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Voilà donc, felon lui, notre Europe privée des Alpes et des Pyrénées et de toutes leurs branches. Mais en fuppofant cette chaîne de montagnes écroulée, difperfée sur notre continent, n'en élevera-t-elle pas la furface? cette furface ne fera-t-elle pas toujours au-deffus du niveau de la mer? comment la mer, en violant les lois de la gravitation et celle des fluides viendra-t-elle fe placer chez les Bafques fur les débris des Pyrénées? Que deviendront les habitans, hommes et animaux, quand l'Océan se fera emparé de l'Europe? Il faudra donc qu'ils s'embarquent pour aller chercher les terrains que les mers auront abandonnés vers l'Amérique. Car fi l'Océan prend chaque jour quelque chofe de nos habitations, il faudra bien qu'à la fin nous allions tous demeurer ailleurs. Defcendrons-nous dans les profondeurs de l'Océan, qui font en beaucoup d'endroits de plus de mille pieds? Mais quelle puiffance contraire à la nature commandera aux eaux de quitter ces profondes et immenfes vallées pour nous recevoir ?

Prenons la chose d'un autre biais. Presque tous les naturaliftes font perfuadés aujourd'hui que les dépôts de coquilles, au milieu de nos terres, font des monumens du long féjour de l'Océan dans les provinces où ces dépouilles fe font trouvées. Il y en a en France à quarante, à cinquante lieues des côtes de la mer. On en trouve en Allemagne, en Espagne, et fur-tout en Afrique. C'eft donc ici un événement tout contraire à celui qu'on a fuppofé d'abord: ce ne font plus les eaux du ciel qui détruifent peu à peu l'ouvrage de la mer, qui ramènent tout au niveau, et qui rendent notre terre à la mer. C'eft au contraire la mer qui s'eft retirée insensiblement, dans la fuite des fiècles, de la Bourgogne, de la

Champagne, de la Touraine, de la Bretagne, où elle demeurait, et qui s'en est allée vers le nord de l'Amérique. Laquelle de ces deux fuppofitions prendrons-nous? D'un côté on nous dit que l'Océan vient peu à peu couvrir les Pyrénées et les Alpes; de l'autre, on nous affure qu'il s'en retourne tout entier par degrés. Il est évident que l'un des deux fyftêmes est faux; et il n'eft pas improbable qu'ils le foient tous deux.

J'ai fait ce que j'ai pu jufqu'ici pour concilier avec lui-même le favant et éloquent académicien auteur auffi ingénieux qu'utile de l'Hiftoire naturelle. J'ai voulu rapprocher fes idées pour en tirer de nouvelles inftructions; mais comment pourrai-je accorder avec fon fyftême ce que je trouve au tome XII, page 10, dans fon difcours intitulé: Première vue de la nature? La mer irritée, dit-il, s'élève vers le ciel, et vient en mugiffant fe brifer contre des digues inébranlables, qu'avec tous fes efforts elle ne peut ni détruire ni furmonter. La terre élevée au-deffus du niveau de la mer eft à l'abri de fes irruptions. Sa furface émaillée de fleurs, parée d'une verdure toujours renouvelée, peuplée de mille et mille efpèces d'animaux differens, eft un lieu de repos, un féjour de délices, &c.

Ce morceau dérobé à la poëfie, femble être de Maffillon ou de Fénelon, qui fe permirent fi fouvent d'être poëtes en profe; mais certainement fi la mer irritée, en s'élevant vers le ciel, fe brise en mugiffant contre des digues inébranlables, fi elle ne peut furmonter ces digues avec tous ces efforts, elle n'a donc jamais quitté fon lit pour s'emparer de nos rivages; elle eft bien loin de fe mettre à la place des Pyrénées et des Alpes. C'eft non-feulement contredire ce fyftême

qu'on a eu tant de peine à étayer par tant de suppofitions, mais c'eft contredire une vérité reconnue de tout le monde; et cette vérité est que la mer s'eft retirée à plufieurs milles de ces anciens rivages, et qu'elle en a couvert d'autres; vérité dont on a étrangement abufé.

Quelque parti qu'on prenne, dans quelque fuppofition que l'efprit humain se perde, il eft poffible, il eft vraisemblable, il eft même prouvé que plufieurs parties de la terre ont fouffert de grandes révolutions. On prétend qu'une comète peut heurter notre globe en fon chemin et Triffotin dans les Femmes favantes n'a peutêtre pas tort de dire :

Je viens vous annoncer une grande nouvelle :
Nous l'avons en dormant, Madame, échappé belle;
Un monde près de nous a paffé tout du long
Eft chu tout au travers de notre tourbillon;
Et s'il eût en chemin rencontré notre terre,
Elle eût été brifée en morceaux comme verre.

La théorie des comètes n'était pas encore connue lorfque la comédie des Femmes favantes fut jouée à la cour en 1672. Il est très-certain que le concours de ces deux globes qui roulent dans l'efpace avec tant de rapidité, aurait des fuites effroyables, mais d'une toute autre nature que l'acheminement infenfible de l'Océan à l'endroit où eft aujourd'hui le mont SaintGothard, ou fon départ de Breft et de Saint-Malo pour fe retirer vers le pôle et vers le détroit de Hudson. Heureufement il fe paffera du temps avant que notre Europe foit fracaffée par une comète, ou engloutie par l'Océan.

N. B. Voyez dans le Dictionnaire philofophique les articles intitulés des coquilles et des fyftêmes bâtis fur des coquilles. Amas de coquilles. Obfervations importantes fur la formation des pierres et des coquilles. De la grotte des fées. Du falun de Touraine et de fes coquilles. Idée de Paliffi fur les coquilles prétendues. Du fyftême de Maillet, qui de l'infpection des coquilles, conclut que les poissons font les premiers pères des hommes. Ces articles fervaient de fuite à cet ouvrage-ci; on ne fait que les indiquer au lecteur, pour ne pas les imprimer deux fois.

CHAPITRE XII.

Des germes.

Des philofophes tâchèrent donc d'établir quelque

systême qui bannît les germes par lefquels les généra tions des hommes, des animaux et des plantes s'étaient perpétuées jufqu'à nos jours. C'eft en vain que nos yeux voient, et que nos mains manient les femences que nous jetons en terre; c'eft en vain que les animaux font tous évidemment produits par un germe : on s'eft plu à démentir la nature pour établir d'autres fyftêmes le fien.

que

Celui des animaux fpermatiques ne femble point contredire la phyfique; cependant on s'en eft dégoûté comme d'une mode. Il était très commun alors que tous les philofophes, excepté ceux de quatre-vingts ans, dérobaffent à l'union des deux fexes la liqueur féminale productrice du genre humain, et que dans cette liqueur on vît, à l'aide du microscope, nager les petits vers qui devaient devenir hommes, comme

on voit dans les étangs gliffer les têtards deftinés à être grenouilles.

Dans ce fyftême les mâles étaient les principaux dépofitaires de l'efpèce; au lieu que dans le fystême des œufs qui avait prévalu jusqu'alors, c'étaient les femelles qui contenaient en elles toutes les générations, et qui étaient véritablement mères. Le mâle ne fervait qu'à féconder les œufs, comme les coqs fécondent les poules. Ce fyftême des œufs avait un prodigieux avantage; celui de l'expérience journalière eft incontestable dans plufieurs espèces. Cependant on a fini par douter de l'un et de l'autre ; mais, foit que le mâle contienne en lui l'animal qui doit naître, foit que la femelle le renferme dans fon ovaire, et que la liqueur du mâle serve à fon développement, il eft certain que dans les deux cas il y a un germe et c'eft ce germe que l'amour de la nouveauté, la fureur des fyftêmes, et encore plus celle de l'amour propre, entreprirent de détruire.

L'auteur d'un petit livre intitulé la Vénus phyfique, imagina que tout fe fefait par attraction dans la matrice, que la jambe droite attirait à elle la jambe gauche, que l'humeur vitrée d'un œil, fa rétine, fa cornée, sa conjonctive étaient attirées par de femblables parties de l'autre œil. Perfonne n'avait jamais corrompu à cet inconcevable excès l'attraction démontrée par Newton dans des cas abfolument différens; une telle chimère était digne de l'idée de difféquer des têtes de géans pour connaître la nature de l'ame, et d'exalter cette ame pour prédire l'avenir. Cette folie ne fervit pas peu à décréditer l'efprit fyftématique, qui eft pourtant fi néceffaire au progrès des fciences, quand il n'eft que l'efprit d'ordre, et qu'il eft réglé par la raison.

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