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avons à vivre en fociété, eft le fondement de la loi naturelle.

Il y a fur-tout dans l'homme une difpofition à la compaffion, auffi généralement répandue que nos autres inftincts. Newton avait cultivé ce fentiment d'humanité, et il l'étendait jusqu'aux animaux: il était fortement convaincu, avec Locke, que DIEU a donné aux animaux (qui femblent n'être que matière) une mesure d'idées, et les mêmes fentimens qu'à nous. Il ne pouvait penser que DIEU, qui ne fait rien en vain, eût donné aux bêtes des organes de fentiment, afin qu'elles n'euffent point de fentiment.

Il trouvait une contradiction bien affreuse à croire que les bêtes fentent, et à les faire fouffrir. Sa morale s'accordait en ce point avec sa philofophie; il ne cédait qu'avec répugnance à l'usage barbare de nous nourrir du fang et de la chair des êtres femblables à nous, que nous careffons tous les jours; et il ne permit jamais dans fa maison qu'on les fit mourir par des morts lentes et recherchées, pour en rendre la nourriture plus délicieuse.

Cette compaffion qu'il avait pour les animaux fe tournait en vraie charité pour les hommes. En effet fans l'humanité, vertu qui comprend toutes les vertus, on ne mériterait guère le nom de philofophe.

CHAPITRE VII.

DE LA ME, ET DE LA MANIERE DONT ELLE EST UNIE AU CORPS, ET DONT · ELLE A SES IDÉES.

Quatre opinions fur la formation des idées celle des anciens matérialifles, celle de Mallebranche, celle de Leibnitz. Opinion de Leibnitz combattue.

NEWTON était perfuadé, comme prefque tous les bons philofophes, que l'ame eft une fubftance incompréhenfible; et plufieurs perfonnes, qui ont beaucoup vécu avec Locke m'ont affuré que Newton avait avoué à Locke, que nous n'avons pas affez de connaissance de la nature pour ofer prononcer qu'il foit impoffible à DIEU d'ajouter le don de la pensée à un être étendu quelconque. La grande difficulté eft plutôt de favoir comment un être, quel qu'il foit, peut penfer, que de favoir comment la matière peut devenir penfante. La pensée, il eft vrai, femble n'avoir rien de commun avec les attributs que nous connaiffons dans l'être étendu qu'on appelle corps ; mais connaissons-nous toutes les propriétés des corps? C'est une chofe qui paraît bien hardie que de dire à DIEU: Vous avez pu donner le mouvement, la gravitation, la végétation, la vie à un être, et vous ne pouvez lui donner la pensée.

Ceux qui difent que, fi la matière pouvait recevoir le don de la pensée, l'ame ne ferait pas immortelle,

raisonnent-ils bien conféquemment! Eft-il plus difficile à DIEU de conferver que de faire? De plus, fi un atome insécable dure éternellement, pourquoi le don de penfer en lui ne durera-t-il pas comme lui? Si je ne me trompe, ceux qui refusent à DIEU le pouvoir de joindre des idées à la matière, font obligés de dire que ce qu'on appelle esprit eft un être dont l'effence eft de penser, à l'exclufion de tout être étendu. Or, s'il eft de la nature de l'esprit de penser effentiellement, il pense donc néceffairement, et il penfe toujours, comme tout triangle a néceffairement et toujours trois angles, indépendamment de DIEU. Quoi! dès que DIEU crée quelque chose qui n'eft pas matière, il faut absolument que ce quelque chose pense? Faibles et hardis comme nous fommes, favons-nous fi DIEU n'a pas formé des millions d'êtres, qui n'ont ni les propriétés de l'efprit, ni celles de la matière à nous connues? Nous fommes dans le cas d'un pâtre qui, n'ayant jamais vu que des bœufs, dirait : Si DIEU veut faire d'autres animaux, il faut qu'ils aient des cornes et qu'ils ruminent. Qu'on juge donc ce qui eft plus respectueux pour la Divinité, ou d'affirmer qu'il y a des êtres qui ont fans lui l'attribut divin de la pensée, ou de foupçonner que DIEU peut accorder cet attribut à l'être qu'il daigne choifir. On voit, par cela feul, combien font injuftes ceux qui ont voulu faire à Locke un crime de ce sentiment, et combattre, par une malignité cruelle, avec les armes de la religion, une idée purement philofophique.

Au refte, Newton était bien loin de hafarder une définition de l'ame, comme tant d'autres ont ofé le faire; il croyait qu'il était poffible qu'il y eût des millions d'autres fubftances penfantes, dont la nature

pouvait être absolument différente de la nature de notre ame. Ainfi la divifion que quelques-uns ont faite de toute la nature en corps et en efprit, paraît la définition d'un fourd et d'un aveugle, qui, en définissant les fens, ne soupçonneraient ni la vue ni l'ouïe. De quel droit, en effet, pourrait-on dire que DIEU n'a pas rempli l'espace immense d'une infinité de substances qui n'ont rien de commun avec nous ?

Newton ne s'était point fait de systême sur la manière dont l'ame eft unie au corps, et fur la formation des idées. Ennemi des fyftêmes, il ne jugeait de rien que par analyse; et lorfque ce flambeau lui manquait, il favait s'arrêter.

Il y a eu jufqu'ici dans le monde quatre opinions fur la formation des idées : la première eft celle de prefque toutes les anciennes nations qui, n'imaginant rien au-delà de la matière, ont regardé nos idées dans notre entendement comme l'impreffion du cachet fur la cire. Cette opinion confuse était plutôt un inftinct groffier qu'un raisonnement. Les philofophes, qui ont voulu enfuite prouver que la matière pense par ellemême, ont erré bien davantage; car le vulgaire se trompait fans raisonner, et ceux-ci erraient par principes; aucun d'eux n'a pu jamais rien trouver dans la matière qui pût prouver qu'elle a l'intelligence par elle-même. Locke paraît le feul qui ait ôté la contradiction entre la matière et la pensée, en recourant tout d'un coup au créateur de toute pensée et de toute matière, et en disant modeftement: Celui qui peut tout ne peut-il pas faire penfer un être matériel, un atome, un élément de la matière? Il s'en eft tenu à cette poffibilité en homme fage. Affirmer que la matière pense en effet, parce

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que DIEU a pu lui communiquer ce don, ferait le comble de la témérité; mais affirmer le contraire eft-il moins hardi ?

Le second sentiment et le plus généralement reçu, eft celui qui, établissant l'ame et le corps comme deux êtres qui n'ont rien de commun, affirme cependant que DIEU les a créés pour agir l'un fur l'autre. La feule preuve qu'on ait de cette action eft l'expérience que chacun croit en avoir. Nous éprouvons que notre corps tantôt obéit à notre volonté, tantôt la maîtrife; nous imaginons qu'ils agiffent l'un fur l'autre réellement, parce que nous le fentons, et il nous eft impoffible de pouffer la recherche plus loin. On fait à ce systême une objection qui paraît fans réplique; c'eft que fi un objet extérieur, par exemple, communique un ébranlement à nos nerfs, ce mouvement va à notre ame, ou n'y va pas; s'il y va, il lui communique du mouvement, ce qui supposerait l'ame corporelle; s'il n'y va point, en ce cas il n'y a plus d'action. Tout ce qu'on peut répondre à cela, c'est que cette action eft du nombre des chofes dont le mécanisme fera toujours ignoré; trifte manière de conclure, mais prefque la feule qui convienne à l'homme en plus d'un point de métaphyfique.

Le troisième fyftême eft celui des causes occafionnelles de Descartes, pouffé encore plus loin par Mallebranche. Il commence par supposer que l'ame ne peut avoir aucune influence fur le corps, et dès-là il s'avance trop; car de ce que l'influence de l'ame fur le corps ne peut être conçue, il ne s'enfuit point du tout qu'elle foit impoffible. Il suppose ensuite que la matière, comme cause occafionnelle, fait une impreffion fur notre corps, et

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