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la nouvelle académie, comme les assiégeants entrent dans la place ennemie, de même aussi son esprit s'y était introduit et couvrait encore d'une efficace protection ce mélange salutaire de l'art et de l'industrie. Ainsi les artistes peintres et sculpteurs qui n'étaient pas de l'académie s'en approchaient suivant le degré de leur talent, tous travaillant avec ardeur pour parvenir à se faire agréer et recevoir, tous associés dans les mêmes travaux avec leurs camarades les académiciens nouvellement élus, et n'en étant réellement distincts que par le droit d'exposer au Louvre. Les académiciens s'étaient réservé leur local; les peintres du corps des métiers n'avaient à leur disposition que la devanture de leur boutique et la place Dauphine, où ils exposaient, à l'octave de la Fête-Dieu, en plein vent, et pendant deux heures seulement.

D'excellentes choses, qui ne se seraient faites qu'avec le temps par la corporation, furent mises en pratique immédiatement par l'académie, surtout à partir du moment où, placée sous le protectorat du cardinal Mazarin, en 1655, elle fut installée dans les bâtiments du Louvre. Aux classes de dessin à différents degrés on joignit des leçons de perspective et d'anatomie. Dans les séances de l'académie, on ouvrit, sur des sujets dignes d'intérêt, des discussions qui étendirent l'intelligence et la portée d'esprit de ses membres. Louis XIV, par un arrêt enregistré au parlement en 1662, accorda une indemnité fixe de 120 livres aux académiciens qui remplissaient des charges d'officiers, c'est-à-dire au directeur, au chancelier, aux quatre recteurs, aux douze professeurs en titre et aux huit professeurs adjoints, une somme de 600 livres pour les modèles de l'école, et un fonds de 400 livres réservé pour être distribué en prix aux élèves. Le premier prix, dit prix annuel ou royal, pouvait être disputé par les académiciens; le second prix était réservé aux jeunes artistes qui ne faisaient pas encore partie du corps. Sous l'influence de cette nouvelle académie fut fondée aussi une institution marquée au cachet de l'intelligence des besoins présents et de l'avenir: c'est l'école de Rome. Mazarin en avait eu l'idée pendant son ministère;

il la légua à Colbert, qui, après avoir accordé déjà plusieurs fois à des jeunes gens de talent, comme l'avaient fait avant lui Richelieu, de Noyers et Séguier, les moyens d'aller étudier à Rome les plus beaux chefs-d'œuvre dans les meilleures conditions de tranquillité studieuse et sous un climat inspirateur, engagea le roi à fonder un établissement stable, où l'académie pourrait placer les jeunes gens dont elle aurait éprouvé le talent et qui mériteraient d'être encouragés dans leurs études. Le roi approuva ces idées si sages, et Charles Errard, le premier directeur, partit pour Rome le 6 mars 1666 et alla s'établir au palais Capranica avec les douze élèves que l'académie avait désignés au roi comme étant en état de profiter en l'étude des arts en Italie. Enfin, en 1670, on organisa la première exposition, exclusivement réservée aux ouvrages des membres de l'académie; et qu'on ne s'étonne pas de cette restriction, elle ne frappait que des gens dépourvus de tout mérite : l'académie comprenait alors tous les peintres et sculpteurs, ceux même d'une capacité médiocre, et un arrêt du roi, du 8 février 1663, avait même enjoint à une trentaine d'artistes de talent d'entrer dans le corps académique, quelque répugnance qu'ils eussent à s'y incorporer. C'était donc un bien que cette organisation, née des traditions du pays, et qui satisfaisait aux besoins du temps, qui formait un centre de doctrine et un privilége d'enseignement d'après les meilleures méthodes; mais c'était en même temps un bouleversement dans toutes les industries qui confinaient aux arts, et le gouvernement de la France ne pouvait fermer les yeux sur un intérêt aussi grave.

Colbert n'était pas homme à mener le char de l'État une roue dans le bon chemin et l'autre dans l'ornière; né dans l'industrie, il pénétra d'un œil sûr la lacune que venait d'y produire la création de l'académie. Il voulut à son tour relever l'industrie et compenser, par tous les moyens dont disposait alors l'État, le grand coup que lui portait une scission qu'il eût fallu empêcher. La faute était commise: l'esprit du temps en était aussi coupable que la débonnaireté de la

royauté; restait à trouver le moyen, sinon de confondre comme autrefois, au moins de rapprocher dans une action collective diverses capacités concourant au même but. Nous avons vu que nos rois avaient compris dans une même protection les arts et l'industrie, en ne faisant aucune distinction entre les choses, entre les hommes; accordant les mêmes faveurs aux peintres, lorsqu'ils peignaient leurs portraits et leurs tapisseries, les murs de leurs chapelles et les dossiers de leurs fauteuils, les miniatures de leurs heures et les patrons de leurs costumes; aux sculpteurs et aux orfèvres, lorsqu'ils produisaient les statues des saints pour l'église et les pièces d'orfévrerie pour leurs dressoirs; aux brodeurs, aux tapissiers, aux armuriers, qui portaient les mêmes titres et recevaient les mêmes appointements que les peintres et les sculpteurs. Toute cette troupe ingénieuse composait, dans le palais du roi, l'atelier le plus complet de l'art appliqué aux besoins de luxe et de bien-être du plus riche comme du plus élégant seigneur du royaume. En cela Colbert n'innova pas, c'est son mérite; il organisa seulement, sur un grand pied et avec un ordre parfait, ce qui s'était fait irrégulièrement, par boutades, suivant les caprices et les nécessités du moment. Il proposa au roi de réunir dans un même local, sous sa surintendance administrative, mais sous la direction de l'artiste le plus éminent, les peintres, les sculpteurs, les tapissiers, les orfèvres et tous les gens de talent que le roi faisait travailler pour l'embellissement de ses résidences, et qui étaient disséminés au Louvre et dans le jardin des Tuileries, au faubourg Saint-Germain et aux Gobelins. Le lieu choisi pour concentrer cette grande manufacture des meubles de la couronne fut l'hôtel des Gobelins, qui s'étendait, avec ses jardins, prés et dépendances, le long de la Bièvre. Le domaine avait été acheté dans ce but en 1662, et depuis lors on y avait organisé petit à-petit tous les services. En 1667, l'établissement formait déjà un ensemble compliqué auquel il manquait une constitution et des règlements. Ils lui furent donnés, et j'en extrairai quelques passages pour faire connaître l'esprit général qui présidait à cette fondation : « Le roy

. Henry le Grand, notre ayeul, se voyant au milieu de la paix, ⚫ estima n'en pouvoir mieux faire gouster les fruits à ses peuples • qu'en rétablissant le commerce et les manufactures, que les ⚫guerres étrangères et civiles avoient presque abolis dans le royaume, et pour l'exécution de son dessein, il auroit, par ▪ son édit du mois de janvier 1607, établi la manufacture de ⚫ toutes sortes de tapisseries, tant dans notre bonne ville de Paris qu'en toutes les autres villes qui s'y trouveroient propres, et préposé à l'établissement et direction d'icelle les sieurs de Comans et de la Planche, ausquels, par le même édit, l'on auroit accordé plusieurs priviléges et avantages. Mais comme ces projets se dissipent promptement s'ils ne ⚫ sont entretenus avec beaucoup de soin et d'application et ⚫ soutenus avec dépense, aussi les premiers établissements qui furent faits ayant été négligés et interrompus pendant la licence d'une longue guerre, l'affection que nous avons pour rendre le commerce et les manufactures florissantes ⚫ dans nostre royaume nous a fait donner nos premiers soins, après la conclusion de la paix générale, pour les rétablir et pour rendre les établissements plus immuables en leur fixant un lieu commode et certain, nous aurions fait ac⚫quérir de nos deniers l'hostel des Gobelins et plusieurs maisons adjacentes, fait rechercher les peintres de la plus grande ■ réputation, des tapissiers, des sculpteurs, orphèvres, ébé– nistes et autres ouvriers plus habiles en toutes sortes d'arts ⚫ et métiers, que nous y aurions logés, donné des appartemens à chacun d'eux et accordé des priviléges et advantages; • mais d'autant que ces ouvriers augmentent chaque jour, que ⚫les ouvriers les plus excellens dans toutes sortes de manu⚫ factures, conviés par les graces que nous leur faisons, y vien⚫nent donner des marques de leur industrie, et que les ouvrages qui s'y font surpassent notablement en art et en beauté ⚫ce qui vient de plus exquis des pays étrangers, aussi nous • avons estimé qu'il estoit nécessaire, pour l'affermissement de ces établissemens, de leur donner une forme constante et perpétuelle et les pourvoir d'un règlement convenable à

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« cet effet. A CES CAUSES et autres considérations à ce nous « mouvans, de l'advis de nostre conseil d'État, qui a vu l'édit du mois de janvier 1607 et autres déclarations et règle« mens rendus en conséquence et de nostre certaine science, • pleine puissance et authorité royale, nous avons dict, statué • et ordonné, disons, statuons et ordonnons ainsi qu'il en suit :

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• 1° C'est à sçavoir que la manufacture des tapisseries et • autres ouvrages demeurera establie dans l'hostel appelé des . Gobelins, maisons et lieux et deppendances à nous appar« tenant, sur la principale porte duquel hostel sera posé un « marbre au-dessus de nos armes dans lequel sera inscript: Manufacture royalle des meubles de la couronne.

2° Seront les manufactures et deppendances d'icelles ré«gies et administrées par les ordres de nostre amé et féal conseiller ordinaire en nos conseils, le sieur Colbert, surintendant de nos bastimens, arts et manufactures de France et « ses successeurs en ladite charge.

3o La conduite particulière des manufactures appartiendra « au sieur Lebrun, nostre premier peintre, soubs le titre de « directeur, suivant les lettres que nous luy avons accordées le « 8 mars 1663.

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. 4° Le surintendant de nos bastimens et le directeur soubs ⚫ luy tiendront la manufacture remplie de bons peintres, maistres tapissiers de haute lisse, orphèvres, fondeurs, graveurs, lapidaires, menuisiers en ébène et en bois, teinturiers et ⚫ autres bons ouvriers, en toutes sortes d'arts et mestiers qui ⚫ sont établis et que le surintendant de nos bastimens tiendra nécessaire d'y establir.

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• Données à Paris, au mois de novembre 1667 et de nostre règne le vingt-cinq.

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Ce qui frappe dans ces statuts, c'est la marche prévoyante, l'esprit libéral et le sentiment de devoir royal qui président

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