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qui nous causent du plaisir (1). Ce n'est donc pas une chose de peu d'importance que nos sentiments de plaisir ou de peine soient ou non conformes au bien (2). Or les enfants surtout sont agités par des désirs continuels, et rien n'égale le penchant qui les porte vers tout ce qui est agréable (3). Voilà pourquoi le plaisir et la peine sont les moyens dont on se sert dans l'éducation de la jeunesse, pour la gouverner. Le plus important pour la vertu morale est qu'on aime ce qui doit plaire et qu'on haïsse ce qui est digne d'aversion; car ces sentiments s'étendent sur l'existence tout entière et ont une grande influence sur la vertu et le bonheur de la vie, puisque d'ordinaire on préfère ce qui donne du plaisir et qu'on fuit ce qui cause de la peine (4).

(1) Mor. à Nic., II,9. — (2) Ibid., II, 2. — (3) Ibid., JII, 15. — (4) Ibid., X, 1.

CHAPITRE XVI.

DE LA PUISSANCE APPÉTITIVE (τὸ ὀρεκτικόν).

De l'appétit en général (öpeğıç); du désir (èπovμía); de la passion (Buμós); des émotions ou passions (πán).

$ 1.

La puissance appétitive est une des facultés les plus considérables de l'âme (1). Si l'on se refuse à en faire une faculté à part, on est contraint de la morceler et d'en rompre l'unité. En effet, elle est liée intimement à toutes les autres parties de l'âme, à la raison par la volonté, et à la partie non raisonnable par le désir et la passion (2).

Dès qu'un être est doué de sensibilité, n'eût-il que le sens du toucher, il possède par cela même l'appétit ; car la sensation est accompagnée de plaisir et de peine, et partout où se produisent ces deux affections, on rencontre également le désir (3). Il suffit que l'âme, en percevant un objet sensible, en soit affectée agréablement ou désagréablement pour qu'aussitôt elle recherche cet objet et s'y attache, ou pour qu'elle y répugne et l'évite. Or jouir et souffrir sont les actes de la sensibilité en présence du bien et du

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mal; la répugnance et l'appétit en acte ne paraissant pas être autre chose, il s'ensuit que le principe de la repugnance et celui de l'appétit (τὸ φευκτικὸν καὶ τὸ opeжTixóν) ne font qu'un entre eux et avec la sensibilité, et que leur manière d'être seule est différente (1). Les deux contraires d'ailleurs doivent toujours être rapportés à une même faculté (2).

L'appétit en acte est un mouvement (3) dont la cause, l'objet ou le but est le désirable (ópeztóv), c'est-à-dire le bien (4), ou le meilleur (5), ou le beau (6), ou l'utile (7), ou l'agréable (8), en deux mots le bon ou l'agréable (9). Au reste, il n'est pas nécessaire que l'objet soit réellement bon ou agréable en soi il suffit qu'il nous le paraisse (10). Une chose même qui n'existe point peut être l'objet de notre appétit aussi bien que de notre pensée (11).

Tantôt l'appétit s'adresse au but lui-même, et tantôt il s'arrête aux moyens. Tous les êtres, par exemple, aspirent à l'éternel et au divin; et comme aucun d'eux ne saurait atteindre à ce but suprême, chacun s'applique à perpétuer du moins l'espèce à laquelle il appartient, et la production d'un être semblable à luimême lui devient un but et un objet d'appétit (12).

Il y a deux sortes d'appétit dans l'homme : l'un raisonnable, qui est la volonté, c'est-à-dire un appétit du bien conduit et réglé par la raison; l'autre sensuel

(1) De l'âme, III, 7, § 2. — (2) Topiq., II, 7, § 4.— (3) De l'âme, III, 10, § 7. — (4) Ibid., III, 10, §§ 2, 3, 4; Topiq., V, 6. § 2; Mor. à Nic., I, 1. (5) De l'âme, III, 11, § 2; Topiq., III, 1, § 4 et pass.— (6) Métaph., XII, 7; Mor. à Nic., III, 6, pass. (7) Mor. à Nic., ibid. VIII, §1.-(9) Rhét., I,

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(8) Mouv. des anim., 11.— (10) De l'âme, III, 10, § 4; Topiq., VI, 8,

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(12) De l'âme, II, 3, §§ 2, 5

5.

ou animal, qui se partage en deux et comprend d'une part le principe de la passion, et d'autre part le désir ou concupiscence (1). Il y a donc trois appétits : la volonté, la passion et le désir (2). Mais la volonté étant toujours accompagnée de raisonnement (3), nous ne parlerons ici que du désir et de la passion.

§ 2.

En général, tout ce à quoi nous porte l'appétit est agréable (4); mais si on ne le recherche qu'en tant qu'agréable, l'appétit devient alors proprement le désir, c'est-à-dire l'appétit de l'agréable (5), ou plutôt du plaisir (6).

Les animaux recherchent tous le plaisir avec ardeur (7). L'homme y est porté par un penchant inné(8), insatiable (9). Rien n'égale la vivacité des désirs dont les enfants sont agités (10). Partout où il y a plaisir, le désir se produit nécessairement (11): le seul souvenir du plaisir que l'on a goûté nous fait souhaiter de le goûter encore (12), et d'un autre côté, nous ne pouvons souffrir sans souhaiter aussi quelque chose (13). Les désirs sont donc des mouvements de nature (14) sans choix ni réflexion de notre part (15),

(1) Rhét., I, 10, 11.— (2) De l'àme, II, 3, § 2; Gr. Mor., I, 13; Mouv. commun des anim., VI, § 5. (3) Topiq., IV, 5, § 4. (4) Rhét.,

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(9) Ibid.,

I, 11.— (5) De l'âme, II, 3, § 2; Topiq., VI, 3, § 4; Réf. des soph., XIII, S2; Rhét., I, 10, 11; Mor. à Nic., III, 4. (6) Topiq., VI, 8, §§ 2, 5.(7) Rhét., 1, 6; Mor. à Nic., VII, 12. – (8) Mor. à Nic., II, 3, 8. III, 12; Polit., II, 4, § 7, § 1 1.—(10) Mor. à Nic., III, 15; VII, 12.—(11) De l'âme, II, 2, § 8 ; II, 3, § 2 ; III, 11, §1; Du somm., I, § 11. des anim., VII, 1. (13) Rhét., II, 2. — (14) Prem. Anal., II, 27, § 12. ― (15) Mor. à Nic., VII, 8; Rhét., I, 11.

(12) Hist.

ne regardant qu'au moment présent (1), et allant à leur but par les moyens que suggère la nécessité ellemême (2).

Tout désir témoigne d'un besoin, puisqu'il se porte toujours à quelque chose qu'on n'a pas et qui est absent (3); aussi est-il toujours accompagné de souci et de peine (4), et le plaisir auquel il nous conduit n'est souvent que l'affranchissement de cette souffrance (5).

Nos désirs naturels (6) sont de plusieurs sortes. Il y a d'abord les besoins serviles et grossiers qui naissent des sensations du toucher et du goût (7): la faim, qui est un appétit du sec et du chaud; la soif, qui recherche le froid et l'humide (8); puis les désirs qui ont pour objet les plaisirs de l'amour sensuel et de la bonne chère (9); enfin tous ceux qui flattent les autres sens et contentent l'odorat, l'ouïe et la vue (10).

Parmi les désirs, il en est qui semblent communs à tous les hommes, et il en est d'autres qui sont comme accidentels et propres à chaque individu. Ainsi le désir de la nourriture est naturel. Le besoin d'une compagne se fait aussi sentir, comme dit Homère, dans lá fleur de la jeunesse (11). Mais tous les hommes ne désirent pas telle ou telle nourriture ni les mêmes choses. Ainsi il y a dans le désir quelque chose qui est naturel et commun à tous les hommes, et quel

(1) De l'âme, III, 10, § 6.

25.

(2) Polit., IV, 9, S 4.

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(3) Rhét., II, 13, (4) Mor. à Nic., III, 4, 13; VII, 13.— (5) Ibid., VII, 14, 15, pass. (6) Rhét., I, 11; Mor. à Nic., VI', 7.—(7) Mor. à Nic., III, 13; VII, 8; De la sensat., I, § 8. (8) De l'âme, II, 3, § 3; Rhét., I, 11; Mor. à Nic., III, 13. — (9) Rhét., ibid.; Mor. à Nic.. II, 13; De l'âme, II, 3, § 2. Cf. Gén. des anim., 1,20, pass. — (10) Rhét., i' id.

(11) Iliade, XXIV, 129.

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