Page images
PDF
EPUB

peut-elle troubler l'esprit au point de faire dire qu'un fuédois et un nubien font de la même espèce, lorsqu'on a fous les yeux le reticulum mucofum des nègres qui est absolument noir, et qui eft la cause évidente de leur noirceur inhérente et fpécifique ? Je fais que dans la

même carrière on trouve du marbre noir et du marbre blanc, mais certainement le blanc n'a pas produit le noir, et les races nègres ne viennent pas plus de races blanches que l'ébène ne vient d'un orme, et que les mûres ne viennent des abricots.

Le compilateur du Journal économique, qui n'est jamais forti de la rue Saint-Jacques, me dit d'un ton de maître que les Caraïbes n'étaient point rouges; que les mères se plaifaient seulement à teindre en rouge leurs enfans. Et voilà mes voifins qui arrivent de la Guadeloupe, et qui me donnent une atteftation, qu'il y a encore cinq à fix familles caraïbes dans l'anfe Bertrand; leur peau eft de la couleur de notre cuivre rouge; ils font bien faits, ils ont de longs cheveux et point de barbe.

Ils ne font pas les feuls peuples de cette couleur. J'ai parlé à l'indien infulaire qui vint en France demander justice, vers l'an 1720, au confeil du roi, contre M. Hebert, ci-devant gouverneur de Pondichéri, et qui l'obtint. Il était rouge, et d'ailleurs un très-bel homme.

Maillet a raifon quelquefois. Il avait beaucoup vu et beaucoup examiné. Les Américains, dit-il, page 125 du Ier vol. fur-tout les Canadiens, excepté les Esquimaux, n'ont ni poil ni barbe, &c. Son éditeur, qui a fait imprimer le manufcrit de Maillet chez la veuve Duchefne, fait une note fur ce texte, et dit fièrement : Telliamed fe trompe; ,,les fauvages de l'Amérique ne font point fans poil et

" fans barbe; ils n'en ont point, parce que s'arrachant " le poil, ou le fefant tomber à mesure qu'il paraît, ils "fe frottent enfuite du jus de certaines herbes pour ,, l'empêcher de croître de nouveau. „

Avec quelle confiance, avec quelle ignorance intrépide ce badaud de Paris prétend-il que les Bréfiliens et les Canadiens et les Patagons fe font donné le mot de s'arracher le poil fans avoir des pinces; quel fecret se font-ils communiqué du fleuve Saint-Laurent au cap de Horn pour empêcher la barbe de croître ? Quel eft le voyageur, le colon américain qui ne fache que ces peuples n'ont jamais eu de poil en aucune partie de leur corps?

Les hommes dans le nouveau monde en font privés comme les lions y font privés de crins; (b) toute la nature était différente de la nôtre en Amérique quand nous la découvrîmes; de même que fur les bords méridionaux de l'Afrique, il n'y avait rien qui reffemblât aux productions de notre Europe, ni hommes, ni quadrupèdes, ni oiseaux, ni plantes.

(b) Voici la lettre qu'un ingénieur en chef, qui a commandé long-temps en Canada, me fait l'honneur de m'écrire du premier décembre 1768. » J'ai vu au Canada trente-deux nations differentes raffemblées à la fois » pendant deux campagnes de fuite dans notre armée, et je les ai vus " avec des yeux affez curieux pour vous affurer qu'ils font imberbes. "Leurs femmes le font auffi, et c'eft un fait fur lequel vous pouvez » également compter. Enfin, Monfieur, non-feulement les Américains " n'ont point de poil au menton, mais ils n'en ont dans aucune partie » du corps. Ils en ont l'obligation à la nature, et non à la prétendue ,, herbe dont le savant auteur de la rue Saint-Jacques prétend qu'ils fe " frottent. ",

N. B. M. Carvers, homme très-inftruit, qui a fait un voyage dans l'Amérique feptentrionale, en 1767, et qui a paffé un hiver chez les fauvages, a imprimé qu'ils n'étaient imberbes que parce qu'ils s'arrachaient le poil.

Croira-t-on de bonne foi qu'un lapon et un famoïède foient de la race des anciens habitans des bords de l'Euphrate? Leurs rangifères ou rennes, animaux qui ne se trouvent point ailleurs et qui ne peuvent vivre ailleurs, defcendent-ils des cerfs de la forêt de Senlis ? Il n'a pas certainement été plus difficile à la nature de faire des lapons et des rangifères que des nègres et des éléphans.

Les nègres blancs que j'ai vus, ces petits hommes qui ont des yeux de perdrix, et la foie la plus fine et la plus blanche fur la tête, et qui ne reffemblent aux nègres que par leur nez épaté, et par la rondeur de la conjonctive, ne me paraiffent pas plus defcendre d'une race noire dégénérée que d'une race de perroquets. L'auteur de l'Hiftoire naturelle les croit d'une race noire, parce qu'ils font blancs, et qu'ils habitent tous à peu près la même latitude, au Darien, au fud du Zaïr, et à Ceilan. Et moi, c'eft parce qu'ils habitent la même latitude que je les crois tous d'une race particulière. (*)

Eft-il bien vrai que dans quelques îles des Philippines et des Mariannes, il y ait quelques familles qui ont des queues, comme on peint les fatyres et les faunes? Des miffionnaires jéfuites l'ont affuré; plufieurs voyageurs n'en doutent pas; Maillet dit qu'il en avu. Des domeftiques nègres de feu M. de la Bourdonnais, le vainqueur de Madrafs et la victime de fes fervices, m'ont juré qu'ils en avaient vu plufieurs. Il ne ferait pas plus étrange que le croupion fe fût allongé et relevé dans quelques races d'hommes, qu'il ne l'eft de voir des familles qui ont fix doigts aux mains. Mais (*) Voyez les notes de l'Essai fur les mœurs, &c.

[ocr errors]

qu'il y ait eu quelques hommes à queue ou non, cela eft fort peu important, et il faut ranger ces queues dans la claffe des monftruofités.

Y a-t-il eu en effet des efpèces de fatyres, c'eft-àdire, des filles ont-elles pu être enceintes de la façon des finges, et enfanter des animaux métis, comme les jumens font des mulets et des jumares? Toute l'antiquité attefte ces faits finguliers. Plufieurs faints ont vu des fatyres. Ce n'est pas un article de foi. La chose eft très-poffible, mais elle a dû être rare. Il eft vrai que les finges aiment fort les filles mais nos filles ont de l'horreur pour eux, elles les craignent, elles les fuient. Cependant on ne peut douter de plufieurs unions monftrueufes arrivées quelquefois dans les pays chauds. La peine prononcée dans les lois juives contre de tels accouplemens eft une preuve inconteftable de leur réalité, et il eft fort probable qu'il eft né des animaux de ces mélanges ignorés dans nos villes, mais dont on voit des exemples dans les campagnes.

CHAPITRE X X X,

De la population.

LA population a-t-elle toujours été abondante ?

non, fans doute; les peuples pareffeux, comme la plupart des Américains, ont dû toujours être en petit nombre; ils laiffent leurs terres en friche; les fleuves les inondent; des marais immenfes infectent l'air; on respire des poisons. La paucité de la race humaine

rend la terre inhabitable, et cette terre abandonnée contribue à son tour à la dépopulation. Notre continent eft tantôt plus ou moins peuplé. Le nombre des citoyens romains diminua fenfiblement depuis les. horribles fcélérateffes de Sylla et de Marius, jusqu'à celle du lâche Octave, furnommé Auguste, et de l'effréné Antoine.

L'efpèce diminua beaucoup en France dans les guerres civiles jufqu'aux belles années du divin Henri IV: J'ai lu, dans je ne fais quel livre, que fous Charles IX, au temps de la Saint-Barthelemi, la France avait vingt-neuf millions d'habitans. Une pareille erreur ne mérite pas d'être réfutée.

Il eft certain que la pefte, la guerre, la famine, l'inquifition ont dépeuplé des royaumes entiers. D'un autre côté, il y a des provinces trop peuplées, comme la basse Allemagne, dont il eft forti plus de vingt mille familles pour aller chercher des terres dans les colonies anglaifes. Le pays du pape manque d'hommes, celui des Provinces-Unies en régorge; la raifon en eft affez connue; l'un eft habité par des prêtres qui immolent les races futures à l'efpérance d'un petit bénéfice, l'autre eft peuplé des facteurs des deux mondes. Si on avait dit à Trajan dans fon beau forum: Londres fera un jour fix fois plus peuplée que votre Rome, on l'aurait bien étonné.

L'Europe eft-elle plus peuplée qu'elle ne l'était du temps de Charlemagne ? oui, malgré les moines; regardez Amfterdam, Venife, Paris, Londres, Milan, Naples Hambourg et tant d'autres villes qui n'étaient alors que des villages très-chétifs, ou qui n'existaient pas.

La plus grande partie de la forêt Hercinie eft

couverte

« PreviousContinue »