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travail, en faire 1,500 à lui seul, j'entends assisté d'un monde d'élèves?— Il n'est pas douteux cependant qu'avec la décadence de l'art cette production énorme ne dût précipiter l'altération du goût. On en était venu à s'ériger des statues à soi-même, et Lucius Sisenna Bassus léguait à Carthage les fonds nécessaires pour qu'on lui refît tous les sept ans une nouvelle staIl ne me semble pas impossible de profiter de l'exemple des Grecs à la belle époque de leur civilisation et de leur art. Une rue d'Athènes avait pris son nom de tous les trépieds que chaque tribu victorieuse dans les concours de chant et de danse y avait élevés sur de riches monuments d'architecture; pourquoi les sociétés chorales de la France, luttant dans des réunions musicales, pourquoi les spectateurs qui applaudissent tel acteur ou telle actrice, n'imiteraient-ils pas les Athéniens, en transformant les rues qui aboutissent aux théâtres en avenues triomphales de tous les succès? Les anciens remplissaient les jardins d'Olympie, les cirques, les stades et les hippodromes de statues et de groupes en l'honneur des vainqueurs dans tous les genres de lutte; pourquoi ne pas demander au Jockey-Club, en échange de quelques avantages, de réserver sur ses recettes les fonds nécessaires pour élever, sur les hippodromes de Paris et de Chantilly, les portraits de quelques-uns des vainqueurs, j'entends des chevaux, que Barye," Fremiet ou Gayrard rendraient avec la vérité de la ressemblance et le style d'un monument? - Dans les écoles de gymnastique, dans les jeux de paume, salles d'escrime, manéges d'équitation, des talents éminents excitent l'admiration d'une foule de connaisseurs, motifs suffisants pour demander à l'art de perpétuer le souvenir de leur supériorité. Pourquoi concéder aux sociétés de chasses à courre les forêts de l'État sans leur faire contracter en même temps l'engagement de placer au lieu ordinaire des rendez-vous, dans le quartier habituel des hallali, ou à l'endroit devenu célèbre par un accident mémorable, quelque groupe rappelant ou la belle poursuite des chiens, ou la noble résistance de l'animal, ou la mort d'un cheval, ou la blessure d'un chasseur? Ces monuments de la sculpture deviendraient des points de repère dans la forêt, et ils conserveraient, avec les noms des veneurs et ceux des chiens de meute, le souvenir de nobles plaisirs trop vite effacés. Dans un ordre d'idées différent et plus élevé, la piété des populations serait réveillée et réveillerait l'art lui-même, si on s'associait à elle pour élever les Notre-Dame colossales au haut des montagnes, pour tailler les roches en figures de saints, pour renouveler ces calvaires et mises au tombeau, qui furent l'enseignement des arts et le maintien du goût public pendant le moyen âge, et qui reprendraient de nos jours leur énergique influence, s'ils étaient confiés à des artistes assez sûrs d'eux-mêmes pour aborder franchement le réalisme dans ses conditions de vérité naïve et de style simple. L'occasion est excellente pour les tentatives hardies. L'artiste ne refoule pas en lui les témérités de son imagination, quand il s'adresse aux masses qui trouvent dans leur enthousiasme naïf des témérités de sympathie. -POLYCHROMIE DE LA STATUAIRE. De la sculpture peinte chez les Grecs et les

Étrusques.

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Statuaire chryséléphantine. - Les statues des ancêtres chez les Romains. Les statues peintes de l'architecture du moyen âge, toute la statuaire de cette époque coloriée. L'ornementation peinte des Arabes. — Les rondes bosses émaillées composées de morceaux de faïence rapportés, œuvres saisissantes des admirables sculpteurs qui portent le nom de della Robbia. Les tentatives généreuses de Bernard Palissy dans le même sentiment. Les cires modelées et colorées par les plus grands artistes de la Renaissance. Les cires du même genre de Montagnès et d'autres artistes espagnols du xvII° siècle. Les portraits en médaillon d'Antoine Benoist à la fin du xvII° siècle, portraits modelés en cire et coloriés d'après nature, dont les contemporains, amateurs du meilleur goût, se sont épris, dont Abraham Bosse disait : « Et pour les beaux et surprenants portraits en cire de M. Benoist, je dis encore que, si ceux qui ont prétendu les mépriser en avaient vu comme moi, à qui il a donné l'air de vie par une gaieté souriante, ils n'auraient peut-être pas été si prompts à déclamer contre une si belle invention. Toutes ces tentatives difficiles ont été abordées timidement par des gens de goût et de talent, et presque aussitôt compromises avec impudence par des gens sans goût et sans talent; mais, en dépit de ces insuccès, ce sont des essais généreux et féconds qui devraient être renouvelés avec une conviction sérieuse, poursuivis avec l'aide de toutes les découvertes modernes, encouragés avec libéralité. - Cette polychromie de la sculpture surgira comme une conséquence nécessaire de la polychromie de l'architecture. Un artiste ne peut se figurer une Minerve d'ivoire, d'or de diverses couleurs, ayant les prunelles de pierres précieuses colorées, dans la cella d'un Parthénon éclatant de blancheur; et sans être artiste, en entrant dans la Sainte-Chapelle, chacun reculerait devant une sainte Vierge de marbre blanc qui semblerait, au milieu de ces murailles harmonieusement peintes, un spectre dans son linceul. POLYCHROMIE DE L'architecture. Son usage général en Égypte et en Asie. Son adoption modérée par les Grecs. Sa continuation traditionnelle chez les Byzantins, les Orientaux et dans tout le moyen âge occidental. Sa renaissance de nos jours. Winckelmann. — Quatremère de Quincy. — Hittorf. — Semper.-Owen Johnes. Toutes les renaissances ont en elles une séve printanière qui colore leurs produits. Si je voyais le goût public s'éprendre vivement de la polychromie, je pressentirais comme un symptôme du renouvellement de l'art. Malheureusement on fait de la polychromie un coloriage de l'architecture, c'est-à-dire un contre-sens de la vraie polychromie. De même que les enfants colorient des gravures qui ont déjà toute leur signification de couleur par l'intensité d'ombre et d'effet que le graveur a donnée à sa planche, de même aussi nos architectes construisent leurs monuments, et, une fois terminés, ils demandent à l'Administration si elle entend qu'ils restent blancs ou qu'ils deviennent polychromes. Les architectes de l'antiquité ne comprenaient pas ainsi l'association des arts. En concevaut un monument, ils le faisaient sortir de leur cerveau tout armé comme

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Minerve, c'est-à-dire sculpté et colorié. Telle surface avait sa valeur par la couleur qui devait la couvrir; tel chapiteau, telle architrave, telle frise, sa forme, son galbe et ses dimensions suivant les prévisions d'un complément par la peinture. Ainsi s'expliquent les fausses interprétations que nous faisons des monuments grecs : nous les imitons tels qu'ils sont, sans nous rendre compte de ce qu'ils étaient et de ce qu'ils devaient nécessairement être dans les idées de l'artiste créateur; ainsi s'explique l'heureuse harmonie des mopropres numents du moyen âge. Les architectes de cette époque ont été leurs décorateurs, et la plupart de leurs grands partis, de leurs dispositions fondamentales, ne sont compréhensibles qu'en admettant ou en rétablissant les couleurs qu'ils s'étaient réservées en concevant le plan et les proportions de leurs monuments. La peinture appliquée après coup aux édifices par des peintres, sans le concours des architectes, est encore plus étrangère à cette heureuse association qui a formé l'architecture polychrome. C'est un embellissement qui peut être heureux quand, par suite de certaines circonstances, comme l'exubérance des talents au xvI° siècle en Italie, des artistes éminents consentent à monter sur les échafauds et à peindre les maisons. L'admirable Giorgione couvrait ainsi de ses magnifiques peintures, vrai manteau royal, les palais de Venise, et la république, reconstruisant, en 1507, l'entrepôt des marchands de l'Allemagne, lui confia la décoration d'une des façades, en même temps qu'elle abandonnait l'autre au talent du Titien. Giorgione et son camarade savaient bien qu'ils livraient aux intempéries des saisons ces productions de leur génie, mais alors l'artiste de talent comme l'homme d'esprit n'avaient pas tant de soin de leurs ouvrages ou de leurs bons mots : à la prodigalité des créations ils joignaient l'insouciance pour leur destinée ; ou peut-être savaient-ils qu'une parole éloquente ne se perd jamais, fût-elle prononcée dans le désert. Giorgione et le Titien peignaient donc les façades des maisons de Venise; Raphaël faisait de vastes compositions dans le même but à Rome, simultanément avec cinquante autres artistes qui, depuis le Mantegne jusqu'à Polydore de Caravage, se sont appliqués à ces travaux. Toutes les villes d'Italie avaient ainsi leur musée en plein soleil, et cette coutume pénétra en Allemagne avec les influences de ce pays. Augsbourg et Munich, par exemple, en ont prolongé la pratique jusqu'au siècle dernier, en dépit d'un climat humide, et on la retrouve encore dans la rivière de Gênes maintenue, mais bien altérée. Je voudrais que cette habitude revînt à la mode dans notre France, dans notre belle capitale. C'est un programme excellent pour l'artiste, parce que c'est de l'art à destination fixe. Il sait ce qu'il fait et pourquoi il le fait; c'est, en outre, une influence active, parce que cet art en plein vent va chercher celui qui ne le cherche pas, qui l'éviterait au besoin. Il forme le goût public et réalise la pensée des anciens: Pictor res communis terrarum est. C'est dans ce même but que j'ai demandé des vitraux ou plutôt des vitres peintes pour nos halles et nos casernes, nos gares de chemins de fer et nos rues couvertes. A la Halle, on reproduirait la Péche miraculeuse de Raphaël et le tableau de Ma

lines peint par Rubens pour la corporation des poissonniers; on peindrait des chasses et des scènes de la nature; à la caserne, les batailles; dans les gares des chemins de fer, les costumes, les types et les monuments de tous L'État devrait tout tenter. pays. L'art n'ose pas assez parmi nous.

les

Le public est défiant avec la médiocrité hésitante, il se soumettra aux innovations et aux audaces du génie. Dans cet ordre d'idées, on reviendra à l'architecture feinte, et elle aura les emplois les plus heureux dans nos villes pour décorer les affreux pignons de mitoyenneté, pour prolonger les perspectives de nos cours étroites, pour animer notre architecture.—Quand on parle de cette extension de l'art, chacun pense aux ridicules badigeonnages qu'un vitrier du coin aura tracé sur le mur de quelque guinguette des environs de Paris, comme, lorsqu'on vante la sculpture polychrome, l'imagination va d'un bond dans l'ancien musée Curtius et dans les salons de nos coiffeurs. C'est faire preuve de beaucoup d'inexpérience des belles choses et d'une imagination aussi bornée que lente. — Ayez une opinion sur l'architecture feinte quand vous aurez admiré de vos yeux la Farnésine à Rome, quand vous aurez lu dans Vasari quelle admiration excitèrent ces peintures chez tous les hommes de goût et les éloges que le grand biographe leur donne. Autrement, si l'on rit, on fait rire de soi-même.

MAINTIEN DU goût par les embellisseMENTS

DE LA VOIE PUBLIQUE.

Une ville n'est pas monumentale par ses monuments seuls, et le goût public ne se maintient pas uniquement par la vue des édifices grandioses et des productions artistes; il se maintient aussi par un ensemble de bonne tenue qui est pour une cité sa décence, son élégance, son luxe. - Paris n'est pas et ne doit pas être tout en France, mais il sera le modèle par excellence. Ce qu'Athènes était dans la Grèce et au milieu des colonies grecques, ce que Rome fut pendant cinq siècles, Paris peut le devenir par la majesté de l'art. Comme Rome, dans toute l'étendue du monde antique s'appelait urbs, la ville par excellence, comme le roi de France a été le Roi au-dessus des rois, jusqu'à la mort de Louis XIV, ainsi Paris, comme centre des sciences, des lettres et des arts, doit être toujours la ville, la grand'ville. Paris ne surpassera pas Londres en étendue, ni Saint-Pétersbourg en régularité de percements, ni Rome par la grandeur des monuments, ni les villes de la Hollande par la propreté extérieure; mais Paris peut se distinguer entre toutes les villes par le goût pur de ses constructions, l'exécution châtiée, le soin recherché, la perfection des moindres détails et cette préoccupation délicate qui ne souffre le mauvais nulle part et dissimule même le médiocre. LA PROPRETÉ. La propreté, premier degré de l'élégance, est à elle seule une élégance. C'est une amélioration morale et un élément d'hygiène privée quand elle se produit sur l'individu, c'est un embellissement public quand elle s'applique aux villes. La propreté prise en général est moralisatrice, et ce qu'elle a de particulier et de singulièrement fécond,

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c'est que son influence est contagieuse. Habituez les hommes à la propreté, et après avoir appris à se respecter eux-mêmes, ils apprendront à respecter tout ce qui est respectable; introduisez la propreté dans les monuments et dans les rues d'une ville, aussitôt cette propreté s'étendra d'elle-même aux maisons des particuliers et à leurs L'État doit donner l'exemple personnes. et fournir les moyens: l'exemple, en raffinant de propreté par l'entretien de ses monuments, par la transformation des rues et leur balayage, par le maintien de la décence publique; les moyens, en répandant l'eau gratuite. ment et à profusion dans des fontaines nombreuses, dans des bains gratuits ou à bas prix, dans des buanderies accessibles au plus pauvre. - LES EAUX. La beauté et la grandeur d'une ville est dans la bonté et dans l'abondance de ses eaux. — L'antiquité. L'Orient. Rome. Les Arabes d'Espagne. Comparé au passé, comparé même à plusieurs villes modernes, Paris est, sous ce rapport, dans un état d'infériorité déplorable. — Des hommes, transformés en bêtes de somme, montent des seaux d'eau dans les maisons; d'autres hommes, et même des femmes, transformés en bêtes de trait, tirent péniblement des tonneaux d'eau dans les rues. Projets d'avenir. LE PAVAGE. Avant Philippe-Auguste, le sol des rues de Paris était composé de terre et de pierres formant, pendant la sécheresse de l'été, un sol friable que le vent enlevait en flots de poussière, et, pendant l'hiver, une mare de boue sale et infecte. Le roi fut choqué de cette barbarie, et il inventa le pavé. C'était pour son temps fort habile; mais le pavé le mieux fait forme une mosaïque de cubes de grès qui laisse suinter dans leurs intervalles la boue livide et puante sur laquelle elle repose. Qu'on se figure une écumoire pressée sur une marmite remplie.— Nécessité absolue de renouveler le revêtement du sol parisien. On a fait en Angleterre, et particulièrement à Londres, des essais coûteux de chaussées en bois, en fer, en blocs de faïence, en pavés de granit de Cherbourg. — Rien n'a réussi.—Quel est le problème pour Paris?—Trouver une matière dure qui résiste aux pieds des chevaux, diminue la traction des roues et arrête le passage de l'eau qui tombe du ciel et va humecter la terre, et aussi le passage de la boue qui sort de terre et se transforme en poussière. — L'asphalte métallique, c'est-à-dire mélangé avec le minerai de fer étendu sur un fond empierré et maçonné en chaux hydraulique, comme les anciens construisaient leurs chaussées, répond à toutes les exigences du programme le plus exigeant et ne soulève qu'une seule objection. Les cochers se persuadent que leurs chevaux ont le pied moins sûr quand il porte toujours sur une surface égale que lorsqu'il est toujours à faux sur des pavés bossus et d'inégal niveau. Mais, si ces automédons attardés savaient que tout Florence et tout Naples, qui ne sont pourtant pas des villages, ont leurs rues tortueuses entièrement dallées et offrent une surface unie bien autrement glissante que l'asphalte, qui a de l'élasticité; s'ils avaient vu les cochers napolitains, qui ne sont pas plus adroits qu'eux, conduire sur cette glace, à bride abattue, des carrioles légères au triple galop de leurs chevaux fringants, ils se seraient fait ce

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