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CHAPITRE XX v.

Du feu élémentaire, et de la lumière.

N trouve, dans les Elémens de la philofophie de Newton donnés en 1738, ces paroles: Newton, pour avoir " anatomifé la lumière, n'en a pas découvert la nature " intime. Il favait bien qu'il y a dans le feu élémen"taire des propriétés qui ne font point dans les autres ,, élémens.

,, Il parcourt cent trente millions de lieues en moins ,, d'un quart d'heure, de Jupiter à notre globe; il ne paraît "pas tendre vers un centre comme les corps; mais il "fe répand uniformément et également en tout fens " au contraire des autres élémens. Son attraction vers » les objets qu'il touche, et fur la furface desquels il " rejaillit, n'a nulle proportion avec la gravitation ,, univerfelle de la matière.

"Il n'eft pas même prouvé que les rayons du feu ,, élémentaire ne se pénètrent pas en quelque forte les "uns les autres, fi on ofe le dire. C'eft pourquoi Newton,

l'air même, ou plutôt les différentes espèces de fluides aériformes qui compofent l'atmosphère, c'est-à-dire, des fluides expansibles à un degré de chaleur inférieur à celui des plus grands froids connus. Un de ces fluides eft propre à entretenir le feu et la vie des animaux ; les autres connus fous le nom d'air fixe ou d'air acide, d'air inflammable, d'air déphlogiftiqué, &c. ne peuvent fervir à ces deux fonctions; l'air vital ne forme qu'environ un quart de l'air atmospherique pris auprès de la furface de la terre. Ainfi, dans ce fens que l'atmosphère n'eft pas formé par un élément fimple, l'opinion pour laquelle M. de Voltaire paraît pencher eft trés-vraie; et perfonne parmi les phyficiens ne s'en doutait lorfqu'il publia cet ouvrage.

"frappé de toutes ces fingularités, femble toujours ›› douter fi la lumière eft un corps. Pour moi, fi j'ofe "hafarder mes doutes, j'avoue que je ne crois pas

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impoffible que le feu élémentaire soit un être à part ,, qui anime la nature, et qui tient le milieu entre les " corps et quelque autre être que nous ne connaissons "pas; de même que certaines plantes fervent de paffage ,, du règne végétal au règne animal. ››

Voici les queftions qu'on peut faire fur le feu élémentaire et les rayons de la lumière, dont Newton dit fi fouvent, Corpora fint, nec ne.

Ce feu eft-il abfolument une matière comme les autres élémens, l'eau, la terre, et ce qu'on distingue par le terme d'air ou d'éther? Tout corps, quel qu'il foit, tend vers un centre; mais la lumière et le feu s'en échappent également de tous côtés. Elle n'eft donc pas foumise à la loi de gravitation qui caractérise toute matière.

Tout corps eft impénétrable; mais les rayons de lumière semblent fe pénétrer. Mettez un corps qui aura reçu la couleur rouge à quelque diftance d'un corps qui aura reçu des rayons verts; que cent millions d'hommes regardent ce point vert et ce point rouge, ils les voient tous deux également. Cependant il eft d'une néceffité abfolue que les rayons verts et les rayons rouges fe traversent. Or comment peuvent-ils se traverser fans fe pénétrer ? on a propofé cette difficulté à plusieurs philofophes, aucun n'y a jamais répondu.

Il eft vrai que l'on a prétendu que la flamme pèse : mais n'a-t-on pas confondu quelquefois les corpufcules joints à la flamme avec la flamme elle-même ?

Qui ne connaît ces expériences par lesquelles le plomb calcinė pèse plus étant réduit en chaux qu'auparavant. L'on a foupçonné que cette addition de poids était l'effet feul du feu introduit dans le plomb : mais n'eft-il pas plus vraisemblable qu'une partie de l'air de l'atmosphère raréfié fe foit unie avec ce métal en fufion, et en ait ainfi augmenté le poids? (11)

Ce feu nécessaire à tous les corps, et qui leur donne la vie, peut-il être de la nature de ces corps mêmes; et n'eft-il pas bien probable que le vivifiant a quelque chofe au-deffus du vivifié ?

Conçoit-on bien qu'un être qui fe meut feize cents mille fois plus vite qu'un boulet de canon dans notre atmosphère, et dont la vîtesse est peut-être incomparablement plus rapide dans l'espace non réfiftant, soit ce que nous appelons matière ?

avec

N'eft-on pas obligé d'avouer aujourd'hui Muffchembrock, qu'il n'y a rien qui nous foit moins connu que la caufe de l'émanation de la lumière? Il faut avouer que l'efprit humain ne faurait jamais concevoir un phénomène fi Surprenant.

Ce feu élémentaire n'eft-il pas un principe de l'électricité, puifqu'au même instant, au même clin d'œil, le coup électrique fe fait fentir à trois cents perfonnes à la fois rangées à la file? Le premier eft frappé, le dernier fent le coup dans l'inftant même.

N'eft-il pas dans les animaux le principe de la fenfation inflantanée qui fait que la moindre piqûre, aux

(11) On a depuis prouvé très-bien ce que M. de Voltaire conjecture ici, ce qu'il avait déjà foupçonne un des premiers dans sa pièce sur la nature et la propagation du feu.

extrémités du corps, ébranle, fans aucun intervalle de temps, ce qu'on appelle le fenforium? En un mot, cet être agiffant fi univerfellement, fi fingulièrement fur tous les corps, n'eft-il pas un être intermédiaire entre la matière dont il a des propriétés, et d'autres êtres qui touchent encore à d'autres, et qui en diffèrent ?

Cette idée que le feu élémentaire eft quelque chofe qui tient d'un côté à la matière connue, et qui de l'autre s'en éloigne, peut être rejetée, mais ne doit être méprisée.

pas

Dans l'ignorance profonde où croupit le vulgaire gouverné et le vulgaire gouvernant, fur ces quatre élémens dont nous tenons la vie, à quoi nous cnt fervi les découvertes en phyfique et les inventions du génie? Au lieu de bien cultiver la terre nous l'enfanglantons; nous employ ons le feu et l'air à mettre les villes en cendres : les eaux de la mer nous fervent à porter la deftruction fur tout le globe. La métallurgie, inventée d'abord pour l'ufage de la charrue, a fait périr mille millions d'hommes. La théorie des forces mouvantes, employée d'abord à nous foulager dans nos travaux, devint bientôt féconde en machines meurtrières. Enfin l'invention d'un bénédictin chimifte, amenant un nouvel art de la guerre chez toutes les nations, rendant le courage et la force inutiles, a fait que Gustave et Turenne ont été tués par des poltrons. Il y a maintenant en Europe, en comptant les Turcs et les Tartares, quinze cents mille foldats portant des fufils. Aucun ne fait qu'il eft armé par un moine mathématicien.

CHAPITRE XXVI.

Des lois inconnues.

Si Newton a découvert cette clef de la nature, par laquelle une pierre, une bombe retombe en cherchant le centre de la terre, et les planètes marchent dans leurs orbites; fi cette loi de l'attraction agit, non en raifon des furfaces, comme pourrait faire l'impulfion d'un fluide, mais en raison des masses; fi elle pénètre au centre de la matière en raison inverse du quarré des distances, pourquoi cette loi n'agit-elle pas fuivant les mêmes proportions dans les phénomènes de l'aimant, dans ceux de l'électricité, dans l'afcenfion des liqueurs à travers les tuyaux capillaires, dans la cohéfion des corps, dans les rayons du foleil qui rebondiffent d'une furface de cristal, fans toucher réellement cette surface? On ne peut, dans aucun de ces cas, avoir recours aux lois du mouvement, à l'impulfion des corpufcules intermédiaires. Il y a donc certainement des lois éternelles, inconnues, fuivant lefquelles tout s'opère, fans qu'on puiffe les expliquer par la matière et par le

mouvement.

Ces lois reffemblent à celles par lefquelles tous les animaux font agir leurs membres à leur volonté. Qui découvrira le rapport de la volonté d'un animal et du mouvement de fes jambes? Il y a donc des lois qui ne tiennent en rien à la matière connue. La philofophie corpufculaire ne peut donc rendre aucune raifon des premiers principes des chofes. Defcartes, en paraissant

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