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tainement les bienvenues. Quand on sait que le Parthénon et probablement tous les monuments grecs de la belle époque n'ont pas une seule ligne droite, soit horizontale, soit verticale, et que les déviations de chacune d'elles en courbes et en inclinaisons vers le centre sont un problème mathématique insensible à la vue et qui concourt à l'harmonie de l'impression générale, on apprend qu'il y a dans les arts, comme dans la nature, des principes cachés qui méritent d'être étudiés, et dont nous devons chercher la raison, bien qu'ils échappent à une perception superficielle. Le contraste des couleurs est de cette nature: il a ses règles, ses principes, et nous semblons l'ignorer. Aux architectes je dirais : Étudiez la loi des courbes et des inclinaisons, puisqu'on a pu sur l'Acropole d'Athènes en retrouver l'économie; aux peintres : Rendezvous maîtres de la théorie du contraste des couleurs, puisque vous avez le bonheur de posséder l'homme de génie qui a arraché à la nature le secret de ses harmonies et vous a mis à même de tirer des conséquences, utiles dans l'application, de mille faits que vos prédécesseurs ont eus sous les yeux sans les voir. J'ai entendu des gens habiles se moquer des recherches de M. Chevreul, j'ai vu de grands artistes hausser les épaules en disant (et ils croyaient dire quelque chose de spirituel) que Titien, Corrége et Rubens n'avaient pas étudié les règles du contraste des couleurs. Tout cela n'empêcha pas M. Chevreul, avec une persévérance que Dieu donne à la conviction, de propager ses idées, et rien n'empêchera qu'avant peu sa théorie ne soit une part obligée de l'enseignement et une condition des examens, un système qu'il sera aussi nécessaire de connaître que les proportions de la figure et les règles de la perspective dans l'exercice des arts, que l'orthographe et l'arithmétique dans la vie privée. Vous croyez qu'on pourra devenir coloriste mathématiquement? me dira-t-on. Je n'en doute pas, comme on devient musicien en étudiant la musique; seulement, si l'étincelle sacrée manque, vous ne créerez rien en musique, rien en peinture. Mais n'abordons pas ce sujet, revenons à nos lectures. Il est bien entendu que l'enseigne

ment suivi, l'étude approfondie a fait place à des aperçus ingénieux et rapides, à des expositions éloquentes mais restreintes. Ainsi au cours d'archéologie générale s'ajouteraient utilement des lectures sur des points particuliers de cette étude. MM. Viollet le Duc et Lassus seraient invités à présenter en quelques soirées leurs idées et le résultat de leurs recherches sur l'architecture gothique; M. Didron, sur l'iconographie chrétienne; M. Rio, sur l'art religieux; M. Beulé, sur ses fouilles à l'entrée de l'Acropole d'Athènes. MM. Ch. Blanc, Montaiglon, Jeanron, Dussieux, feraient l'histoire de quelques peintres. M. Vitet prendrait deux ou trois séances pour lire son étude charmante sur Le Sueur et pour raconter la vie du Poussin, qui, semblable à celle des grands philosophes de l'antiquité, peut être donnée en modèle aux jeunes gens. M. de Chennevières dirait ce qu'a été l'art en province. M. Ruprich Robert rendrait compte de ses observations sur la botanique dans son association avec l'ornementation peinte et sculptée. Horace Vernet, Ingres, Delacroix, Decamps, viendraient successivement exposer leur manière de voir la nature, de comprendre le beau, de rendre leurs idées; Courbet et Clesinger eux-mêmes seraient admis à expliquer, ou à excuser, leur brutal système de peinture et de sculpture. Un jour un grand anatomiste exposera une lumineuse théorie sur les races humaines, d'après leur constitution et leurs types. Un autre jour, le père de Ravignan décrira dans son magnifique langage les beautés du christianisme et les ressources que les arts peuvent trouver encore dans son histoire. Après lui, M. Michelet montera en chaire et racontera, ou plutôt il peindra la guerre des Gaules au point de vue gaulois et les croisades comme les raconterait un compagnon de Saladin, car, dans ces grandes émotions, il est une voix qu'on n'a pas entendue, celle du vaincu; Gaulois et Arabes peuvent dire, comme dans la fable: Si nos confrères savaient peindre ! Quand on placardera à la porte de l'École des beaux-arts les lectures de la semaine, il y aura grand émoi dans le monde artiste, car on y apprendra des choses inattendues: MM. Saint-Marc Girardin ou Sainte-Beuve analysant

les beautés pittoresques de notre théâtre dramatique, M. Thiers communiquant ses vues sur la renaissance des arts à Florence, M. Cousin développant ses idées philosophiques sur le beau; M. Mérimée racontant son tour de France, revue spirituelle et instructive de nos monuments; M. Botta discutant la priorité des Égyptiens dans la culture des arts; le duc de Luynes recherchant les origines asiatiques de l'art grec. Il est impossible qu'au contact de ces grands esprits, de ces voix éloquentes, la nouvelle génération artiste ne sente pas sa mission s'élever et sa responsabilité grandir.

Je n'ai point l'intention d'épuiser un programme qui aura pour caractère principal l'inattendu, et pour utilité première d'introduire dans l'enseignement l'intérêt, la passion, la vie en un mot, ce ressort si détendu de nos jours, et qui doit reprendre son énergie.

Une bibliothèque et une collection d'estampes seraient le complément de cette éducation. L'une et l'autre, assez restreintes et toutes spéciales, s'augmenteraient principalement de legs des artistes, assurés de la reconnaissance de leurs camarades par une estampille à leur nom qui éterniserait sur leurs gravures et sur leurs livres le souvenir de leur générosité. Une bibliothèque spéciale des arts comprend environ 1,000 bons ouvrages in-8°. Le reste est une insipide redite qui ferait prendre en dégoût les arts et l'érudition aux élèves auxquels on en imposerait la lecture. La bibliothèque admettra en outre environ 3,000 volumes d'ouvrages à figures qui présentent, dans leurs planches, l'histoire de l'art par ses monuments. Elle acquerra plusieurs exemplaires de quelques livres classiques et usuels pour les mettre à la disposition de tous ceux qui ne peuvent les acquérir. La collection d'estampes devra offrir, en belles épreuves, les œuvres complètes des maîtres, j'entends des peintres graveurs et des grands graveurs; tout le reste, y compris les doubles des gravures des maîtres, sera distribué en recueils archéologiques et classé méthodiquement par ordre chronologique, avec des catalogues spéciaux pour les différentes natures de recherches. Il

ne faut pas davantage aux artistes, aux élèves, aux apprentis et aux ouvriers. Ils ne sont pas et ils ne doivent pas devenir des bibliophiles et des érudits de profession, mais ils viennent chercher commodément et rapidement, suivant leurs inspirations et mille directions différentes, qui les diverses représentations d'un sujet dont il est préoccupé, qui une pose, un type particulier, une nature exceptionnelle, qui un détail de costume, de coiffure, d'ameublement, -que sais-je? Souvent l'artiste y viendra feuilleter au hasard et en rapportera plus qu'il n'était venu chercher. Ce qui distinguera cette bibliothèque de toutes les bibliothèques de Paris, c'est qu'elle restera ouverte le soir quand ses sœurs fermeront, et qu'on l'ouvrira le matin quand les conservateurs des autres bibliothèques dormiront profondément. J'entends tous les jours de l'année, sans une seule exception, de cinq heures du matin à dix heures du soir1.

DES MODIFICATIONS QUI DOIVENT ÊTRE APPORTÉES À LA DISTRIBUTION DES PRIX de l'École des BEAUX-ARTS; Du développement de l'École de rome, et DE L'ÉDUCATION ARTISTE PAR LES VOYAGES.

Quelques prix dus à de généreuses fondations et les grands prix accordés par l'État sont la récompense des élèves et le but de leur ambition. Ni les uns ni les autres ne répondent à l'importance et au développement que les arts ont pris; ils atteignent quelques sommités, ils laissent exposés aux séductions les plus compromettantes des talents naissants qu'il importe d'aider et de soutenir à ce moment difficile des premiers pas dans la carrière.

MM. de Caylus, Latour-Landry, Leprince, Le Clère et Deschaumes ont été de généreux fondateurs de prix pour des

Je ne crois pas nécessaire, si même l'espace ne me manquait pour de longs développements, d'exposer les raisons qui rendraient cette bibliothèque si utile aux artistes et aux ouvriers artistes de la capitale, ni de démontrer la facile exécution de ce service public, pendant toute l'année, de cinq heures du matin à dix heures du soir. Je dirai seulement que cette bibliothèque artiste, publique pour tous, devrait être disposée tout entière en pupitres, pour que les jeunes gens pussent dessiner,

études spéciales et des cas déterminés; ils trouveront des imitateurs, et nous verrons un jour les prix si nombreux, que les élèves seront assurés, au bout de chacun de leurs efforts d'une récompense honorable et d'un moyen d'alléger les sacrifices faits par leurs familles. Ce point est important, car une délicatesse propre aux natures distinguées ravit souvent aux études de l'art les sujets qui promettaient le plus. Ces jeunes gens voient le grand prix de Rome si éloigné, ils voient

copier et calquer à leur aise. Je dis calquer, quoique ce soit une dérogation aux règlements ordinaires, parce que, excepté les œuvres des maîtres qui doivent être scrupuleusement respectées, les autres gravures ont peu à souffrir de ce genre de reproduction, quand on exige l'emploi de crayons d'un certain numéro, parce qu'en outre il importe de fournir aux jeunes artistes ce moyen de recueillir rapidement les nombreux détails, les analogies, les objets de comparaison qui forment comme les matériaux des études poursuivies dans l'atelier et à l'école. S'il doit en résulter pour quelques ouvrages élémentaires et classiques une ruine certaine au bout d'un petit nombre d'années, le grand mal! on en rachètera de neufs, et le temps qu'on aura épargné aux artistes rachètera lui aussi avec usure ces quelques écus perdus.

On me permettra de citer dans cette note, sans y rien changer, ce que j'écrivais au mois de mai 1848. L'article était composé et il allait paraître lorsque la Presse fut suspendue. C'est dans ses premiers jours de retour à la liberté, le 16 août, qu'elle le publia. Les idées qu'il renferme sont aussi neuves et aussi applicables aujourd'hui qu'il y a trois ans, tant est grande l'ardeur à adopter les propositions fécondes.

« DES BIBLIOTHÈques des ouvriers, et de l'abus DES VACANCES
« DANS LES BIBLIothèques publiques.

On s'occupe beaucoup du peuple, et particulièrement de son instrac<< tion, mais je ne vois pas qu'on ait encore institué pour lui quelque chose « qui révèle une idée ou qui porte en soi un germe fécond d'avenir. Le peuple « ne s'abuse pourtant pas, au moins il ne s'abuse pas longtemps, et quand « il voit un général ou un palais prendre son nom, il sait tout d'abord ou il « comprend bientôt la valeur de ces compliments; il va au positif, il demande « du réel, il cherche autour de lui les hommes vraiment dévoués à sa cause, « car ceux-là font peu de phrases et beaucoup de bien.

« Ces idées me sont venues à propos de ce fatal écriteau que je vois appendre si souvent à certaine grande porte de la rue de Richelieu. Je me rencontre là avec une foule désireuse comme moi d'utiliser sa journée, et « nous lisons avec un sentiment commun d'amertume et de désappointement

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