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Dieu, dit-il, ce Dieu doit être la bonté même : qui m'a donné l'être me doit le bien-être or je ne vois dans le genre humain que défordre et calamité : la néceffité d'une matière éternelle me répugne moins qu'un créateur qui traite fi mal fes créatures. On ne peut fatisfaire, continue-t-il, à mes juftes plaintes et à mes doutes cruels, en me difant qu'un premier homme, compofé d'un corps et d'une ame, irrita le créateur, et que le genre humain en porte la peine; car, premièrement, fi nos corps viennent de ce premier homme, nos ames n'en viennent point; et quand même elles en pourraient venir, la punition du père dans tous les enfans paraît la plus horrible de toutes les injuftices. Secondement, il femble évident que les Américains et les peuples de l'ancien monde, les Nègres et les Lapons ne font point defcendus du même homme. La conftitution intérieure des Nègres en eft une démonftration palpable; nulle raifon ne peut donc apaiser les murmures qui s'élèvent dans mon cœur contre les maux dont ce globe eft inondé. Je fuis donc forcé de rejeter l'idée d'un Etre suprême d'un créateur que je concevrais infiniment bon, et qui aurait fait des maux infinis; j'aime mieux admettre la néceffité de la matière, et des générations et des viciffitudes éternelles, qu'un Dieu qui aurait fait librement des malheureux.

On répond à cet athée : Le mot de bon, de bien-être, eft équivoque. Ce qui eft mauvais par rapport à vous eft bon dans l'arrangement général. L'idée d'un Etre infini, tout puiffant, tout intelligent et préfent par tout, ne révolte point votre raifon. Nierez-vous un Dieu parce que vous aurez eu un accès de fièvre ? Il vous

devait le bien-être, dites-vous : quelle raison avez-vous de penser ainfi ? Pourquoi vous devait-il ce bien-être ? quel traité avait-il avec vous ? Il ne vous manque donc que d'être toujours heureux dans la vie pour reconnaître un Dieu ? Vous qui ne pouvez être parfait en rien, pourquoi prétendriez-vous être parfaitement heureux ? Mais je fuppofe que dans un bonheur continu de cent années, vous ayez un mal de tête; ce moment de peine vous fera-t-il nier un créateur ? Il n'y a pas d'apparence. Or fi un quart d'heure de fouffrance ne vous arrête pas, pourquoi deux heures, pourquoi un jour, pourquoi une année de tourmens vous feront-ils rejeter l'idée d'un artisan suprême et univerfel?

Il eft prouvé qu'il y a plus de bien que de mal dans ce monde, puifqu'en effet peu d'hommes fouhaitent la mort; vous avez donc tort de porter des plaintes, au nom du genre humain, et plus grand tort encore de renier votre fouverain, fous prétexte que quelques-uns de fes fujets font malheureux.

On aime à murmurer : il y a du plaifir à fe plaindre; mais il y en a plus à vivre. On se plaît à ne jeter la vue que fur le mal et à l'exagérer. Lifez les hiftoires, nous dit-on; ce n'eft qu'un tiffu de crimes et de malheurs. D'accord, mais les hiftoires ne font que le tableau des grands événemens. On ne conferve que la mémoire des tempêtes; on ne prend point garde au calme. On ne fonge pas que depuis cent ans il n'y a pas eu une fédition dans Pékin, dans Rome, dans Venife, dans Paris, dans Londres ; qu'en général il y a plus d'années tranquilles dans toutes les grandes villes que d'années orageuses; qu'il y a plus de jours innocens et fereins,

que de jours marqués par de grands crimes et par de grands défaftres.

Lorfque vous avez examiné les rapports qui fe trouvent dans les refforts d'un animal, et les deffeins qui éclatent de toutes parts dans la manière dont cet animal reçoit la vie, dont il la foutient, et dont il la donne, vous reconnaissez fans peine cet artifan fouverain. Changerez-vous de fentiment, parce que les loups mangent les moutons, et que les araignées prennent des mouches? Ne voyez-vous pas au contraire que ces générations continuelles, toujours dévorées et toujours reproduites, entrent dans le plan de l'univers ? J'y vois de l'habileté et de la puiffance, répondez-vous, et je n'y vois point de bonté. Mais quoi ! lorfque dans une ménagerie vous élevez des animaux que vous égorgez, vous ne voulez pas qu'on vous appelle méchant; et vous accufez de cruauté le maître de tous les animaux, qui les a faits pour être mangés dans leurs temps! Enfin, si vous pouvez être heureux dans toute l'éternité, quelques douleurs dans cet inftant paffager, qu'on nomme la vie, valent-elles la peine qu'on en parle ? et fi cette éternité n'eft pas votre partage, contentez-vous de cette vie, puifque vous l'aimez.

Vous ne trouvez pas que le créateur foit bon, parce qu'il y a du mal fur la terre. Mais la néceffité, qui tiendrait lieu d'un Etre fuprême, ferait-elle quelque chofe de meilleur ? Dans le fyftême qui admet un Dieu, on n'a que des difficultés à furmonter, et dans tous les autres fyftêmes on a des abfurdités à dévorer.

La philofophie nous montre bien qu'il y a un Dieu; mais elle eft impuiffante à nous apprendre ce qu'il eft, ce qu'il fait, comment et pourquoi il

le

le fait; s'il eft dans le temps, s'il eft dans l'efpace, s'il a commandé une fois, ou s'il agit toujours, et s'il eft dans la matière, s'il n'y eft pas, &c. &c. Il faudrait être lui-même pour le favoir.

CHAPITRE II.

DE L'ESPACE ET DE LA DURÉE COMME PROPRIÉTÉS DE DIEU.

Sentiment de Leibnitz. Sentiment et raifons de Newton. Matière infinie impoffible. Epicure devait admettre un Dieu créateur et gouverneur. Propriétés de l'espace pur

et de la durée.

NEWTON

WTON regarde l'espace et la durée comme deux êtres, dont l'exiftence fuit néceffairement de DIE U même; car l'Etre infini eft en tout lieu, donc tout lieu exifte: l'Etre éternel dure de toute éternité, donc une éternelle durée eft réellc.

Il était échappé à Newton de dire à la fin de fes queflions d'optique : Ces phénomènes de la nature ne font-ils pas voir qu'il y a un être incorporel, vivant, intelligent, préfent par-tout, qui dans l'espace infini, comme dans fon fenforium, voit, difcerne et comprend tout de la manière la plus intime et la plus parfaite?

Le célèbre philofophe Leibnitz, qui avait auparavant reconnu avec Newton la réalité de l'espace pur et de la durée, mais qui depuis long-temps n'était plus d'aucun avis de Newton, et qui s'était mis en Allemagne Phyfique, &c.

C

à la tête d'une école oppofée, attaqua ces expreffions du philofophe anglais, dans une lettre qu'il écrivit, en 1715, à la feue reine d'Angleterre, épouse de George II. Cette princeffe, digne d'être en commerce avec Leibnitz et Newton, engagea une difpute réglée par lettres entre les deux parties. Mais Newton, ennemi de toute difpute, et avare de fon temps, laiffa le docteur Clarke fon difciple en phyfique, et pour le moins fon égal en métaphyfique, entrer pour lui dans la lice. La difpute roula fur prefque toutes les idées métaphyfiques de Newton; et c'est peut-être le plus beau monument que nous ayons des combats littéraires.

Clarke commença par juftifier la comparaison prise du fenforium, dont Newton s'était fervi; il établit que nul être ne peut agir, connaître, voir où il n'eft pas ; or DIEU agiffant, voyant par-tout, agit et voit dans tous les points de l'efpace, qui en ce fens feul peut être confidéré comme fon fenforium, attendu l'impoffibilité où l'on eft en toute langue de s'exprimer quand on ofe parler de DIE U. Leibnitz foutient que l'espace n'eft rien, finon la relation que nous concevons entre les êtres co-exiftans; rien, finon l'ordre des corps, leur arrangement, leurs diftances, &c. Clarke, après Newton, foutient que fi l'espace n'est pas réel, il s'enfuit une abfurdité; car fi DIEU avait mis la terre, la lune et le foleil à la place où font les étoiles fixes, pourvu que la terre, la lune et le foleil fuffent entre eux dans le même ordre où ils font, il fuivrait de-là que la terre, la lune et le foleil, feraient dans le même lieu où ils font aujourd'hui ; ce qui eft une contradiction dans les termes.

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