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CHAPITRE X V.

Des anciennes erreurs en phyfique.

LES erreurs de la fauffe phyfique font en bien plus

grand nombre que les vérités découvertes. Prefque tout eft abfurde dans Lucrèce: voyez feulement le quatrième et le cinquième livre, vous y trouverez que des fimulacres émanent des corps pour venir frapper notre vue et notre odorat.

Quàm primum nofcas rerum fimulacra vagare, &c.

Ergo nulla brevi fpatio fimulacra genuntur.

Les voix s'engendrent mutuellement.

Ex aliis aliæ quoniam gignuntur.

Le lion tremble et s'enfuit à la vue du coq.

Neque queunt rapidi contrà conftare leones.

Les animaux fe livrent au fommeil, quand des trois parties de l'ame, une eft chaffée au dehors, une autre fe retire dans l'intérieur, et une troisième éparse dans les membres ne peut fe réunir.

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Ejiciatur, et introrfum pars abdita cedat,
Pars etiam difperfa per artus non queal esse
Conjuncta inter fe, nec motu mutua fungi.

Le foleil et les autres feux s'abreuvent des eaux de la terre.

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Le foleil et la lune ne font pas plus grands qu'ils le paraiffent.

Nec nimio folis major rota, nec minor ardor, &c.

Lunaque.... nihilò fertur majore figurâ.

Nous n'avons la nuit que parce que le foleil a épuisė fes feux durant le jour.

Efflavit languidus ignes.

Ou parce qu'il fe cache fous la terre.

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Quia fub terras curfum convertere cogit.

Il ne faut pas croire qu'on trouve plus de vérités dans les Géorgiques de Virgile; fes obfervations fur la nature ne font pas plus vraies que fa trifte apothéose d'Octave, furnommé Auguste, auquel il dit qu'on ne fait pas encore s'il voudra bien être dieu de la terre ou de la mer, et que le fcorpion fe retire pour lui laiffer une place dans le ciel. Ce fcorpion aurait mieux fait de s'alonger pour percer de fon aiguillon l'auteur des profcriptions, et l'affaffin des citoyens de Pérouse.

Il commence par dire que le lin et l'avoine brûlent la

terre.

Urit enim lini campum feges, urit avenæ.

Selon lui, les peuples qui habitent les climats de l'ourse font plongés dans une nuit éternelle, ou bien l'étoile du foir luit pour eux, quand nous avons l'aurore.

Illic (ut perhibent) aut intempefta filet nox
Semper, et obtentâ denfantur nocte tenebræ :
Aut redit à nobis aurora, diemque reducit ;
Nofque ubi primus equis oriens afflavit anhelis,
Illic fera rubens accendit lumina vefper.

On fait affez ce que font nos antipodes de l'Orient chez qui la nuit arrive, quand le foleil commence à luire pour nous, et non pas les peuples du Nord qui peuvent être fous le même méridien que nous.

N'entreprenez rien, dit-il, le cinquième jour de la lune: car c'eft le jour que les Titans combattirent contre les dieux.

Quintam fuge, &c.

Le dix-feptième jour de la lune eft très-heureux pour planter la vigne et pour dompter les bœufs.

Septima poft decimam felix, &c.

Les étoiles tombent du ciel dans un grand vent.

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Les cavales font fécondées par le zéphyr; leur matrice diftile le poifon de l'hippomane.

Tous les fleuves fortent du fein de la terre; et enfin les Géorgiques finiffent par faire naître des abeilles du cuir d'un taureau.

Quiconque en un mot croirait connaître la nature en lifant Lucrèce et Virgile, meublerait fa tête d'autant d'erreurs qu'il y en a dans les fecrets du petit Albert, ou dans les anciens almanachs de Liége. D'où vient donc que ces poëmes font fi eftimés? pourquoi font-ils lus avec tant d'avidité par tous ceux qui favent bien la langue latine? C'est à cause de leurs belles descriptions, de leur faine morale, de leurs tableaux admirables de la vie humaine. Le charme de la poëfie fait pardonner toutes les erreurs, et l'efprit pénétré de la beauté du ftyle ne fonge pas feulement fi on le trompe.

CHAPITRE

CHAPITRE X VI.

D'un homme qui fefait du falpêtre.

Il faudrait avoir toujours devant les yeux ce proverbe espagnol: De las cofas mas feguras, la mas fegura es dudar. Quand on a fait une expérience, le meilleur parti est de douter long-temps de ce qu'on a vu et de ce qu'on a fait.

En 1753, un chimifte allemand d'une petite province voifine de l'Alface, crut, avec apparence de raifon, avoir trouvé le fecret de faire aifément du falpêtre, avec lequel on composerait la poudre à canon à vingt fois meilleur marché, et beaucoup plus promptement. Il fit en effet de cette poudre; il en donna au prince, fon fouverain, qui en fit ufage à la chaffe. Elle fut jugée plus fine et plus agiffante que toute autre. Le prince, dans un voyage à Versailles, donna de la même poudre au roi, qui l'éprouva fouvent, et en fut toujours éga lement fatisfait. Le chimifte était fi sûr de fon fecret, qu'il ne voulut pas le donner à moins de dix-sept cents mille francs payés comptant, et le quart du profit pendant vingt années. Le marché fut figné ; le chef de la compagnie des poudres, depuis garde du tréfor royal, vint en Alface, de la part du roi, accompagné d'un des plus favans chimiftes de France. L'allemand opéra devant eux auprès de Colmar, et il opéra à ses propres dépens : c'était une nouvelle preuve de fa bonne foi. Je ne vis point les travaux; mais le garde du tréfor royal étant venu chez moi avec fon chimifte je lui dis que s'il ne payait les dix-fept cents mille Phyfique, &c. E e

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livres qu'après avoir fait du falpêtre, il garderait toujours fon argent. Le chimifte m'affura que le falpêtre fe ferait. Je lui répétai que je ne le croyais pas. Il me demanda pourquoi. C'eft que les hommes ne font rien lui dis-je. Ils uniffent et ils défuniffent; mais il n'appartient qu'à la nature de faire.

L'allemand travailla trois mois entiers, au bout defquels il avoua fon impuiffance. Je ne peux changer la terre en falpêtre, dit-il; je m'en retourne chez moi changer du cuivre en or: il partit, et fit de l'or comme il avait fait du falpêtre.

Quelle fauffe expérience avait trompé ce pauvre allemand, et le duc fon maître, et le garde du tréfor royal, et le chimifte de Paris, et le roi? La vcici:

Le tranfmutateur allemand avait vu un morceau de terre imprégnée de falpêtre, et il en avait tiré d'excellent, avec lequel il avait composé la meilleure poudre à tirer; mais il ne s'aperçut pas que ce petit terrain était mêlé des débris d'anciennes caves, d'anciennes écuries, et des reftes du mortier des murs. Il ne confidéra que la terre, et il crut qu'il suffisait de cuire une terre pareille pour faire le falpêtre le meilleur. (8)

(8) Le falpêtre eft un fel neutre, résultant de la combinaison de l'acide nitreux avec l'alcali fixe. Dans les pays feptentrionaux on trouve peu de terres qui fourniffent par la leffive, foit du falpêtre, foit des nitres à bale terreufe. Cependant on y eft parvenu à se procurer du falpêtre, en exposant à l'air, à l'abri de la pluie, des murs de terre calcaire, foit en arrofant ces murs avec des eaux chargees de matières végétales ou animales, foit même feulement en les plaçant auprès des habitations. L'air mephitique, produit par la décomposition des substances végétales et animales, paraît contribuer à la formation de l'acide nitreux, et les végétaux contribuent à lui donner une base alcaline. L'acide nitreux n'eft pas une fubftance fimple; mais les véritables élemens ne font pas

encore bien connus.

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