Page images
PDF
EPUB

expliquer en philosophe, prononçait donc l'affertion la moins philofophique, quand il difait : Donnez-moi de la matière et du mouvement, et je vais faire un monde.

Il y a dans toutes les académies une chaire vacante pour les vérités inconnues, comme Athènes avait un autel pour les dieux ignorés.

CHAPITRE XXVII.

Ignorances éternelles.

LA nature de nos fenfations, de nos idées, de notre mémoire, ne nous eft-elle pas plus inconnue encore ? Comment fe peut-il faire qu'un animal fente? Quel rapport y a-t-il entre la matière connue et le fentiment?

Comment une idée se place-t-elle dans notre cervelle? peut-on avoir une fenfation fans avoir l'idée, la confcience, le témoignage interne qu'on éprouve cette fenfation?

Comment cet animal, à qui j'ai coupé la tête, a-t-il encore des sensations, privé du cerveau d'où partent les nerfs qui font l'origine de tout fentiment ?

Pourquoi, vivant fans tête des femaines entières, fent-il encore les piqûres que je lui fais? pourquoi fe réfugie-t-il dans fon enveloppe à la moindre sensation défagréable que je lui cause ?

Qu'eft-ce que la mémoire ? et dans quel magasin retrouve-t-on quelquefois, fans le vouloir, une foule d'idées et de mots dont on n'avait plus aucun fouvenir?

Comment les animaux ont-ils en fonge des fenfations et des idées qu'ils n'avaient point eues en veillant?

Par quel accord incompréhensible la volonté fait-elle obéir incontinent certains muscles, certains vifcères, tandis qu'il y en a d'autres fur lefquels elle n'aura jamais le moindre empire? Enfin, pourquoi a-t-on l'existence? pourquoi eft-il quelque chofe ?

Si après ces réflexions on ne fait pas douter, il faut qu'on foit bien fier.

CHAPITRE XXVIII.

Incertitudes en anatomie.

MALGRÉ tous les fecours

ALGRÉ tous les fecours que le microscope a donnés à l'anatomie, malgré les grandes découvertes de tant d'habiles chirurgiens, de tant de médecins célèbres, que de difputes interminables fe font élevées, et dans quelle incertitude fommes-nous encore !

Interrogez Borelli fur la force exercée par le cœur dans fa dilation, dans fa diaftole; il vous affure qu'elle eft égale à un poids de cent quatre-vingts mille livres. Adreffez-vous à Keil, il vous certifie que cette force n'eft que de cinq onces. Jurin vient, qui décide qu'ils fe font trompés; et il fait un nouveau calcul; mais un quatrième furvenant prétend que Jurin s'eft trompé auffi. La nature fe moque d'eux tous, et pendant qu'ils difputent, elle a foin de notre vie; elle fait contracter et dilater le cœur par des voies que l'efprit humain n'a pas encore pénétrées.

On difpute depuis Hyppocrate fur la manière dont fe fait la digeftion; les uns accordent à l'eftomac des fucs digeftifs; d'autres les lui refufent. Les chimiftes font de l'eftomac un laboratoire : Hecquet en fait un moulin. Heureusement la nature nous fait digérer fans qu'il foit néceffaire que nous fachions fon fecret. Elle nous donne des appétits, des goûts et des averfions pour certains alimens dont nous ne pourrons jamais favoir la cause.

On dit que notre chyle fe trouve déjà tout formé dans les alimens même, dans une perdrix rôtie. Mais que tous les chimistes ensemble mettent des perdrix dans une cornue, ils n'en retireront rien qui reffemble ni à une perdrix ni au chyle. Il faut avouer que nous digérons ainfi que nous recevons la vie, que nous la donnons, que nous dormons, que nous fentons, que nous penfons, fans favoir comment.

Nous avons des bibliothèques entières fur la génération, mais personne ne fait encore seulement quel reffort produit l'intumefcence dans la partie masculine.

[ocr errors]

On parle d'un fuc nerveux qui donne la fenfibilité à nos nerfs; mais ce fuc n'a pu être découvert par aucun

anatomifte.

Les efprits animaux, qui ont une fi grande réputation, font encore à découvrir.

Votre médecin vous fera prendre une médecine, et ne fait pas comment elle vous purge.

La manière dont fe forment nos cheveux et nos ongles, nous eft auffi inconnue que la manière dont nous avons des idées. Le plus vil excrément confond tous les philofophes.

Winflow et Lemeri entallent mémoires fur mémoires touchant la génération des mulets; les favans fe partagent: l'âne fier et tranquille, fans fe mêler de la difpute, fubjugue cependant fa cavale, qui lui donne un beau mulet. La nature agit, et nous difputons.

M. Ulloa, fi célèbre par les fervices qu'il a rendus à la phyfique, et par l'histoire philofophique de fes voyages, affure que dans un canton de l'Amérique méridionale, il a vu plufieurs fois, obfervé, mangé des écreviffes, qui toutes étaient conftamment plus charnues dans la pleine lune, et plus chétives dans les quadratures. Il a vu et employé de gros rofeaux qui éprouvaient les mêmes influences, étant plus nourris d'eau quand la lune était dans fon plein que dans le temps du croissant et du décours. Il eût été à fouhaiter qu'il eût donné plus de détails de ces étonnantes fingularités. Ni les écreviffes, ni les rofeaux de nos climats ne subissent de pareils changemens. Pourquoi la lune agirait-elle fur les écreviffes du Pérou, et négligerait-elle celles de notre continent? pourquoi ne ferait-ce que dans un feul canton du Pérou que les rofeaux et les écreviffes feraient foumis à l'empire de la lune ? Je ferais un trop gros livre, fi je voulais détailler tout ce que je n'ai jamais pu comprendre.

CHAPITRE

XXIX.

[ocr errors]

Des monftres et des races diverfes.

On ne s'accorde point fur l'origine des monftres.

Comment s'accorderait-on, puifqu'on ne convient pas encore de la formation des animaux réguliers?

Natura eft fibi femper confona, dit Newton; la nature eft par-tout femblable à elle-même. Oui, les corps tendent vers le centre en tout pays : le feu brûlera par-tout, mais la nature agit très-différemment dans les générations, puisque, parmi les animaux, les uns jettent des œufs, les autres font vivipares, ceux-ci n'ont qu'un fexe, ceux-là en ont deux, plufieurs engendrent fans copulation.

Quo teneam vultus mutantem Protea nodo?

La race des nègres n'eft-elle pas abfolument différente de la nôtre ? Il y a encore des ignorans qui impriment que des nègres et des négresses, transportés dans nos climats, engendrent des blancs. Il n'y a rien de plus faux, et tous nos colons d'Amérique qui ont des nègres, font témoins du contraire.

Comment peut-on imprimer encore aujourd'hui que les noirs font une race de blancs noircie par le climat, tandis qu'on fait que, fous le même climat, il n'y avait aucun noir en Amérique, lorsqu'elle fut découverte, tandis qu'il n'y a de nègres que ceux qu'on y a transplantés d'Afrique, tandis que ces nègres engendrent toujours des nègres comme eux? La maladie des fyftêmes

« PreviousContinue »