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Il ne faut pas, fans doute, abufer des caufes finales: on ne doit pas dire comme monfieur le prieur dans le Spectacle de la nature, que les marées font données à l'Océan, pour que les vaiffeaux entrent plus aifément dans les ports, et pour empêcher que l'eau de la mer ne fe corrompe; car la Méditerranée n'a point de flux et de reflux, et fes eaux ne se corrompent point.

Pour qu'on puiffe s'affurer de la fin véritable pour laquelle une cause agit, il faut que cet effet foit de tous les temps et de tous les lieux. Il n'y a pas eu des vaiffeaux en tout temps et fur toutes les mers; ainfi l'on ne peut pas dire que l'Océan ait été fait pour les vaiffeaux. Nous avons remarqué ailleurs que les nez n'avaient pas été faits pour porter des lunettes, ni les mains pour être gantées; on fent combien il ferait ridicule de prétendre que la nature eût travaillé de tout temps pour s'ajufter aux inventions de nos arts arbitraires, qui tous ont paru fi tard; mais il eft bien évident que fi les nez n'ont pas été faits pour les béficles, ils l'ont été pour l'odorat, et qu'il y a des nez depuis qu'il y a des hommes. De même, les mains n'ayant pas été données en faveur des gantiers, elles font visiblement deftinées à tous les ufages que le métacarpe, les phalanges de nos doigts, et les mouvemens du muscle circulaire du poignet nous procurent.

Cicéron, qui doutait de tout, ne doutait pas pourtant des caufes finales.

Il paraît bien difficile fur-tout que les organes de la génération ne foient pas deftinés à perpétuer les efpèces. Ce mécanisme eft bien admirable; mais la fenfation que la nature a jointe à ce mécanisme eft plus admirable encore. Epicure devait avouer que le

plaifir eft divin, et que ce plaifir eft une caufe finale, par laquelle font produits fans ceffe ces êtres fenfibles qui n'ont pu fe donner la fenfation.

Cet Epicure était un grand homme pour fon temps; il vit ce que Defcartes a nié, ce que Gaffendi a affirmé, ce que Newton a démontré, qu'il n'y a point de mouvement fans vide. Il conçut la néceffité des atomes pour fervir de parties conftituantes aux espèces invariables. Ce font -là des idées très - philosophiques. Rien n'était fur-tout plus refpectable que la morale des vrais épicuriens elle confiftait dans l'éloignement des affaires publiques incompatibles avec la sagesse, et dans l'amitié, fans laquelle la vie eft un fardeau. Mais pour le refte de la physique d'Epicure, elle ne paraît pas plus admiffible que la matière cannelée de Defcartes.

Enfin, les chaînes des montagnes qui couronnent les deux hémisphères, et plus de fix cents fleuves qui coulent jusqu'aux mers du pied de ces rochers, toutes les rivières qui defcendent de ces mêmes réservoirs, et qui groffiffent les fleuves après avoir fertilifé les campagnes; des milliers de fontaines qui partent de la même fource, et qui abreuvent le genre animal et le végétal; tout cela ne paraît pas plus l'effet d'un cas fortuit et d'une déclinaifon d'atomes, que la rétine qui reçoit les rayons de la lumière, le criftallin qui les réfracte; l'enclume, le marteau, l'étrier, le tambour de l'oreille qui reçoit les fons; les routes du fang dans nos veines, la fyftole et la diaftole du cœur, ce balancier de la machine qui fait la vie,

CHAPITRE

ON

CHAPITRE X I.

De la formation des montagnes.

N ne s'eft pas contenté de dire que notre terre avait été originairement de verre; Maillet a imaginé que nos montagnes avaient été faites par le flux, le reflux et les courans de la mer.

Cette étrange imagination a été fortifiée dans l'Hiftoire naturelle imprimée au louvre, comme un enfant inconnu et expofé eft quelquefois recueilli par un grand feigneur; mais le public philofophe n'a pas adopté cet enfant, et il eft difficile à élever. Il eft trop visible que la mer ne fait point une chaîne de roches fur la terre. Le flux peut amonceler un peu de fable, mais le reflux l'emporte. Des courans d'eau ne peuvent produire lentement dans des fiècles innombrables une fuite immense de rochers néceffaires dans tous les temps. L'Océan ne peut avoir quitté fon lit, creusé par la nature, pour aller élever au-deffus des nues les rochers de l'Immaüs et du Caucafe. L'Océan une fois formé, une fois placé, ne peut pas plus quitter la moitié du globe pour se jeter fur l'autre, qu'une pierre ne peut quitter la terre pour aller dans la lune.

Sur quelles raifons apparentes appuiet on ce paradoxe? fur ce qu'on prétend que dans les vallées des Alpes les angles faillans d'une montagne à l'Occident, répondent aux angles rentrans d'une montagne à l'Orient. Il faut bien, dit-on, que les courans de la mer aient produit ces angles. La conclufion eft hasardée. Phyfique, &c. D d

Le fait peut être vrai dans quelques vallons étroits; il ne l'eft pas dans le grand baffin de la Savoie et du lac de Genève; il ne l'eft pas dans la grande vallée de l'Arno autour de Florence; mais à quelles branches ne fe prend-on pas quand on fe noie dans les systêmes? (6)

Il vaudrait autant avancer que les montagnes ont produit les mers, que de prétendre que les mers ont produit les montagnes.

Quel eft donc le véritable fyftême ? celui du grand Etre qui a tout fait, et qui a donné à chaque élément, à chaque espèce, à chaque genre fa forme, sa place, et fes fonctions éternelles. Le grand Etre qui a formé l'or et le fer, les arbres, l'herbe, l'homme et la fourmi, a fait l'Océan et les montagnes. Les hommes n'ont pas été des poiffons, comme le dit Maillet; tout a été probablement ce qu'il eft par des lois immuables. Je ne puis trop répéter que nous ne fommes pas des dieux qui puiffions créer un univers avec la parole.

Il est très-vrai que d'anciens ports font comblés, que la mer s'eft retirée de Carthage, de Rofette, des deux Cirtes, de Ravenne, de Fréjus, d'Aigues-mortes, &c. Elle a englouti des terrains; elle en a laiffé d'autres à découvert. On triomphe de ces phénomènes; on conclut que l'Océan a caché pendant des fiècles le mont Taurus et les Alpes fous fes flots. Quoi! parce que des atterriffemens auront reculé la mer de plufieurs

(6) La plupart des vallées qu'on a fuppofé avoir été formées par la mer, font évidemment l'ouvrage des torrens et des rivières qui y coulent ou qui y ont coulé autrefois; car on obferve fur les plateaux fupérieurs aux vallées où coulent ces fleuves, les dépôts où l'on retrouve les mêmes cailloux roulés que ces rivières entraînent.

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lieues, et qu'elle aura inondé d'un autre côté quelques terrains bas, on nous perfuadera qu'elle a inondé le continent pendant des milliers de fiècles! Nous voyons des volcans, donc tout le globe a été en feu. Des tremblemens de terre ont englouti des villes, donc tout l'univers a été la proie des flammes. Ne doit-on pas fe défier d'une telle conclufion? Les accidens ne font pas des règles générales.

L'illuftre et favant auteur de l'Hiftoire naturelle dit à la fin de la théorie de la terre, page 124: Ce font les eaux raffemblées dans la vafle étendue des mers, qui par le mouvement continuel du flux et du reflux, ont produit les montagnes, les vallées, &c.

Mais auffi voici comme il s'exprime, page 139: "Il y a fur la furface de la terre des contrées élevées " qui paraiffent être des points de partage marqués " par la nature pour la diftribution des eaux. Les

environs du mont Saint-Gothard font un de ces points " en Europe; un autre point eft le pays fitué entre les "provinces de Belozera et de Vologda en Ruffie, ,, d'où descendent des rivières dont les unes vont à la "mer Noire, et d'autres à la mer Cafpienne, &c.",

Il enfeigne donc ici que cette grande chaîne de montagnes, prolongée d'Espagne en Tartarie, est une pièce effentielle à la machine du monde. Il femble se contredire dans ces deux affertions; il ne fe contredit pourtant pas: car en avouant la néceffité des montagnes pour entretenir la vie des animaux et des végétaux, il suppose que les eaux du ciel détruisent peu à peu l'ouvrage et ramenant tout au niveau, rendront un jour notre terre à la mer, qui s'en emparera fucceffivement, en laiffant à découvert de nouveaux continens, &c.

de la mer,

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