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CHAPITRE X X.

Digreffion.

Si tant d'erreurs phyfiques ont aveuglé des nations

entières, fi l'on a ignoré pendant tant de fiècles la direction de l'aimant, la circulation du fang, la pefanteur de l'atmosphère, quelles prodigieufes erreurs les hommes ont-ils dû commettre dans le gouvernement? Quand il s'agit d'une loi phyfique, on l'examine du, moins aujourd'hui, avec quelque impartialité ; et ce n'est pas en recherchant les principes de la nature que la fureur des paffions et la néceffité preffante de se déterminer aveuglent l'efprit; mais en fait de gouvernement, on n'a été fouvent conduit que par les paffions, les préjugés et le besoin du moment. Ce font-là les trois caufes de la mauvaise administration qui a fait le malheur de tant de peuples.

C'eft ce qui a produit tant de guerres entreprises par témérité, foutenues fans conduite, terminées par le malheur et par la honte ; c'eft ce qui a donné cours à tant de lois pires que la difette de toute loi; c'est ce qui a ruiné tant de familles par une jurisprudence inventée dans des temps d'ignorance, et confacrée par l'usage; c'eft ce qui a fait des finances publiques un jeu de hasard dangereux.

C'est ce qui a introduit dans le culte de la Divinité tant d'énormes abus, tant de fureurs plus abominables peut-être que la fauvage ignorance de tout culte. L'erreur, dans tous ces points capitaux, se consacra de père en

fils, de livre en livre, de chaire en chaire, et rendit quelquefois les hommes plus malheureux que s'ils fe difputaient encore du gland dans les forêts.

Il est très-aifé de réformer la phyfique, quand le vrai eft enfin découvert. Peu d'années fuffisent pour faire tourner la terre autour du soleil malgré les décrets de Rome, pour établir les lois de la gravitation en dépit des univerfités, et pour affigner les routes de la lumière. Les législateurs de la nature font bientôt obéis et refpectés d'un bout du monde à l'autre ; mais il n'en eft pas de même dans la législation politique. Elle a été, et elle eft encore un chaos prefque par-tout; les hommes fe font conduits à l'aventure dans tout ce qui regarde leur vie, leurs biens, et tout leur être préfent et à venir.

CHAPITRE XXI.

Des élémens.

YA-T-IL des élémens? Les trois imaginés par Defcartes, que j'ai vus dans mon enfance enfeignés par la plupart des écoles, étaient infiniment au-dessous des contes des Mille et une nuits; car aucun de ces contes ne répugne aux lois de la nature, et font d'ailleurs très-agréables. Les cinq principes des chimiftes étaient

fi

peu reconnus qu'ils les réduifirent eux-mêmes à trois, puis à deux. Ils revinrent enfuite au feu, à l'eau et à la terre.

Il a bien fallu enfin admettre l'air. Ainfi les quatre élémens d'Ariftote font rentrés dans tout leur honneur.

Mais ces élémens, de quoi font-ils faits eux-mêmes ? S'ils font compofés de parties, ils ne font pas élémens. L'air, le feu, l'eau et la terre, fe changent-ils les uns dans les autres ? fubiffent-ils des métamorphofes ? Qu'eft-ce, à la rigueur, qu'une métamorphofe? c'est un être changé en un autre être; c'eft au fond l'anéantiffement du premier, et la création du fecond. Pour que l'eau devienne abfolument terre, il faut que cette eau périffe et que la terre se forme; car fi l'eau contenait en elle-même les principes de terre dans laquelle elle s'eft changée, ce n'eft plus une tranfmutation; c'est l'eau qui contenait en elle un peu de terre, et qui s'étant évaporée, a laiffé cette terre à découvert.

Le célèbre Robert Boyle s'y trompa, et entraîna Newton dans fa méprise. Ayant long-temps tenu de l'eau dans une cornue à un feu égal, le chimiste qui opérait avec lui, crut que l'eau s'était, au bout de quelques mois, changée en terre; le fait était faux; mais Newton, le croyant vrai, supposa que les quatre élémens pouvaient fe changer les uns dans les autres. Boerhaave fit voir depuis quelle avait été la méprise de Boyle. Cette erreur avait conduit Newton à un fyftême qui paraît faux. Si des grands hommes, tels que Boyle et Newton, fe font trompés, quel homme pourra se flatter d'être à l'abri de l'erreur? et quelle extrême défiance ne doit-on pas avoir des opinions reçues et de fes idées propres ? (*)

(*) Voyez les notes de la Differtation fur le feu.

CHAPITRE XXII.

De la terre.

QU'EST-CE que de la terre? Son effence eft - elle

d'être de l'argile, de la boue? Non, fans doute, puisque de la marne, de la craie, de la glaise, du fable, du plâtre, de la pierre calcaire, font appelés terre. Auffi Beker diftinguait entre terre vitrifiable, inflammable et mercurielle. La terre eft-elle un affemblage de tout ce que contient notre globe? y entre-t-il de l'eau, du feu et de l'air? En ce cas, comment peut-on l'appeler un élément ?

On a long-temps imaginé qu'il y avait une terre première, une terre vierge qui n'eft rien de ce que nous voyons, et qui eft capable de recevoir tout ce que notre globe renferme ; mais cette terre eft apparemment dans le paradis terreftre dont perfonne ne peut plus approcher. Nous ne connaiffons plus que différentes fortes de fubftances terreufes, fans que nous puiffions dire d'aucune: Voilà le principe des autres, voilà la matrice dans laquelle tout fe forme, et le tombeau dans lequel tout rentre.

CHAPITRE XXIII.

De l'eau.

QU'EST-CE que l'eau? Est-elle fluide ou folide de

fa nature? Ne faut-il pas, pour qu'elle coule, qu'un feu fecret en défuniffe les parties? Otez une grande quantité de ce feu; elle devient glace. Or, qu'eft-ce qu'un élément qui a befoin d'un autre élément pour exifter?

L'eau de la mer eft-elle de même nature que nos eaux de fontaines et de rivières? Y a-t-il, dans l'Océan et dans la Méditerranée, de grands bancs de fel et des mines de bitume qui donnent à leurs eaux un goût différent de celui de notre eau ordinaire, quand nous l'avons chargée de fel marin? Perfonne n'a jamais vu ces prétendues mines de fel; perfonne n'a jamais extrait du bitume de l'eau de la mer.

Pourquoi l'eau eft-elle incompreffible? pourquoi n'a-t-elle aucun reffort? et qu'eft-ce que le reffort? Pourquoi de l'eau, enfermée dans un globe d'or, s'échappera-t-elle à travers les pores de l'or, quand on frappera fur ce globe avec un marteau, quoique l'or foit près de vingt fois plus dense que l'eau ? Et pourquoi ne peutelle passer à travers des pores du verre, tout diaphane qu'est ce verre ? Comment l'eau en vapeurs a-t-elle une force fi prodigieufe? on serait embarrassé de répondre.

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