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CHAPITRE XVII.

LE

D'un bateau du maréchal de Saxe.

E maréchal de Saxe avait, fans doute, l'efprit de combinaison, de pénétration, de vigilance, qui forme un grand capitaine. Cependant, en 1729, il imagina de conftruire une galère fans rame et fans voile, qui remonterait la rivière de Seine de Rouen à Paris en vingt-quatre heures, dans l'efpace de quatre-vingt-dix lieues; car il n'y en a pas moins par les finuofités de la rivière. On a conftruit de pareilles machines, dans lefquelles on peut fe promener fur une eau dormante au moyen de deux roues à larges aubes, auxquelles une manivelle donne le mouvement. Il ne fefait pas réflexion que fon bateau ne pourrait résister au courant de l'eau, que ce que l'on gagne en temps, on le perd en force, et au contraire. Il eut pourtant des certificats de deux membres de l'académie des fciences, et il obtint un privilége exclufif pour fa machine. Il l'effaya; on croira bien qu'il ne réuffit pas. Mlle le Couvreur difait alors comme Géronte Que diable allait-il faire dans cette galère? Cette tentative lui coûta dix mille écus ; il n'était pas riche alors. Il répara bien depuis fur terre fon erreur fur la rivière de Seine. Il fut ménager plus à propos la force et le temps, en fefant les plus favantes manœuvres de guerre.

Ces mécomptes, en fait d'hydraulique et de forces mouvantes, arrivent tous les jours à plus d'un artiste.

CHAPITRE XVIII.

Des méprifes en mathématiques.

Ce fut le fcandale de la géométrie, lorsque vers le commencement de ce fiècle, des mathématiciens français et allemands difputèrent fur la force des corps en mouvement. Les difciples de Leibnitz prétendaient que cette force était en raison compofée du quarré de la vîteffe et de la pefanteur des corps. Les Français, au contraire, ne mefuraient cette force que par la vîtesse multipliée par la maffe. M. de Mairan expofa le malentendu avec beaucoup de clarté. La victoire demeura à l'ancienne philofophie; et il eft à remarquer que jamais aucun géomètre anglais ne voulut entendre parler de la nouvelle mesure introduite en Allemagne par Leibnitz.

L'académie des sciences de Paris fut trompée, quelque temps après, fur une matière plus importante. Voici le fait tel qu'il eft rapporté dans les Elémens de Newton, page 211 de ce volume.

" Louis XIV avait signalé fon règne par cette méri"dienne qui traverse la France; l'illuftre Dominique "Caffini l'avait commencée avec monfieur fon fils; il " avait, en 1701, tiré du pied des Pyrénées à l'obfer"vatoire une ligne auffi droite qu'on le pouvait, à " travers les obftacles prefque infurmontables que " les hauteurs des montagnes, les changemens de la " réfraction dans l'air, et les altérations des inftrumens

" oppofaient fans ceffe à cette vaste et délicate entre"prise; il avait donc, en 1701, mesuré fix degrés dix"huit minutes de cette méridienne. Mais de quelque " endroit que vînt l'erreur, il avait trouvé les degrés "vers Paris, c'eft-à-dire, vers le nord, plus petits que "ceux qui allaient aux Pyrénées vers le midi; cette ,, mesure démentait, et celle de Norvood, et la nouvelle " théorie de la terre aplatie aux pôles. Cependant " cette nouvelle théorie commençait à être tellement " reçue que le fecrétaire de l'académie n'héfita point, " dans fon hiftoire de 1701 à dire que les mesures › nouvelles prifes en France prouvaient que la terre "eft un fphéroïde dont les pôles font aplatis. Les mesures de " Dominique Caffini entraînaient, à la vérité, une conclu

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fion toute contraire; mais, comme la figure de la terre "ne fefait pas encore en France une queftion, per"fonne ne releva pour lors cette conclufion fausse. "Les degrés du méridien, de Collioure à Paris, paf"sèrent pour exactement mesures; et le pôle qui, " par ces mesures, devait néceffairement être alongé, " paffa pour aplati.

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"Un ingénieur, nommé M. des Roubais, étonné de ", la conclufion, démontra que, par les mesures prises ,, en France, la terre devait être un sphéroïde oblong, ", dont le méridien qui va d'un pôle à l'autre eft plus long que l'équateur, et dont les pôles font alongés. (a) Mais de tous les phyficiens à qui il ,, adreffa fa differtation, aucun ne voulut la faire ,, imprimer, parce qu'il femblait que l'académie eut " prononcé, et qu'il paraiffait trop hardi à un par"ticulier de réclamer. Quelque temps après, l'erreur (a) Son mémoire eft dans le Journal littéraire.

" de 1701 fut connue; on fe dédit, et la terre fut

alongée par une jufte conclufion tirée d'un faux "principe. Enfin l'erreur fut entièrement corrigée.

Une fociété favante revient bientôt à la vérité. Tout le monde convient aujourd'hui que la planète de la terre est un sphéroïde inégal, un peu aplati vers les pôles; et cela eft plus démontré par la théorie d'Huyghens et de Newton, que par toutes les mesures qu'on pourrait prendre, mesures trop fujettes à des erreurs inévitables.

Auffi les Anglais, qui aiment tant à voyager, n'ontils jamais fait aucun voyage pour vérifier d'une manière toujours un peu incertaine ce qui leur paraiffait démontré par les lois de la nature.

CHAPITRE XIX.

Vérités condamnées.

VOILA bien des méprises dans lesquelles les plus

grands hommes et les corps les plus savans font tombés, parce que les meilleurs génies et les plus eftimables tiennent toujours quelque chofe de la fragilité humaine.

On pourrait ajouter à cette lifte les fentences portées contre Galilée. Deux congrégations de cardinaux le condamnèrent pour avoir foutenu le mouvement de la terre autour du foleil, mouvement qui était presque déjà démontré en rigueur. Il fut forcé de demander pardon à genoux, et d'avouer qu'il avait annoncé une doctrine abfurde. Les cardinaux lui remontrèrent, d'après tous leurs théologiens, que Jofué avait arrêté le foleil fur le chemin de Gabaon. Galilée n'avait qu'à leur

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répondre que c'était auffi depuis ce temps-là que le foleil était immobile. Mais enfin il fut condamné, à la honte de la raison; et, comme on l'a déjà dit, jugement aurait couvert l'Italie d'un opprobre éternel, fi Galilée ne l'avait couverte de gloire par sa philosophie même que l'on profcrivait.

On fait affez qu'il y a un corps confidérable qui profcrivit les idées innées de Defcartes, et qui enfuite a condamné ceux qui combattaient les idées innées. Cela prouve affez que les théologiens ne doivent point fe mêler de philofophie. Il y a l'infini entre ces deux fciences.

On a prononcé, dans plus d'un pays, des jugemens encore plus étranges fur des points de phyfique qui ne font nullement du reffort de Cujas et de Bartole. On fait à quel point le favant Ramus fut perfécuté pour n'avoir pas été de l'avis d'Ariftote, qui n'était entendu ni de ses adversaires ni de fes juges. Et enfin, il lui en coûta la vie à la journée de la Saint-Barthelemi.

Les médecins qui tenaient pour les anciens intentèrent un procès à ceux qui démontraient la circulation du fang. Les maîtres d'erreur ont toujours eu recours à l'autorité quand il s'agissait de raison. Les exemples de ceux qui avaient été condamnés pour avoir inftruit le genre humain, font prefque auffi nombreux en phyfique qu'en morale.

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