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gance et de charme que les anciens avaient trouvées dans des formes appropriées aux besoins et déduites de l'usage même de chaque objet. Il donna à la fabrique de M. Elkington une collection d'excellents modèles, les uns copiés sur les monuments anciens, les autres imités de l'antique. Des modeleurs français, parmi lesquels il suffit de citer Jeannest, exécutèrent ces modèles, et la fabrique les rendit parfaitement tant que la galvanoplastie lui vint en aide; mais aussitôt qu'il lui fallut employer la fonte et reprendre le métal par la ciselure, une infériorité marquée se fit sentir. Quoi qu'il en soit, l'orfévrerie anglaise montrait à l'Exposition de Londres, dans la case de M. Elkington, un principe de renaissance que les Cartwrigth, de Birmingham, Georges Richmond, Colles, Stor et Mortimer, de Londres, s'apprêtaient à adopter, et qui me sembla plus menaçant encore que la présence des belles pièces repoussées par Vechte. Là c'est un essor national, ici un progrès d'importation, et j'en augurais des conséquences plus graves, quoique le cœur me saignât aussi en pensant que cet artiste français, cet art et cet enseignement étaient perdus pour nous, faute de quelques mille francs d'appointement qu'une administration vigilante aurait donnés à cet homme habile.

La bijouterie et la joaillerie anglaises, considérées sous le rapport de l'art, étaient tout entières dans l'exposition de Morel : autre douleur pour un Français, autres regrets; elles y étaient à l'état de perfection, et déjà on voyait l'influence de cet artiste-ouvrier rayonner autour de lui.

Je crois avoir expliqué comment le gothique a repris son empire en Angleterre; il règne maintenant dans la maison du lord aussi bien que dans celle de Dieu. Église et collége sont à ogives; buffet d'orgue et piano, stalles et fauteuils, sont à trèfles et à lancettes. Pugin a été le plus actif promoteur de cette renaissance du gothique. Renaissance, c'est trop dire, car jamais le goût de ce style et son emploi n'avaient été abandonnés en Angleterre les universités d'Oxford et de Cambridge sont là pour le dire; mais jamais aussi plus grande extension ne lui a été donnée que depuis 1835. On avait formé,

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dans l'Exposition de Londres, une cour de l'art du moyen âge, mediæval court, qui contenait tout l'ameublement des églises à ogives et la furniture des habitations de style gothique. Je ne sais si je dois attribuer le peu de charme que j'y ai trouvé à l'infériorité du gothique anglais comparé au nôtre ou à l'infériorité de son imitation comparée aux singeries du même genre que nous faisons si bien en France; mais il est de fait que tout cela m'a paru d'une insigne pauvreté de conception et d'exécution. J'excepterai de ce blâme quelques bons vitraux, des pièces de dinanderie franchement travaillées, des sculptures exécutées dans notre belle pierre de Caen par un praticien français pour le compte de MM. Gates et Georges, des mosaïques, genre byzantin, assez heureusement reproduites, des mosaïques de carrelage habilement combinées par l'architecte Digby-Wyatt. Mais c'est assez s'étendre sur une industrie de pastiches; revenons à une industrie plus vivante, plus riche, à la fonte du métal. Il y a de la largeur dans l'exécution et un grand goût dans les productions de la compagnie Coalbrookdale, du Shropshire. Fonte de fer et fonte de cuivre sont également remarquables, et le sujet particulier de mon étonnement a été l'initiative hardie d'une foule d'innovations heureuses; ses rampes d'escalier, ses chaises, ses bancs et ses tables de jardins, ses supports de cannes et manteaux, ses consoles, ses devants de feu, tous les ustensiles, en un mot, qui peuvent être utilement exécutés en fonte pour l'ameublement des intérieurs et l'usage extérieur prennent dans cet établissement une propriété de forme bien remarquable. Je pourrais reprocher trop d'exubérance dans l'ornementation et recommander plus de repos dans les formes, mais ces défauts sont de ceux qu'on corrige facilement quand on a conquis les autres mérites.

Je ne m'étendrai pas sur les diverses industries dans lesquelles nos voisins font chaque jour des progrès étonnants : je pourrais citer leurs remarquables reliures, leurs impressions de livres et de gravures toujours supérieures, leurs imitations de bois et de marbres en peinture et en stuc, leur carton

pierre si solide; je pourrais vanter vingt autres industries et jeter le cri d'alarme; mais à tant d'éloges qu'on dira exagérés, à tant de craintes qu'on taxera de vains fantômes, on objecte que les efforts de Minton, Graham, Elkington et autres sont dus aux transfuges de nos ateliers, aux artistes et aux contremaîtres français qu'embauche l'argent de l'Angleterre. J'examinerai cette circonstance, dont on doit tenir compte, en exposant les mesures savamment combinées que prépare ce gouvernement habile pour venir en aide à l'industrie nationale.

RÉCOMPENSES

DECERNÉES

AUX EXPOSANTS FRANÇAIS PAR LA XXX* CLASSE DU JURY INTERNATIONAL,

FORMANT LE GROUPE DES BEAUX-ARTS.

Je crois avoir porté un jugement impartial sur l'état des arts chez tous les peuples, et ne m'être pas trompé en mettant en évidence les éléments de jeunesse et de renaissance qui s'offrent à eux. M'étendrai-je maintenant sur notre attitude en présence de l'Europe entière et vis-à-vis de tous nos concurrents, sur l'impression favorable que nous devons à une réputation séculaire? Non, car je tiens en réserve des arguments pressants pour nous réveiller de l'engourdissement dangereux que produit dans nos esprits, trop disposés à la confiance, un facile et trompeur succès.

La masse des visiteurs, fidèle à une opinion traditionnelle, avait proclamé la France sans rivale, avant même d'entrer dans le Palais de cristal; elle a couru voir la France avant de visiter les autres nations, et elle a tout admiré sans exception. Le groupe restreint des artistes, des gens de goût et des hommes qui ont étudié la marche de l'art et ses transformations dans les monuments anciens et dans l'activité moderne, ce groupe, inaperçu dans le flot mouvant des visiteurs, mais dont la voix fait l'opinion publique, et qui, en fin de compte, guide la foule moutonnière, ce groupe d'élite a porté un juge

ment différent, qui était élogieux comme une épigramme et semblait caresser quand il blessait.

Le Jury des beaux-arts ne fut ni aussi indulgent que le gros du public, ni aussi sévère que les hommes de goût; il devait récompenser les plus méritants, abstraction faite de toute perfection idéale, et il reconnut loyalement que la com. paraison nous était favorable. Je vais rapporter ses décisions; mais, avant de donner la liste des récompenses accordées aux exposants français par la XXX classe, je dois dire qu'agissant comme V groupe, c'est-à-dire souverainement, elle prit, à l'égard de la grande médaille d'honneur ou du conseil des présidents, une décision en conformité avec ce vieux préjugé de la nécessité de maintenir une séparation entre les arts et l'industrie. Elle décida que cette récompense de premier ordre serait réservée à l'art pur, à l'art affranchi de toute préoccupation matérielle ou industrielle, c'est-à-dire à la statuaire et aux dessins. Je luttai vainement contre une décision qui nous empêchait de récompenser les Gobelins, Sèvres, Fourdinois, Vechte et Morel; mais c'était une de ces préventions invétérées qu'une discussion, même passionnée, altère à peine, que le temps seul peut détruire. S'il s'agissait de comparer l'art aux procédés industriels, je n'aurais pas hésité, plus que mes collègues, à le mettre dans une catégorie à part et plus élevée; car, même lorsqu'il se fond dans l'industrie, il voit devant lui un idéal de beauté toujours inaccessible, qui stimule ses efforts en élevant sa mission. L'industriel qui a taillé les facettes d'un diamant, tissé sans accident une étoffe ou laminé régulièrement du métal, peut croire qu'il a atteint les dernières limites de la perfection; mais dans les arts cette perfection, comme un mirage décevant, marche en avant des efforts et des succès, s'éloigne à mesure qu'on approche et n'est jamais attcinte. L'art est donc d'une essence supérieure; mais de même que la nature, dans sa prodigieuse et indépendante fécondité, fournit à l'industrie de l'homme le lierre qui tapisse ses murs, la rose qui orne ses jardins, la grappe de raisin qui pend aux ceps de vigne et les mille êtres gracieux qui ani

ment le monde végétal, de même aussi l'artiste, vivant dans la sphère épurée de l'inspiration, crée des chefs-d'œuvre qui deviennent, placés sur une pendule, appliqués à un meuble, le plus délicieux accompagnement des œuvres de l'industrie. L'art est quelque chose par lui-même, en dehors de toute autre préoccupation, et la classe des beaux-arts devait lui faire une large part dans la distribution des médailles d'honneur, comme au plus noble de ses justiciables; mais le mérite des artistes est-il donc altéé, compromis, parce qu'ils auront étudié les besoins de leur temps, parce qu'ils auront cherché à faire vivre de la vie de chaque jour des créations qui perdraient certainement beaucoup à rester dans l'isolement et l'inutilité? Je ne le crois pas : à mes yeux, leur mérite grandit; et s'il est un moyen, de nos jours, de galvaniser les arts qui s'en vont mourants, c'est de les encourager à entrer dans cette voie féconde. J'y perdis mon éloquence : la classe des beauxarts passa outre, et je ne pus faire appel au groupe, puisque la XXX classe formait à elle seule le V groupe, ni à la commission royale, qui avait laissé les groupes juges de ces questions. Je dus accepter cette décision, et voici comment les récompenses furent décernées aux exposants français. J'omets les éloges qui furent adressés aux exposants dont les produits, bien que du domaine des arts, ressortissaient aux autres classes; on trouvera ces mentions dans le rapport officiel publié par la Commission royale de Londres.

LISTE DES RÉCOMPENSES.

Médaille du conseil des présidents.

M. J. PRADIER, pour la statue de la Phryné.

Médailles de prix (Prize medal).

M. AUGUSTE DEBAY, groupe du Premier berceau
M. E.-L. LEQUESNE, statue du Satyre dansant.
M. A. ETEX, groupe de Caïn et sa famille.

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