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civilisé des cochers de fiacre en perruques de laine et en carricks déchirés, traînant leurs pieds dans d'informes sabots hérissés de paille, des cochers d'omnibus en costumes et en accoutrements qui semblent venir en ligne directe du fond de la Laponie. On ne se croirait pas dans la première ville du continent. Dorénavant n'accorder aucune concession nouvelle sans imposer toutes les conditions de l'élégance. Défense de circuler dans les rues de première classe et dans les promenades parisiennes sans en avoir reçu l'autorisation d'une commission, qui ne s'inquiétera ni de la qualité du propriétaire ni du caractère privé ou public de la voiture, mais de son élégance et de la bonté du cheval. Les charrettes et les voitures à bras faisant leur service le matin. PLANTATIONS. Ce que j'ai dit du caractère des plantations dans les jardins des résidences s'applique plus rigoureusement encore aux plantations de nos boulevards, de nos quais, de nos places et de quelques-unes de nos rues. – C'est un élément puissant de l'embellissement des villes et un secours apporté à l'architecture, à la condition qu'on choisira les arbres parmi les essences architectoniques, qui, comme le tilleul, le platane, le sycomore et le marronnier, ont une végétation touffue, compacte, arrondie en larges masses, et qui se prête par l'élagage à une certaine régularité. On proscrira par cette raison les vernis du Japon, les acacias et autres essences ébouriffées et désordonnées qui jouent à l'agreste, au campagnard, à la forêt vierge. — Paris n'a rien de pastoral, rien de vierge. On remplacera, sur la ligne des boulevards et des quais, ces arbres d'essences diverses alignés par le pied, mais dont la tête prend toutes les libertés, toutes les allures vagabondes propres à leur nature. Les 35,000 arbres de Paris doivent éviter ces manières d'arbres du bal d'Asnières; ils forment l'association sérieuse de la végétation avec l'architecture par la rencontre d'une même harmonie des lignes, d'une même régularité des formes, d'une même continuité des tons.-Les boulevards peuvent, en changeant de nom, changer aussi de plantation; cette variété sera plaisante à la vue; ce changement de physionomie sera, pour les étrangers, un point de repère et un moyen de se reconnaître. Les places plantées ne sont pas nombreuses. Les principales sont les Champs-Élysées, les Tuileries, les Invalides, le Champ-de-Mars et les rampes de Chaillot; toutes exigent dans leurs cadres de pierre des plantations régulières. Paris étouffe, on lui donne de l'air et de plus larges rues : c'est bien quelque chose, ce n'est pas assez; il nous faut les jardins, la verdure, l'eau et l'ombre: ce sont pour les citadins comme des fenêtres ouvertes sur la campagne. On a dit de Londres que ses squares étaient ses organes respiratoires; nous n'en sommes pas encore à ce point d'asphyxie, qui rend absolument nécessaires ces ventilations factices, mais nous avons besoin, pour faire valoir la ville monumentale, des ressources incomparables de la végétation. Les anciens les connaissaient bien les majestueux platanes reposaient la vue dans les rues d'Athènes; le luxe de la verdure était grand à Rome; les Grecs modernes et les Orientaux, qui ont conservé tant de traditions antiques, associent partout la végétation 65

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XXX JURY.

à leur architecture.

Acheter des îlots de maisons et en faire des jardins couverts comme de vastes serres. Abattre tous les murs de clôture qui emprisonnent les jardins de l'État, au Luxembourg, au jardin des Plantes, au ministère de la guerre, et les remplacer par des grilles élégantes, Accorder des primes ou des dégrèvements d'impôts aux particuliers qui feront jouir ainsi le public de la vue de leurs arbres et de leurs parterres. Utiliser le parcours de la rivière. La Seine n'est pas un fleuve sérieux, fait pour porter des vaisseaux et pour désaltérer des êtres vivants; c'est une élégante naïade, qui se console de son inutilité en regardant ses charmes. La Seine traverse Paris pour l'embellir et le rafraîchir, conservonslui ce caractère. Entre le pont Neuf et le pont de la Concorde, les quais de la Seine seront transformés en jardins, vers lesquels on descendra par des rampes monumentales et d'élégants escaliers, quelque chose des splendeurs de l'antiquité et des délices de Bénarès sur les bords du Gange. La végétation ne s'élèvera que de place en place, de manière à créer pour chaque grand édifice, tels que le Louvre et les Tuileries, la grande Chancellerie, le Conseil d'État, l'École des beaux-arts, l'Institut et la Monnaie, un soubassement et un encadrement de verdure. Voyez immédiatement la belle galerie du Louvre sortant du remblai humide qui ronge ses assises et renaissant dans ses proportions primitives, dont nous n'avons aucune idée; voyez en même temps chaque monument et cette longue suite de maisons s'égayer et prendre, pour ainsi dire, des habits de fête. Ces plantations du bord de l'eau se composeront d'arbres qui supportent l'inondation, car, à l'entrée de l'hiver, jardins et constructions en fer disparaîtront, pour s'épanouir de nouveau après les grandes eaux, avec les premières feuilles du printemps. Les bouquinistes établis à l'ombre des arbres. Cafés et cabinets de lecture. Exercices des canotiers, joutes.- Le soir, musique sur le bord de l'eau. Délices parisiennes. Le commerce des carriers, des débardeurs et autres industries transportés en amont du pont Neuf et en aval du pont de la Concorde. Les docks construits au Gros-Caillou et à la Villette. Ces squares plantés, ces jardins sur le bord de l'eau, ne seront jamais au centre de la ville que de rares apparitions, et Paris continuerait à montrer sa tristesse crottée en hiver et son aridité poudreuse en été, si on ne cherchait à faire diversion par quelques heureuses innovations. Les villes de l'Orient offrent au voyageur, comme autrefois les villes de l'antiquité, des points de repos délicieux. C'était, chez les contemporains de Périclès, un leschè; c'est aujourd'hui, chez le musulman, une fontaine, motif charmant d'architecture à l'ombre d'un majestueux platane; ce serait, à Paris, l'emplacement d'une maison achetée dans une rue fréquentée et sur le terrain de laquelle on aurait planté quelques grands arbres, dont le bouquet verdoyant, dépassant l'alignement des maisons, couperait gracieusement leur monotonie. Au fond de cette petite retraite, un architecte d'un talent original aurait exécuté quelque rêve chéri de son imagination.- Un service municipal utile servant de motif à un bijou d'architecture. — [}

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manque aux rues de Paris de ces monuments qui se distinguent moins par le grandiose de leurs proportions que par la perfection de leur exécution dans un petit cadre. L'un des portiques d'Athènes, le Pœcile, réunissait les œuvres des plus grands sculpteurs, des peintres les plus renommés, et il était en outre un chef-d'œuvre d'architecture: et dans quel but avait-on réuni tant de soins, de luxe et de perfection? Simplement pour célébrer les grandes victoires du peuple grec, depuis la prise de Troie jusqu'à la bataille de Marathon. Pourquoi, dans un but semblable, ne pas élever des portiques aux carrefours de quelques rues, des portiques dans le genre de la Loggia de Florence? Un motif à statues et à peintures, toujours ouvert aux passants, leur offrant des bancs de repos, l'ombre et l'eau rafraîchissantes, et, pour la pensée, deux ou trois de nos combats d'Afrique, peints par un homme de talent, quelques généraux ou des citoyens populaires figurés en statues sous les arcades, et voilà une halte digne d'une grande ville et d'une nation artiste. Ne vous étonnez pas de ce luxe des arts et de ces générosités grandioses demandées à notre édilité; vous prétendez devenir l'Athènes moderne, rappelez-vous que dans l'Athènes ancienne le portique où l'on vendait la farine était décoré d'un tableau d'Hélène peint par Zeuxis, et la ville donnait 360 commodes leschès aux besoins de repos de ses habitants et à leur goût pour la conversation. A Delphes, le leschè des Cnidiens, population de pêcheurs, devait sa célébrité aux deux grands tableaux historiques de Polygnote. En multipliant ces reposoirs dans Paris, l'édilité trouverait souvent une compensation à ses dépenses, soit qu'on la cherchât dans les services que rendraient des hôpitaux de premiers secours, des bureaux gratuits d'information et de placement pour la classe ouvrière et les gens à gages, soit qu'on la demandât en prix de location à des cabinets de lecture, bureaux de tabacs, restaurants et cafés, à de grands marchands de nouveautés et d'objets de luxe, ou même à un loueur de voitures publiques, en composant ce reposoir dans la forme d'un hémicycle percé d'élégantes arcades. Souvent aussi ces portiques seraient un simple prétexte pour exposer un beau groupe de sculpture ou pour développer en peinture un souvenir national ou une parabole morale, assistée de ces bonnes sentences qui se fixent dans l'esprit comme un memento. Si la dévotion s'associait par un legs pieux à ce noble luxe, nous aurions aussi le reposoir religieux. La Mère de Dieu assise dans son édicule, au-dessus de la fontaine; à l'entour des bancs et pour cadre, la riche végétation d'un platane, d'un cèdre et d'un arbre de Judée; partout le but atteint: un bouquet de verdure pour les yeux des passants; la fraîcheur et le repos offerts à l'ouvrier qui rentre barassé, au commissionnaire chargé comme une bête de somme, à la femme souffrante, à l'homme infirme. Refuge hospitalier, annoncé de loin, même pendant la nuit, au moyen de la lumière électrique, éclatant au milieu de la sombre verdure. LES FLEURS. Les belles plantations, cette riche végétation associée partout à l'architecture, étendront le goût des fleurs, et les fleurs sont des propagateurs du bon goût et du sentiment harmonique des cou

leurs. Chez les anciens, et pendant tout le moyen âge, l'usage des fleurs accompagnait les actes les plus heureux et les plus tristes de la vie; on se couronnait de roses dans les fêtes nuptiales et dans les cérémonies funèbres.

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A Paris, on compte deux ou trois marchés aux fleurs et quelques fleuristes enfouies au fond de leurs boutiques, tandis que monuments, places, encoignures de rues, égayeraient leur nudité ou dissimuleraient leur malpropreté avec des corbeilles remplies de fleurs. - Quelle dépense! dirat-on. Autorisez l'usine Tronchon, nos fondeurs, nos faïenciers, nos vanniers, à faire la décoration d'une place, et quelques fleuristes à déposer dans ces corbeilles et ces caisses, qui porteront le nom du fabricant, des fleurs qui donneront l'adresse du fleuriste, et confiez-vous à la puissance de ce moyen d'annonces. Si tous les six mois on donnait en outre quelques médailles à ceux de ces exposants qui auraient fait les plus grands efforts ou obtenu, du jugement de tous, les plus légitimes succès, şerait-ce une bien lourde charge que quelques milliers de francs jetés chaque année sur ce sol fécond? L'ÉCLAIRAGE. Quand en 1666 M. de la Reynie, lieutenant général de la police, établit dans Paris des lanternes éclairées avec des chandelles de suif, on cria merveille, on frappa des médailles, on composa des chansons; nous ferons moins de bruit en prolongeant le jour, en supprimant la nuit. Ce n'est plus un rêve, la lumière électrique a résolu le problème; ce n'est plus qu'une question de bon marché. Quand la science aura utilisé toute l'électricité qu'elle laisse se perdre ou qu'elle ne sait pas recueillir, la lumière provenant de la pile coûtera si peu, qu'on en usera partout. La nuit s'étend sur la ville: aussitôt l'astre qui se couche est remplacé par dix grands fanaux électriques qui s'enflamment au haut de grands phares, magnifiques motifs d'architecture. Cette lueur magique jette sur toute la ville un doux et argentin crépuscule qui est presque le jour, et qui est assez la nuit pour qu'on songe à rentrer et à se reposer.

MAINTIEN DU GOÛT PUBLIC PAR LA REPRÉSENTATION ET LES FÊTES.

Une ville a ses jours de représentation dans le courant quotidien et monotone de son existence, comme un particulier a ses habits de fête avec ses habits de tous les jours. Les anciens et nos pères avaient pensé qu'il était de leur devoir de faire partager au peuple le luxe et la splendeur réservés au petit nombre; ils formèrent ainsi son goût et firent son éducation, peut-être sans s'en douter, mais avec une efficacité qui ne peut être mise en doute. La religion a eu dans cette action le rôle le plus important, et à l'Église appartient l'initiative de cette influence dans les temps modernes.

Elle fut suivie, imitée, quelquefois même surpassée par les chevaliers dans leurs tournois, par les seigneurs dans les élégances de leurs fêtes, dans la pompe de leur deuil. - Cette action s'est continuée par l'Église dans les cérémonies du culte, par l'armée dans ses revues et ses parades, par l'État dans les fêtes publiques qu'il ordonne et les pompes funèbres qu'il

régit.-L'ÉGLISE. Son rôle pendant treize siècles de splendeur. Elle a été dans cette longue suite d'années le musée de l'art. Aujourd'hui le culte est en dehors des arts; il serait plus utile qu'il fût en dedans. — De l'archéologie dans le costume et le mobilier ecclésiastiques. Ne pas exagérer ses droits comme les Grecs le font, et bien établir qu'on n'entretient pas, comme l'Église schismatique, des prétentions à une pureté primitive et conjecturale, mais que, sans y attacher aucune importance dogmatique, on fait retour à des usages français, à des formes nationales de culte, appuyé sur des preuves évidentes et matérielles, telles que les trésors et les mobiliers des églises, les vêtements conservés pieusement ou retirés des tombeaux, comme ceux de saint Thomas de Cantorbéry à Sens, ceux des abbés de Saint-Germain-des-Prés, telles enfin que les anciennes peintures et toute la statuaire du x1° au XIIIe siècle. Maintenir les droits de l'archéologie avec cet esprit libéral toujours professé par l'Église catholique, et en faisant la part des droits de l'art vivant et créateur, comme l'Église latine et la cour de Rome en ont toujours donné l'exemple. Réforme du costume ecclésiastique actuel. On rétablira l'ancien costume, si noble, si souple dans son ampleur, si majestueux dans ses grands plis motivés, et qui s'est transformé peu à peu, par l'influence de chasubliers sans goût, en quelque chose de ridicule, ou, qui pis est, car le ridicule est facile à combattre, en un costume d'une roideur faussement traditionnelle. Outre les modifications de la forme, il y a encore à chercher la nature des étoffes neuves et les dessins convenables. L'orfévrerie d'église à réformer dans le même sens, en conservant le champ libre aux créations de nos artistes. Recherche des bons procédés auciens pour faire des œuvres rajeunies. Mais ces réformes entreprises sans direction et sans ensemble par des fabricants dépourvus de notions sérieuses de l'archéologie ecclésiastique et du sentiment de l'art suscitent mille tentatives malheureuses qui entraînent les églises dans des dépenses regrettables. · De même que nous proposons une grande manufacture modèle pour l'art vivant, de même nous croyons utile l'État que encourage, stimule et subventionne un grand atelier d'objets d'art à l'usage de l'église. M. Viollet le Duc est indiqué pour diriger cet établissement. Il lui serait garanti une commande annuelle de 100,000 francs d'objets usuels pour le culte, à la condition de livrer ces objets au prix de revient et de renoncer à toute propriété sur ses modèles. On voit où j'en veux venir: donner l'occasion de produire, mettre en évidence l'atelier recommandable, et cependant offrir à toute l'industrie les

moyens de suivre la même voie. L'État répartirait ses acquisitions entre les plus pauvres églises de nos misérables hameaux, et formerait, avec les productions hors ligne, un musée d'église, c'est-à-dire une exposition permanente à l'usage du clergé. Le musée de Cluny offrirait ce rapprochement des plus belles créations originales de l'art gothique disposées chronologiquement dans le musée et des meilleures productions de l'art moderne étalées par spécialités dans l'annexe publique; il provoquerait, au moyen

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