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LA

CHAPITRE

De la pierre.

VII.

nature se joue à former autant de fortes de pierres que d'animaux ; elle produit des pierres qui reffemblent à des lentilles, et qu'on appelle lenticulaires, des cubes, des cailloux ronds, des pierres un peu reffemblantes à des langues, et qu'on a nommées gloffopètres ; d'autres qui ont la forme approchante d'un œuf; d'autres dont la figure eft celle de l'ourfin de mer; il y en a beaucoup de tournées en spirales; on leur a donné très-improprement le nom de cornes d'Ammon; car dans toutes les sciences on a eu la petite vanité d'impofer des noms fastueux aux chofes les plus communes. Ainfi les chimiftes ont appelé une préparation de plomb, du fucre de Saturne, comme un bourgeois ayant acheté une charge prend le titre de haut et puissant seigneur chez fon notaire.

J'ai vu de ces cornes d'Ammon qui paraiffent nouvellement formées, et qui ne font pas plus grandes que l'ongle du petit doigt; j'en ai vu d'à demi-formées, et qui pèfent vingt livres ; j'en ai vu qui font une voloute parfaite, d'autres qui ont la forme d'un ferpent entortillé sur lui-même, aucune qui ait l'air d'une corne. On a dit que ces pierres font l'ancien logement d'un poiffon qui ne fe trouve qu'aux Indes; que par conféquent la mer des Indes a couvert nos campagnes; nous en avons déjà parlé, et nous demandons encore fi cette manière d'expliquer la nature eft bien naturelle? (*)

(*) Voyez les notes de la Differtation fur les changemens arrivés dans notre globe.

Il y a des coquilles nommées concha Veneris, conques de Vénus, parce qu'elles ont une fente oblongue doucement arrondie aux deux bouts. L'imagination galante de quelques phyficiens leur a donné un beau titre; mais cette dénomination ne prouve pas que ces coquilles foient les dépouilles des dames.

CHAPITRE VIII.

Q

Du caillou.

UEL fuc pierreux forme ces cailloux de mille espèces différentes? Pourquoi dans plufieurs de nos campagnes ne voit-on pas un feul caillou, et que d'autres à peu de diftance en font couvertes? Pourquoi en Amérique, vers la rivière des Amazones, n'en trouve-t-on pas un feul dans l'espace de cinq cents lieues ?

Au milieu de nos champs nous découvrons souvent des cailloux énormes, depuis trois pieds jufqu'à vingt de diamètre ; et à côté il y en a qui paraissent auffi anciens et qui n'ont pas un demi-pouce d'épaiffeur ; d'autres n'ont que deux ou trois lignes de diamètre : leur pefanteur spécifique eft inégale: elle approche dans les uns de celle du fer, dans d'autres elle est moindre, et dans quelques-uns plus forte.

Quelque pefant, quelque opaque, quelque liffe qu'un caillou puiffe être, il eft percé comme un crible. Si l'or et les diamans ont autant et plus de pores que de fubftance, à plus forte raison le caillou eft-il percé dans toutes fes dimenfions; et un million d'ouvertures dans un caillou peut fournir autant d'afiles à des infectes

imperceptibles. C'eft un affemblage de parties homogènes dont résulte une maffe fouvent inébranlable au marteau; il est vitrifiable à la longue à un feu de fournaife, et on voit alors que fes parties conftituantes font une espèce de criftal; mais quelle force avait joint ces petits cristaux? d'où réfultait ce corps fi dur que le feu a divifé? Eft-ce l'attraction qui rendait toutes fes parties fi unies entre elles et fi compactes? Cette attraction démontrée entre le foleil et les planètes, entre la terre et fon fatellite, agit-elle entre toutes les parties, du globe, tandis qu'elle pénètre au centre du globe entier ? Eft-elle le premier principe de la cohésion des corps? est-elle avec le mouvement la première loi de la nature? C'eft ce qui paraît le plus probable; mais que cette probabilité eft encore loin d'une conviction. lumineuse !

I.

CHAPITRE IX.

De la roche.

Ly a plufieurs fortes de roches qui forment la chaîne des Alpes et des autres montagnes par lefquelles les Alpes fe rejoignent aux Pyrenées. Je ne parlerai dans cet article que de la fameuse opération d'Annibal fur le haut des Alpes. Une pointe de roche escarpée lui fermait le paffage. Il la rendit calcinable, ou du moins facile à divifer par le fer, en l'échauffant par un grand feu, et en y verfant du vinaigre.

Les fiècles fuivans ont douté de la poffibilité du fait. Tout ce que je fais, c'eft qu'ayant pris des éclats

d'une de ces roches à grains qui compofent la plus grande partie des Alpes, je les mis dans un vase rempli d'un vinaigre bouillant; ils devinrent en peu de minutes prefque friables comme du fable. Ils fe pulvérisèrent entre mes doigts. Il n'y a point d'enfant qui ne puisse faire l'expérience d'Annibal.

CHAPITRE X.

Des montagnes, de leur néceffité, et des caufes finales.

IL

Ly a une très grande différence entre les petites montagnes ifolées et cette chaîne continue de rochers qui règnent fur l'un et fur l'autre hémisphère. Les ifolées font des amas hétérogènes compofés de matières étrangères, entaffées fans ordre, fans couches régulières. On y trouve des reftes de végétaux, d'animaux terreftres et aquatiques, ou pétrifiés, ou friables, des bitumes, des débris de minéraux. Ce font pour la plupart des volcans, des éruptions de la terre, des excrefcences caufées par des convulfions; leurs fommets font rarement en pointes, leurs flancs contiennent des foufres qui s'allument.

La grande chaîne au contraire eft formée d'un roc continu, tantôt de roche dure, tantôt de pierre calcaire, tantôt de graviers. Elle s'élève et s'abaisse par intervalles. Ses fondemens font probablement auffi profonds que fes cimes font élevées. Elle paraît une pièce effentielle à la machine du monde, comme les os le font aux quadrupèdes et aux bipèdes. C'eft autour de leurs faîtes que s'affemblent les nuages et les neiges, qui de-là se

répandant fans ceffe, forment tous les fleuves et toutes les fontaines, dont on a fi long-temps et fi faussement attribué la fource à la mer.

Sur ces hautes montagnes dont la terre eft couronnée, point de coquilles, (*) point d'amas confus de végétaux pétrifiés, excepté dans quelques crevaffes profondes où le hasard a jeté des corps étrangers.

Les chaînes de ces montagnes qui couvrent l'un et l'autre hémisphère ont une utilité plus fenfible. Elles affermiffent la terre; elles fervent à l'arrofer; elles renferment à leurs bafes tous les métaux, tous les minéraux.

Qu'il foit permis de remarquer à cette occafion que toutes les pièces de la machine de ce monde femblent faites l'une pour l'autre. Quelques philofophes affectent de fe moquer des caufes finales rejetées par Epicure et par Lucrèce. C'eft plutôt, ce me femble, d'Epicure et de Lucrèce qu'il faudrait fe moquer. Ils vous difent que l'œil n'eft point fait pour voir; mais qu'on s'en est servi pour cet ufage, quand on s'eft aperçu que les yeux y pouvaient fervir. Selon eux, la bouche n'eft point faite pour parler, pour manger, l'eftomac pour digérer, le cœur pour recevoir le fang des veines et l'envoyer dans les artères, les pieds pour marcher, les oreilles pour entendre. Ces gens-là pourtant avouaient que les tailleurs leur fefaient des habits pour les vêtir, et les maçons des maisons pour les loger; et ils ofaient nier à la nature, au grand Etre, à l'Intelligence univerfelle ce qu'ils accordaient tous à leurs moindres ouvriers.

(*) Voyez la note 1 de la Differtation fur les changemens arrivés dans notre globe.

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