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rive à un défaut d'une autre nature, moins grave, mais plus inattendu, c'est l'infériorité des femmes dans tout ce qui touche au goût, à l'adresse, au sentiment des arts. Aussi voyez-vous les jeunes gens exclusivement chargés de disposer les montres, comme possédant mieux le sentiment de l'harmonie des couleurs et de la disposition pittoresque; les jeunes gens chargés seuls de façonner les objets délicats et de dessiner les broderies, canevas et autres ouvrages féminins, comme étant plus habiles dans ces travaux; les jeunes gens, enfin, préposés dans les magasins de nouveautés à la vente des étoffes et de tous les articles de la toilette, comme se montrant plus capables que les femmes d'en faire valoir les qualités et les avantages aux élégantes pratiques de l'établisse

ment.

La femme a-t-elle donc subi quelque grave altération dans ses facultés? Elle n'a jamais eu, comme l'homme, la force, l'audace et la persévérance; mais elle possédait à un degré plus éminent que lui l'intelligence qui saisit vivement l'aspect le plus séduisant des choses, le tact inné de l'ajustement et de l'harmonie des couleurs, développé par la coquetterie de sa toilette, l'adresse des mains qui exécute délicatement et une faculté très-développée pour comprendre et reproduire tout ce qui est charme et grâce. Que sont-elles devenues, ces brillantes qualités naturelles? Si les hommes les surpassent aujourd'hui sur tous ces points, cela tient uniquement à l'éducation artiste qui s'étend parmi eux et qui se restreint parmi elles or, c'est justement à l'enseignement des arts plus développé, plus populaire, que je voudrais demander pour elles aide et protection. Dira-t-on que les femmes se montrent moins aptes que les hommes aux grandes qualité de l'artiste? En dépit d'une disposition naturelle à louer le passé au détriment du présent, à mettre en parallèle des souvenirs embellis par l'imagination et des réalités éminentes rabaissées par le contact des faiblesses humaines, on ne peut contester la supériorité de nos femmes artistes sur leurs émules de tous les siècles passés. Ne discutons pas le mérite des artistes de

l'antiquité, nous sommes obligés de les juger sur quelques assertions de compilateurs; mais cherchons dans l'histoire des arts, en tous pays, les femmes que nous pourrons comparer à Mile Rosa Bonheur! Est-ce la Rosalba? Est-ce Mme Lebrun? Je prends les deux talents les plus sérieux dans la légion féminine; mais ces peintres sont restées dans les limites habituelles des facultés de leur sexe : c'est la grâce sans la force, l'apparence sans la solidité, le savoir inné plutôt que le savoir résultat d'études sérieuses. Mlle Bonheur, au contraire, a la hardiesse de la conception, la témérité des grandes compositions, la vigueur du dessin, de la touche et du modelé, et, pardessus tout, un instinct pittoresque, puissant, qui déroute tous les jugements et force les plus incrédules à accorder à la femme toutes les facultés artistes que l'homme prétendait monopoliser.

Ces facultés, qu'on a l'habitude d'appeler mâles, sont du fait de la femme aussitôt qu'elle se place dans les mêmes conditions d'étude et de labeur que l'homme. Me Bonheur avait, comme tant d'autres personnes de son sexe, de bonnes dispositions; mais elle avait de plus un père artiste, qui l'a guidée dès son enfance, et une volonté forte, qui l'a soutenue dans la persévérance de l'étude. Elle a réussi comme d'autres réussiront quand des institutions leur fourniront les ressources d'enseignement qu'elle trouvait exceptionnellement dans la maison paternelle. Mais ce que je tiens à établir, c'est que si elle est un exemple de ce que peut son sexe, elle n'est point une exception, et c'est pour cela que je crois à l'avenir réservé aux femmes dans la carrière artiste. Leur aptitude supérieure, en dépit des difficultés imposées à leur éducation artiste, s'est manifestée jusque dans les petits genres de peinture qu'on leur réservait. Mme de Mirbel et Mme Herbelin, dans la miniature, Me Wagner et Me Sturel Paigné, élèves de Maréchal, dans les fleurs dessinées au pastel, laissent-elles quelque chose à désirer et qui puisse inspirer la moindre hésitation au juge le plus sévère? Tandis qu'une foule d'hommes de talent, véritables manœuvres de fini minutieux, puéril, écœurant, s'en

vont rapetissant, affadissant ces genres de peinture, les femmes de génie que je viens de nommer adoptent pour la miniature des procédés plus faciles, un faire qui répond plus largement à la finesse de leur observation et des touches hardies qui fixent le caractère et saisissent la physionomie; pour l'imitation des fleurs, elles repoussent la perfection froide, sèche et sans animation d'un Van Huysum, elles donnent la vie à cette peinture en rendant aux fleurs quelque chose de leur fraîcheur, de leur duvet, et presque de leur parfum. Un autre symptôme de cette aptitude générale, c'est le succès des femmes amateurs: Mme de Rougemont, Mme la duchesse d'Albufera, Mme P. O'Connell, pour ne citer que celles qui ont envoyé leurs ouvrages aux expositions publiques ou livré leurs noms à la publicité, sont arrivées, du premier coup, à des résultats remarquables; et, dans un art plus sévère, la princesse Marie d'Orléans, l'immortelle auteur de Jeanne d'Arc, Mile Fauveau, Mme Lefèvre-Deumier, Mme Édouard Dubufe, proclament, par des œuvres distinguées, que la sculpture ne perd rien en s'assouplissant sous des doigts féminins.

Comment, au reste, refuser aux femmes des qualités qui semblent comme une émanation de leur nature, quand des célébrités littéraires de premier ordre s'appellent de Staël, Sand, d'Arbouville, de Girardin; quand Me Dupont, en France, et MTM A.-G. Green, en Angleterre, travaillent aussi sérieusement que des Bénédictins aux éditions des vieux chroniqueurs?

Comment enfin leur contester le don organisateur et calculateur, les facultés du commandement, l'autorité du chef d'atelier, la sûreté de tête du comptable, quand nous avons, dans l'industrie parisienne, des maisons considérables tenues par Mmes Meyer, Tempier, Bouasse, Barenne, Palmyre, Félicie?

Douées de telles facultés, pourquoi les femmes lutteraientelles seulement avec l'aiguille et le fuseau contre toutes les misères matérielles et morales qu'apporte, dans leur vie l'envahissement des machines à coudre, à broder, à tisser?

Qu'elles remplacent cette besogne, devenue mécanique, par des travaux qui sont hors de la portée des machines et qui ne sont pas au-dessus de leur vive intelligence; qu'elles se fassent artistes, puisque la femme peut réussir dans les arts et non-seulement y acquérir la gloire, mais y trouver aussi la fortune, sans qu'aucun de ces succès lui demande en échange une concession de sa dignité, de son bonheur ou de sa vertu. En se livrant à leur culture, elle obtient d'eux, suivant ses aptitudes, les moyens de s'appliquer utilement à toutes les occupations qui sont dans sa nature, à des occupations qui ne l'arrachent à aucun des devoirs de la famille. On peint, on sculpte, on grave, on lithographie, on dessine la broderie et les éventails, on exécute les mille objets d'art délicats dits articles de Paris, sans quitter le toit protecteur de sa mère, sans perdre de vue le berceau de son enfant, sans mettre le pied dans ces lieux de corruption qui se nomment des fabriques, véritables bagnes du travail en commun.

Instruire une femme, on l'a dit, c'est créer une école dans la famille. Instruisons-la dans le dessin et dans le chant; elle répandra ensuite autour d'elle ces deux sources fécondes de travail et de moralisation. Je les appelle fécondes, parce qu'on ne doit pas perdre de vue un point essentiel. En même temps que le pouvoir de la mécanique augmente et envahit tout, le domaine du travail manuel s'agrandit à son tour et fait des progrès du même genre. La propagande du bon goût, dans un plus vaste public, rend les consommateurs difficiles; elle donne du prix à la perfection du travail qui se ressent d'une main habile, elle fait désirer la possession d'œuvres originales, d'œuvres d'art, qui se distinguent de la banalité des produits mécaniques et de l'uniformité de la foule. Qui devra satisfaire ces tendances du luxe, ces prédilections des classes élevées ? ce seront les femmes artistes, ces ouvrières supérieures par le goût, la distinction et le talent.

Il est donc nécessaire d'introduire le dessin dans les écoles des filles, au même titre et dans la même forme que dans les classes des garçons, depuis l'asile de l'enfance jusqu'aux cou

vents qui conduisent la jeune personne à l'entrée du monde, jusqu'aux institutions qui les mèneront dans les ateliers de peinture, si elles ont des talents hors ligne, et dans les maisons d'apprentissage où on les initiera aux carrières industrielles. Sans doute, il est des ménagements à garder, des réserves à observer, une limite à établir entre l'éducation des hommes et celle des femmes. Aussi ne s'agit-il pas d'introduire dans les couvents l'Hercule Farnèse ou le torse du Belvédère et de faire fuir les saintes filles à la vue de ce qui faisait, à Athènes et à Rome, l'admiration d'honnêtes femmes. Les rigueurs de notre climat, bien plus que les principes du christianisme, en nous cachant la vue des formes humaines, ont fait une indécence de ce qui était une beauté. Je ne voudrais donc rien heurter; seulement je substituerais à des christs pitoyables, à des saints ridicules bonshommes, à des vierges prétentieuses, minaudières et affectées, des chefs-d'œuvre d'un art sérieux, grandiose et sublime, copiés sur les meilleures productions de la statuaire du moyen âge, de la renaissance ou des artistes contemporains; puis, dans les cours, dans les parloirs et promenoirs du couvent, je placerais, comme dans les colléges, des moulages d'après l'antique et des copies de tableaux qui auraient reçu, les uns et les autres, l'approbation de l'autorité ecclésiastique pour cette destination. Ce serait, par exemple, la Vénus de Milo, la Victoire rattachant ses sandales, les Stèles si chastes et si touchantes d'Athènes, les figures des Parques de Phidias, l'Ariane endormie et les portions de la frise du Parthénon qui paraîtraient inoffensives.

Les femmes, plus encore que les hommes, ont besoin que leurs yeux s'exercent de bonne heure à voir les formes humaines, qu'il ne leur est pas permis d'étudier autrement. Ainsi habituées, leur vue ne sera choquée que par la laideur, et j'appelle laideur tout ce qui n'est pas dégagé d'instincts mauvais, de tendances impudiques; car le beau, quelque nu qu'il soit, n'est jamais indécent.

L'éducation première ayant formé le goût, ayant exercé les yeux à bien juger, servira à toutes les jeunes filles, quelle

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