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ne peut pénétrer l'infini. Un fétu fuffit pour nous démontrer notre impuiffance. Il nous eft donné de mesurer, calculer, pefer et faire des expériences; mais fouvenonsnous toujours que le fage Hippocrate commença ses aphorismes par dire que l'expérience eft trompeufe; et qu'Ariftote commença sa métaphysique par ces mots, qui cherche à s'inftruire doit favoir douter.

Pour voir de quels effets étonnans la nature eft capable, examinons quelques-unes de fes productions qui font fous nos mains, et cherchons (en doutant) quels résultats évidens nous en pourrions former.

CHAPITRE PREMIER.

Des pierres figurées.

Ces pierres, foit agates, foit espèces de marbres et de

ES

cailloux, font fort communes; on les appelle dendrites, quand elles représentent des arbres; herborisées ou arborifées, lorfqu'elles ne figurent que de petites plantes; zoomorfites, quand le jeu de la nature leur a imprimé la reffemblance imparfaite de quelques animaux. On pourrait nommer domatiftes celles qui représentent des maisons. Il y en a quelques-unes de cette espèce très-étonnantes. J'en ai vu une fur laquelle on difcernait un arbre chargé de fruits, et une face d'homme très-mal deffinée, mais reconnaiffable.

Il eft clair que ce n'eft ni un arbre, ni une maison qui a laiffé l'empreinte de fon image fur ces petites pierres dans le temps qu'elles pouvaient avoir de la moleffe et de la fluidité. Il eft évident qu'un homme n'a pas laiffé fon

visage

vifage fur une agate. Cela feul démontre que la nature exerce dans le genre des foffiles, comme dans les autres, un empire dont nous ne pouvons révoquer en doute la puissance ni démêler les refforts.

Dire qu'on a vu fur ces dendrites des empreintes de feuilles d'arbres qui ne croiffent qu'aux Indes, n'eft-ce pas avancer une chofe peu prouvée? (1) Une telle fiction n'eft-elle pas la fuite du roman imaginé par quelques-uns, que la mer des Indes eft venue autrefois en Allemagne, dans les Gaules et dans l'Espagne ? Les Huns et les Goths y font bien venus: oui; mais la mer ne voyage pas comme les hommes. Elle gravite éternellement vers le centre du globe. Elle obéit aux lois de la nature. Et quand elle aurait fait ce voyage, comment aurait-elle apporté des feuilles des Indes pour les dépofer fur des agates de Bohême ? Nous commençons par cette observation, parce qu'elle nous fervira plus qu'aucune autre à nous défier de l'opinion que les petits poiffons des mers les plus éloignées font venus habiter les carrières de Montmartre et les fommets des Alpes et des Pyrenées. Il y a eu, fans doute, de grandes révolutions fur ce globe; mais on aime à les augmenter: on traite la nature comme l'histoire ancienne, dans laquelle tout eft prodige.

(1) Il y a des dendrites qui font véritablement des empreintes de plantes; d'autres font produites par des parties métalliques depofées fur ces pierres ou dans leur intérieur ; d'autres font formées par des bulles d'air. Quant aux pays des plantes qui ont produit ces impreffions, on doit être très-réservé à en decider : la plupart n'ont point de caractères specifiques bien certains, et nous ne connaiffons point toutes les espèces de nos climats. Les botaniftes font chaque année des découvertes en ce genre.

Phyfique, &c.

Cc

CHAPITRE II.

EST-ON

Du corail.

ST-ON bien sûr que le corail foit une production d'infectes, comme il eft indubitable que la cire eft l'ouvrage des abeilles ? On a trouvé de petits infectes dans les pores du corail; mais où n'en trouve-t-on pas ? Les creux de tous les arbres en fourmillent, les vieilles murailles font tapiffées de républiques; mais ces petits animaux n'ont pas formé les murailles et les arbres. On ferait bien mieux fondé, fi on voyait un vieux fromage de Saffenage pour la première fois, à fuppofer que les mites innombrables qu'il renferme ont produit ce fromage.

Un de ceux qui ont dit que les coraux étaient compofés de petits vers, prétendit en même temps que les turquoises étaient faites d'offemens de morts, parce qu'on avait découvert quelques turquoises imparfaites auprès d'un ancien cadavre. Il fe pourrait bien que les coraux ne fuffent pas plus l'ouvrage d'un ver que la turquoise n'eft l'ouvrage d'un os de mort.

Mille infectes viennent fe loger dans les éponges fur le bord de la mer; mais ces infectes ont-ils produit les éponges ? De très-habiles naturalistes croient le corail un logement que des infectes fe font bâti. D'autres s'en tiennent à l'ancienne opinion que c'eft un végétal, et le témoignage des yeux eft en leur faveur. (2)

(2) La découverte que le corail eft la production d'une espèce de polypes marins eft de M. Peiffonel; de favans naturalistes le nièrent, elle a été confirmée depuis par M. de Juffieu; et en fefant diffoudre ces fubftances dans un acide affaibli, on parvient à séparer la partie terreuse du réseau animal qui lui fert de base.

Les turquoises paraiffent devoir leur origine à des os colorés par une chaux métallique ; cela eft même prouvé pour quelques-unes de ces pierres.

CHAPITRE I I I.

EST-IL

Des polypes.

ST-IL bien avéré que les lentilles d'eau qu'on a nommées polypes d'eau douce, foient de vrais animaux? Je me défie beaucoup de mes yeux et de mes lumières; mais je n'ai jamais pu apercevoir jufqu'à présent dans ces polypes que des espèces de petits joncs très-fins qui femblent tenir de la nature des fenfitives. L'héliotrope ou la fleur au foleil, qui souvent se tourne d'elle-même du côté de cet aftre, a pu paraître d'abord un phénomène auffi extraordinaire que celui des polypes. La mimofe des Indes, qui femble imiter le mouvement des animaux, n'est pourtant point dans le genre animal. La petite progreffion très-lente et très-faible qu'on remarque dans les polypes nageant dans un gobelet d'eau, n'approche pas de la progreffion beaucoup plus rapide et plus vifible des petites pierres plates qui defcendent des bords d'un plat dans le milieu, quand ce plat eft rempli de vinaigre. Les bras du polype pourraient bien n'être que des ramifications, fes têtes de fimples boutons, fon eftomac des fibres creufes, fes mouvemens des ondulations de ces fibres. Les petits infectes que cette plante femble quelquefois avaler, peuvent entrer dans sa substance pour s'y nourrir et y périr, auffi-bien qu'être attirés par cette fubftance pour être mangés par elle. Le polype fubfifte très-bien fans que ces petits infectes tombent dans fes fibres; il n'a donc pas befoin d'alimens: on peut donc croire qu'il n'eft qu'une plante. Ce qu'on a pris pour fes œufs peut n'être que de la graine. Sa reproduction par、 bouture paraît indiquer que c'eft une fimple plante,

Enfin il jette des rameaux quand on l'a retourné comme on retourne un gant: certainement la nature ne l'a pas fait pour être ainfi retourné par nos mains; et il n'y a rien là qui fente l'animalité.

Feu M. Dufey avait fur fa cheminée une belle garniture de polypes de la grande espèce dans des vafes. Ses parens et moi, nous regardions de tous nos yeux, et nous lui difions que nous reffemblions à Sancho Pança, qui ne voyait que des moulins à vent où fon maître voyait des géans armés. Notre incrédulité ne doit pourtant pas dépouiller ces polypes de la dignité d'animaux. Des expériences frappantes dépofent pour eux. Je ne prétends pas leur ravir leurs titres; mais ont-ils la fenfibilité et la perception qui diftinguent le règne animal du végétal ? Reconnaiffons-nous pour nos confrères des êtres qui n'ont pas avec nous la moindre reffemblance? Certainement le flûteur de M. Vaucanfon a plus l'air d'un homme qu'un polype n'a l'air d'un animal. Peut-être devrait-on n'accorder la qualité d'animal qu'aux êtres qui feraient toutes les fonctions de la vie, qui manifefteraient du fentiment, des défirs, des volontés et des idées.

Il eft bon de douter encore, jufqu'à ce qu'un nombre fuffifant d'expériences réitérées nous ait convaincus que ces plantes aquatiques font des êtres doués de fentiment, de perception, et des organes qui conftituent l'animal réel. La vérité ne peut que gagner à attendre. (3)

(3) Voyez l'ouvrage de M. Trembley fur les polypes. Il résulte de fes obfervations que les polypes donnent des fignes d'irritabilité et de fpontanéité dans leurs mouvemens ; que leur manière de fe nourrir eft plus analogue à celle des animaux qu'à celle des plantes. Mais pourquoi n'y aurait-il pas des êtres organifés qui ne feraient ni végétaux ni animaux? D'ailleurs il faut s'en tenir aux faits; et pourvu qu'on connaisse avec exactitude les phénomènes des polypes, il eft très-peu important de favoir dans quelle claffe on doit les ranger.

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