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La substance est un des genres de l'être. Elle se prend en trois sens : premièrement comme matière, ce qui en soi n'est point déterminé; secondement comme forme et essence par quoi l'on définit les êtres; enfin, ce qui est composé de ces deux choses est aussi appelé substance (1). C'est dans ce dernier sens que nous appelons substances les animaux, les plantes et leurs parties, en un mot tous les corps naturels (2). Dans l'être réel composé de forme et de matière, le corps évidemment remplit le rôle de sujet ; il est la matière qui a ou qui n'a pas telle forme, qui est ou qui n'est pas capable de recevoir la vie (3). On voit donc en quel sens l'âme est principe et substance; elle ne l'est ni comme un composé, ni comme une matière, mais bien comme forme d'un corps naturel capable de recevoir la vie, et qui la possède en puissance (4). A ce titre, elle est le principe de la vie dans l'être animé; c'est par elle que l'homme est vivant (5).

La forme en s'ajoutant à la matière la détermine et lui donne son nom, car la matière n'est qu'une simple puissance; mais la forme, qui en elle-même n'est susceptible ni de plus ni de moins, est une réalité parfaite, une entéléchie (6). L'âme est donc la forme et l'essence, l'entéléchie première, le parfait 'achèvement d'un corps naturel doué d'organes et qui a la vie en puissance : Εστιν ἡ ψυχὴ ἐντελέχεια πρώτη σώματος φυσικοῦ ὀργανικοῦ ζωὴν δυνάμει ἔχοντος (7).

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(1) De l'âme, II, 1, § 2.—(2) Métaph., VIII, 2, pass.; De l'âme, II, 1, § 3. · (3) De l'âme, II, 1, §4. — (4) Ibid., § 5; Métaph., XIII, 2, p. 1077, a, l. 32. (5) Ibid., V, 18; V, 26. (6) De l'âme, II, 1, § 2; Métaph., VIII, 3, p. 1043, b. —(7) De l'âme, II, 1, §§ 5, 6; II, 2, § 13; Métaph., VIII, 2 ; VIII, 3, p. 1043, a, l. 35.

Il ne faut pas demander si l'âme et le corps sont une même chose, pas plus qu'on ne demande si la cire et la figure qu'elle reçoit sont identiques (1). L'âme est l'essence de l'être animé, de la même manière que la propriété de couper pour la hache et la faculté de voir pour l'œil. Supposons que la hache fût un corps naturel : son existence serait son essence même, qui est de couper, et ce serait là son âme; celle-ci venant à disparaître, ce qui reste n'est plus une hache, si ce n'est d'une manière figurée (2). Il est vrai que l'âme n'est pas l'essence d'un corps tel que la hache, mais bien d'un corps naturel, ayant en lui-même le principe du mouvement et du repos. Mais prenons pour exemple quelque partie de l'être animé. Si l'œil était un animal, son âme serait la vue : car telle est l'essence de l'œil d'après sa définition. L'œil est la matière de la vue, et ce sens venant à manquer, l'œil n'existe plus que par homonymie, comme un œil de pierre ou un œil en peinture. Ce que nous disons de la partie se doit entendre de tout le corps vivant. L'âme est dans le corps ce qu'est la vue en son organe. Le corps n'est un animal qu'en puissance, et de même que l'œil résulte de la pupille et de la faculté de voir, ainsi l'âme et le corps font l'animal (3).

L'âme ne saurait quitter le corps, qu'aussitôt il ne cesse de respirer et ne se corrompe; car c'est elle qui en fait la vie et l'unité (4). La main, dans un corps sans âme, n'est plus une main véritable: on ne peut lui donner ce nom que par homonymie et comme on

(1) De l'âme, II, 1, § 7.—(2) Ibid., § 8. — (3) Ibid., §§ 8, 9, 11; Topiq., IV, 5, § 6. (4) De l'âme, I, 5, § 24.

dit une main de fer ou de bois. Ainsi, l'homme mort n'est plus un homme (1).

Proprement, l'homme, comme tout animal, paraît être double (2): c'est un composé d'âme et de corps: l'une est sa forme substantielle et l'autre sa matière (3). Cependant, à vrai dire, l'homme est un et non plusieurs (4).

D'un côté, en effet, il est un par son âme, unité simple et indivisible, essence individuelle (5). Il serait absurde de supposer qu'une substance unique se partageât entre tous les hommes: comment tant d'êtres différents pourraient-ils n'avoir qu'une même substance, et comment la substance de tous ces êtres pourrait-elle devenir chacun d'eux (6)? Comment comprendre que l'animal en soi, par exemple, réside dans le cheval au même titre que tu es en toi-même, wσπEρ où σavτe? Comment serait-il un dans des êtres qui existent séparément (7) ? Tout être réel est un (8); un et individuel sont la même chose (9). Il n'y a point d'unité en soi, point d'être en soi qui existe réellement (10). Ce qui existe réellement, c'est tel homme, c'est Callias, par exemple (11). L'unité indivisible en tant qu'homme, c'est un seul homme (12). Donc par son essence, c'est-à-dire par son âme, l'homme est un, simple et indivisible (13).

(1) Part. des anim., I, 1, p. 640, b, l. 34 ; p. 641, a; Métaph., VII, 11 p. 1136, b. — (2) Ibid., V,

15;

VII, 11.

- (3) Topiq., V, 3, § 1 ; V, 1, § 4.(5) Ibid., VIII, 6 pass.

(7) Ibid., VII, 14. (8) Ibid., X, 1, 2, pass.

(4) Métaph., VIII, 6, p. 1045, a.
4, p. 999, b.
(9) Ibid., III, 4, p. 999, b; p. 1000, a.

ch. 6, 7 pass.

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(10) Ibid., III, 4, (11) Ibid., VII, 13, pass. — (12) Ibid., V,

— (13) Ibid., V, 26; VII, 17; XII, 5.

(6) Ibid., III,

pass. Cf. 1. I,

6, p. 1015, b,

D'un autre côté, le corps est en vue de l'âme (1). Dieu et la nature ne font rien en vain (2). Tout ce qui est l'œuvre de la nature vient de quelque chose et tend à quelque chose. Or ce n'est pas de son point de départ que le mouvement tire son nom, mais bien de sa fin. Tout être naturel se meut donc vers ce qui est sa fin et son but, c'est-à-dire vers sa forme ou son essence (3). Car la cause finale et la cause formelle sont identiques (4). L'âme est donc la cause finale et le but du corps, le principe qui en fait l'unité et sans lequel il n'y aurait que pluralité, dissolution sans fin (5). Quand l'âme s'unit au corps, c'est une forme qui s'ajoute à une matière capable de la recevoir; ce qui était en puissance ne fait plus qu'un avec l'acte dont il était la puissance. C'est que la matière immédiate et la forme sont une seule et même chose : l'être en puissance et l'être en acte ne font ainsi en réalité qu'un seul être. C'est ainsi que l'homme est un, lorsque la matière, qui par elle-même est indéterminée et ne saurait entrer dans une définition, se trouve determinée par la forme qui s'y ajoute (6). Donc l'homme est un en lui-même; il n'est double que par accident (7).

:

L'âme est l'essence première des êtres animés; c'est par elle qu'on les définit la définition de l'âme humaine est une définition de l'homme (8). La faculté de voir entre dans la définition de l'œil; chaque

(1) Gr. Mor., II, 10. (2) Du ciel, I, 4 ; De la marche des aním., II, p. 704, b; Polit., I, 1, § 5, § 10. — (3) Physique, Il, 1, p. 193, b; V, 1, p. 224, b. (4) Polit., I, 1, § 8; Métaph., VIII, 4, p. 1044, b, l.1. (5) Ibid., XIII, 2.—(6) Ibid., VIII, 6, p. 1045.—(7) Ibid., V, 15.— (8) Ibid., VII, 11, p. 1037, a. Cf. Topiq., V, 1, S 4.

faculté doit entrer de même dans la définition de la partie du corps qui lui sert d'organe. L'âme par ses parties a donc la priorité sur les parties du corps; il en est de même de l'âme tout entière par rapport au corps tout entier (1).

On le voit donc : l'âme n'est pas le corps, mais quelque chose du corps (2).

Elle n'est pas le corps, puisque le corps est matière, et qu'elle est forme (3) et essence immatérielle (4). Le corps est sensible et visible; mais le sensible et le visible ne sont point les genres de l'âme (5). Le corps par lui-même est multiple, divers et sujet à une dissolution sans fin (6). L'âme lui donne l'unité et la vie, parce qu'elle est une, simple, indivisible, douée de vie (7) et même impérissable comme essence (8). Le corps est sujet au mouvement, à l'altération, au changement; l'âme est immobile comme acte (9), bien qu'elle paraisse sujette à certaines altérations (10). Elle est principe de mouvement, mais elle n'a point de mouvement en soi-même et n'est mue que par accident (11). L'âme n'a point de lieu (12); elle n'est point, comme le corps, une grandeur (13), ni un élément, ni un composé d'éléments (14); elle n'est donc pas un corps, pas même un corps subtil et délié (15). Pourtant elle est quelque chose du corps. En effet,

(1) Métaph., VII, 10, p. 1035, b. II, 1, § 7. — (4) Métaph., 1. c. p. (6) Métaph., XIII, 2.

§ 5. 3, $2.

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(7) Ibid., VIII, 6 pass.; IX, 8; Topiq., IV,

(11) De l'àme,

(8) Métaph., VIII, 3; VII, 8.— (9) De l'àme, I, 4, § 15 et pass.(10) Métaph., XI, 12; Phys., VII, 3, p. 246, a ; p. 248, a. I, 3, § 10; ch. 4, $9; Topiq, IV, 1, § 3. - (12) De (13) Ibid., § 12; Mouv. comm. des anim., IX, § 5.

l'âme, I, 3, § 3.

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(14) De l'âme,

1, 5, pass. - (15) Ibid., I, 5, § 4 ; I, 1, § 7, De la jeun., etc., I, § 2,

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