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CHAPITRE IV.

Des limaçons.

LA reproduction de ces polypes, qui fe fait comme

celle des peupliers et des faules, est bien moins merveilleufe que la renaiffance des têtes des limaçons de jardin à coquille. Qu'il revienne une tête à un animal affez gros, visiblement vivant, et dont le genre n'eft point équivoque, c'est-là un prodige inoui; mais un prodige qu'on ne peut contefter. Il n'y a point là de fuppofition à faire, point de microscope à employer, point d'erreurs à craindre. La raifon humaine, et fur-tout la raifon de l'école, eft confondue par le témoignage des yeux. On croit la tête dans tous les êtres vivans le principe, la caufe de tous les mouvemens, de toutes les sensations, de toutes les perceptions: ici c'eft tout le contraire. La tête qui va renaître reçoit du refte du corps, en quinze ou vingt jours, des fibres, des nerfs, une liqueur circulante qui tient lieu de fang, une bouche, des dents, des télescopes, des yeux, un cerveau, des fenfations, des idées; je dis des idées, car on ne peut fentir fans avoir une idée au moins confuse que l'on fent. Où fera donc déformais le principe de l'animal? Sera-t-on forcé de revenir à l'harmonie des Grecs? et dix mille volumes de métaphyfique deviendront-ils abfolument inutiles ?

Si du moins la reproduction de ces têtes pouvait forcer certains hommes à douter, les colimaçons auraient rendu un grand fervice au genre humain.

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Les huitres font un grand prodige pour nous, non LES ES pas pour la nature. Un animal toujours immobile, toujours folitaire, emprisonné entre deux murs auffi durs qu'il eft mou, qui fait naître fes femblables fans copulation, et qui produit des perles fans qu'on fache comment, qui femble privé de la vue, de l'ouïe, de l'odorat et des organes ordinaires de la nourriture: quelle énigme! On les mange par centaines fans faire la moindre réflexion fur leurs fingulières propriétés. Il faudrait faire fur elles les mêmes tentatives que fur les limaçons, leur couper fur leur rocher ce qui leur fert de tête, refermer ensuite leur écaille, et voir au bout d'un mois ce qui leur fera arrivé. Sont-elles des zoophytes? quelles bornes divifent le végétal et l'animal? où commence un autre ordre de chofes quelle chaîne lie l'univers? mais y a-t-il une chaîne ? ne voit - on pas une disproportion marquée entre les planètes et leurs distances; entre la nature brute et l'organisée; entre la matière végétante et la sensible ; entre la fenfible et la penfante ? Qui fait fi elles fe touchent? qui fait s'il n'y a pas entre elles un infini qui les fépare? qui faura jamais feulement ce que c'eft que la matière ?

JE

CHAPITRE V I.

Des abeilles.

E ne fais pas qui a dit le premier que les abeilles avaient un roi. Ce n'eft pas probablement un républicain à qui cette idée vint dans la tête.

Je ne fais pas qui leur donna enfuite une reine au lieu d'un roi, ni qui fuppofa le premier que cette reine était une Messaline qui avait un férail prodigieux, qui passait fa vie à faire l'amour et à faire fes couches, qui pondait et logeait environ quarante mille œufs par an. On a été plus loin, on a prétendu qu'elle pondait trois espèces différentes; des reines, des efclaves nommés bourdons, et des fervantes nommées ouvrières, ce qui n'eft pas trop d'accord avec les lois ordinaires de la nature.

On a cru qu'un phyficien, d'ailleurs grand obfervateur, inventa il y a quelques années les fours à poulets, inventés depuis environ cinq mille ans par les Egyptiens, ne confidérant pas l'extrême différence de notre climat et de celui d'Egypte. (4) On a dit encore que ce phyficien inventa de même le royaume des abeilles fous une reine, mère de trois espèces.

Tous les naturaliftes avaient avant lui répété cette invention. Enfin il eft venu un homme qui étant poffeffeur

(4) Ces fours à poulets, renouvelés par M. de Réaumur, ne furent entre fes mains qu'une expérience curieuse; on a fait depuis des expériences fur la manière de donner à tous ces œufs dans ces fours une chaleur égale et constante, fur les moyens d'empêcher ces œufs de fe deffècher par la chaleur, en produisant dans le lieu où ils font renfermés un certain degré d'humidité par ces précautions cette méthode eft devenue plus sûre, on ne perd que très-peu de poulets, et elle peut être employée avec profit dans le voifinage des grandes villes.

de fix cents ruches, a mieux examiné fon bien que ceux qui, n'ayant point d'abeilles, ont copié des volumes fur cette république industrieuse, qu'on ne connaît guère mieux que celle des fourmis. Cet homme eft M. Simon qui ne fe pique de rien, qui écrit très-fimplement; mais qui recueille comme moi du miel et de la cire. Il a de meilleurs yeux que moi ; il en fait plus que M. le prieur de Jonval, et que M. le comte du Spectacle de la nature: il a examiné fes abeilles pendant vingt années; il nous affure qu'on s'eft moqué de nous, et qu'il n'y a pas un mot de vrai dans tout ce qu'on a répété dans tant de livres.

Il prétend qu'en effet il y a dans chaque ruche une espèce de roi et de reine qui perpétuent cette race royale et qui préfident aux ouvrages; il les a vus, il les a deffinés, et il renvoie aux Mille et une nuits et à l'Hiftoire de la reine d'Achem la prétendue reine abeille avec fon férail. Il y a enfuite la race des bourdons, qui n'a aucune relation avec la première, et enfin la grande famille des abeilles ouvrières partagée en mâles et en femelles, qui forment le corps de la république. Ce font les abeilles femelles qui dépofent leurs œufs dans les cellules qu'elles ont formées.

Comment en effet la reine feule pourrait-elle pondre et loger quarante mille œufs l'un après l'autre ? Il est très-vraisemblable que M. Simon a raifon. Le fyftême le plus fimple eft presque toujours le véritable. Je me foucie d'ailleurs fort peu du roi et de la reine. J'aurais mieux aimé que tous ces raisonnemens m'euffent appris à guérir mes abeilles, dont la plupart moururent, il y a deux ans, pour avoir trop fucé des fleurs de tilleul. (5)

(5) Il reste encore de grandes obscurités fur la génération des abeilles, malgré les recherches d'une føciété économique établic en Luface, et qui a fait de l'observation des abeilles l'objet principal de fes travaux. L'opinion

On nous a trompés fur tous les objets de notre curiofité, depuis les éléphans jufqu'aux abeilles et aux fourmis, comme on nous a donné des contes arabes pour l'histoire depuis Séfoftris jufqu'à la donation de Conftantin, et depuis Conftantin et son labarum jusqu'au pacte que le maréchal Fabert fit avec le diable. Presque tout eft obfcurité dans les origines des animaux, ainfi que dans celles des peuples ; mais quelque opinion qu'on embraffe fur les abeilles et fur les fourmis, ces deux républiques auront toujours de quoi nous étonner et de quoi humilier notre raison. Il n'y a point d'infecte qui ne foit une merveille inexplicable.

On trouve dans les proverbes attribués à Salomon qu'il y a quatre chofes qui font les plus petites de la terre, et qui font plus fages que les fages. Les fourmis, petit peuple qui Je prépare une nourriture pendant la moissɔn; le lièvre, peuple faible qui couche fur des pierres ; la fauterelle, qui, n'ayant pas de rois, voyage par troupes ; le lézard qui travaille de fes mains, et qui demeure dans les palais des rois. J'ignore pourquoi Salomon a oublié les abeilles, qui paraissent avoir un inftinct bien fupérieur à celui des lièvres, qui ne couchent point fur la pierre, et des lézards dont j'ignore le génie. Au furplus, je préférerai toujours une abeille à une fauterelle.

de M. de Réaumur eft la plus vraisemblable, à cela près qu'il paraît que les mâles ne fécondent les œufs qu'hors du corps de la femelle, et lorfqu'ils font déposés dans leurs cellules; ce qui explique l'usage de cette grande quantité de mâles.

Quant à l'opinion de M. Simon, elle n'a jamais eu de partisans parmi les obfervateurs exacts. Il reste à examiner fi la difference entre la reine femelle et les ouvrières tient à ce qu'elles naiffent de germes différens, ou feulement à ce qu'elles font élevées dans des cellules plus ou moins grandes: on ignore également pourquoi il y a dans les ruches deux espèces de bourdons.

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