constitue la vie et la forme propre de cet être. Or la définition générale que nous venons de donner, par cela même qu'elle convient à toutes les âmes, n'en désigne aucune en particulier. Pour rendre compte d'une àme d'une certaine espèce, il ne suffit pas de dire qu'elle est un principe de vie, puisque cela ne lui est point particulier; il faut ajouter à cette notion générale le caractère ou la manière de vivre qui distingue cette âme de toutes les autres.

Tant que le principe de vie qui est dans un être ne s'est pas manifesté par ses actes propres, on peut

dire que ses puissances sont dans un état de sommeil. L'âme est présente, mais comme une simple disposition à la vie et à l'action. C'est l'usage qu'on fait de la vie qui lui donne tout son prix; c'est seulement lorsqu'elle s'éveille et agit que l'âme fait usage de la vie qui est en elle et par ses actes fait connaître sa

nature.

La première fonction de la vie est la nutrition, c'est-à-dire l'acte par lequel l'âme convertit en aliments les substances étrangères et par l'action de la chaleur vitale les assimile à la substance du corps qu'elle anime telle est la vie chez la plante. Dans l'animal, l'âme agit par sensation et par locomotion; dans l'homme elle s'élève jusqu'à la raison et à la pensée.

Ainsi, nutrition, sensation et locomotion, pensée, telles sont les formes essentielles de la vie dans les êtres de la nature. L'âme est donc ou végétative, ou sensitive, ou raisonnable, suivant que l'on considère la plante, l'animal ou l'homme. Telles sont les trois parties ou puissances qui distinguent essentiellement les différentes espèces d'âmes.

La puissance végétative, qui a pour acte la nutrition et pour but la génération et la reproduction de l'espèce, se rencontre seule dans la plante; mais elle se retrouve également dans les êtres naturels qui ont en partage des facultés plus hautes. De même que dans la série des figures géométriques, le triangle est contenu au moins en puissance dans le quadrilatère, le quadrilatère dans le pen agone, et ainsi de suite, chaque terme supérieur impliquant le terme inférieur, de même dans la série des êtres vivants,

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