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Que dois-je penser de cette expérience? S'il eft vrai, comme le dit M. de Réaumur dans les mémoires de 1726, Page 273. que le fer augmente de volume en passant de l'état de fufion à celui de folidité, il doit donc avoir une pesanteur spécifique moindre dans l'état de folidité, et cependant le voilà qui, folide, pèfe beaucoup plus que fluide; voilà quatre livres d'augmentation fur cent, quand la surface eft devenue plus large, et que le feu dont il était pénétré s'eft échappé pendant plus de fix heures.

Cette augmentation de volume et cette perte de fa fubftance devraient concourir à le faire pefer bien moins; l'air dans lequel on le pèse froid, étant alors plus dense, devrait diminuer encore un peu le poids de ce métal; malgré tout cela, ce métal pèse toujours beaucoup plus étant refroidi qu'en fufion.

Or, en fufion, il contenait incomparablement plus de feu qu'étant refroidi; donc il femble qu'on doive conclure que cette prodigieufe quantité de feu n'avait aucune pefanteur; donc il eft très-poffible que cette augmentation de poids foit venue de la matière répandue dans l'atmofphère; donc dans toutes les autres opérations par lefquelles les matières calcinées acquièrent du poids, cette augmentation de substance pourrait auffi leur être venue de la même cause, et non de la matière ignée. Toutes ces confidérations m'obligent à refpecter l'opinion que le feu ne pèse point.

Mais, d'un autre côté, je confidère que cette augmentation apparente de volume dans le fer, lorfque de fondu il devient folide, eft due très-vraisemblablement à la dilatation des vafes et des moules dans lefquels on le répand, qui fe contractent avant que le fer fe foit refferré; et fi cela eft, je conclus que le fer en fufion, dilaté, doit

en effet peser spécifiquement moins, et folide doit pefer en raifon de fon volume.

J'obferve auffi qu'il en eft de même de tous les métaux en fufion, qu'ils doivent tous pefer folides plus que fluides, fans que cet excès de pefanteur dans les métaux refroidis vienne d'aucune addition de matière étrangère.

Je vois que, fi le plomb, l'étain, le cuivre, &c. pèsent moins en fufion que refroidis, ils acquièrent au contraire du poids dans la calcination.

Maintenant de deux chofes l'une; ou dans cette calcination la matière acquiert un moindre volume, confervant la même maffe, et alors par cela feul elle doit pefer un peu davantage, ou bien fans avoir un moindre volume, elle acquiert plus de maffe : ce furplus de masse lui vient ou du feu, ou de quelque autre matière. Il n'eft pas probable que cent livres de plomb acquièrent dix livres de feu. Il n'y a peut-être pas dix livres de feu dans tout ce que l'on brûle en un jour fur la terre; mais auffi il n'eft pas probable que le feu ne contribue en rien à cette addition de poids.

Je joins à cette probabilité, qu'il n'y a d'ailleurs aucune raison pour priver l'élément du feu de la pesanteur qu'ont les autres élémens, et je conclus qu'il eft trèsprobable que le feu eft pefant. (2)

(2) Plufieurs phyficiens ont répété depuis les expériences fur la différence de poids qu'on peut foupçonner entre une maffe de métal rouge et la même maffe refroidie, et ils ont trouvé des conclufions opposées, ce qui devait arriver, parce que cette difference eft néceffairement très-petite, imperceptible dans de petites maffes, et fort au-deffous de l'erreur qu'on peu commettre en pefant des maffes confidérables.

Quant à l'augmentation de poids des métaux calcinés, la conjecture de M. de Voltaire, page 270, a été confirmée par des expériences non douteuses. On fait à préfent qu'il fe combine avec les métaux pendant la calcination unc certaine quantité d'air vital ou air déphlogistiqué de Prieftlei

Les philofophes qui refusent au feu l'impénétrabilité ne manqueront pas encore de raifons. Il eft conftaté, diront-ils, que la lumière eft du feu, que ce feu vient à nos yeux, que fes traits, fes rayons font colorés, c'eftà-dire, que les rayons producteurs du rouge doivent toujours donner la sensation du rouge, &c.

Or, cela pofé, vous regardez deux points, dont l'un eft rouge et l'autre bleu ; non-feulement les rayons bleus et rouges fe croifent néceffairement avant d'arriver à vos yeux; mais dans ce point d'interfection, il paffe encore une infinité de rayons de l'atmofphère; réuniffez encore dans ce même point tous les rayons réfléchis d'un miroir concave, et tous ceux d'un verre lenticulaire qui lui fera oppofé, vous n'en verrez toujours que plus vivement le point rouge et le point bleu; ces deux traits de feu viendront toujours à vos yeux dans leur même direction, à travers ces mille millions de traits qui pénètrent leur furface: le feu ne femble donc pas impénétrable.

Le feu, fuivant l'idée de ces philofophes, ferait donc une substance qui aurait quelques attributs de la matière, et qui ne ferait pas en effet matière. Il aurait la divifibilité, la mobilité, l'étendue; mais il n'aurait ni la gravitation vers un centre, ni l'impénétrabilité, caractère plus inhérent dans la matière que la gravitation.

Il agirait fur les corps, fans être entièrement de la nature des corps; ce qui ne ferait pas incompatible. Il ferait dans l'ordre des êtres une fubftance mitoyenne entre les corps plus groffiers que lui, et d'autres substances plus pures que lui : il tiendrait à ceux-ci par la pénétrabilité

qui en augmente le poids. C'est par cette raifon que la calcination des métaux eft impoffible dans les vaiffeaux clos, quelque violent que foit le feu qu'on leur applique.

et

et par fa liberté de n'être entraîné vers aucun centre : il tiendrait aux autres par fa divisibilité, par fon mouvement; semblable en ce fens à ces fubstances qui semblent marquer les bornes de ces efpèces qui ne font ni animaux ni végétaux absolus, et qui semblent être les degrés par lefquels la nature paffe d'un genre à un autre. On ne peut pas dire que cette chaîne des êtres foit fans vraisemblance, et cette idée, qui agrandit l'univers, n'en ferait par-là que plus philofophique.

Cependant, quoiqu'aucune expérience ne femble encore avoir conftaté invinciblement la pefanteur et l'impénétrabilité du feu, il paraît qu'on ne peut se difpenfer de les admettre.

A l'égard de la pefanteur, les expériences lui font au moins très-favorables.

A l'égard de l'impénétrabilité, elle paraît plus certaine : car le feu eft corps, fes parties font très-folides puifqu'elles divifent les corps les plus folides, puifque l'aiguille d'une bouffole tourne au foyer d'un verre ardent, &c.

La folidité emporte néceffairement l'impénétrabilité. Il eft vrai que les traits de feu qu'on nomme rayons de lumière, fe croisent; mais ils peuvent très-bien se croiser sans se pénétrer: car tout corps ayant incomparablement plus de pores que de matière, ces traits de feu passent, non pas dans la fubftance folide des parties élémentaires les unes des autres, ce qui ferait incompréhenfible, mais dans les pores les uns des autres; et non-feulement ils peuvent se croifer ainsi, mais ils fe croifent l'un par deffus l'autre comme des bâtons ; et de-là vient, pour le dire en passant, que deux hommes ne voient jamais le même point phyfique, le même minimum visible.

Phyfique, &c.

S

Il paraît donc enfin qu'on doit admettre que le feu a toutes les propriétés primordiales connues de la matière. Voyons fes propriétés particulières et d'où elles dépendent, pour tâcher de connaître quelque chofe de fa nature. I I I.

ARTICLE

Quelles font les autres propriétés générales du feu.

LES

Es deux attributs qui caractérisent le feu étant de brûler et d'éclairer, d'où lui viennent ces deux attributs, et quelles autres propriétés en résultent?

SECTION PREMIER E.

D'où le feu a-t-il le mouvement?

LE
Le feu ne peut éclairer, échauffer, brûler que par le

E

mouvement de fes parties; d'où ce mouvement lui viendrat-il? fera-ce de quelqu'autre matière plus ténue, plus fluide encore? mais d'où cette autre matière aura-t-elle fon mouvement ? Pourquoi cette matière ne fera-t-elle pas elle-même les mêmes effets que le feu ? Pourquoi recourir à une autre matière qu'on ne connaît pas ?

Cette autre matière agirait ou dans le plein abfolu, ou dans le vide; fi elle est supposée dans le plein, cette suppofition eft expofée à d'étranges contradictions: comment une étincelle de feu, venant de Sirius jusqu'à nous, dérangera-t-elle ce plein prodigieux? comment un rayon de foleil percera-t-il plus de trente millions de lieues en huit minutes? D'ailleurs quelle foule d'objections contre

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