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raifon directe de la maffe des corps. Elle agit, en effet, tellement felon la maffe des corps, non felon les furfaces, qu'un morceau d'or, réduit en poudre, defcend dans la machine pneumatique auffi vîte que la même quantité d'or étendue en feuille. La figure des corps ne change ici en rien leur gravité; ce pouvoir de gravitation agit donc fur la nature interne des corps, et non en raison des fuperficies.

On n'a jamais pu répondre à ces vérités preffantes que' par une fuppofition auffi chimérique que les tourbillons On fuppofe que la matière fubtile prétendue, qui remplit tout le récipient, ne pèse point. Etrange idée, qui devient abfurde ici; car il ne s'agit pas dans le cas préfent d'une matière qui ne pèse pas, mais d'une matière qui ne résiste pas. Toute matière réfifte par fa force d'inertie; donc fi le récipient était plein, la matière quelconque qui le remplirait rélifterait infiniment: cela paraît démontré en rigueur.

Ce pouvoir ne réfide point dans la prétendue matière fubtile dont nous parlerons au chapitre fuivant; cette matière ferait un fluide. Tout fluide agit fur les folides en raifon de leur fuperficie; ainfi le vaiffeau préfentant moins de furface par fa proue, fend la mer, qui réfifterait à fes flancs. Or, quand la fuperficie d'un corps eft le quarré de fon diamètre, la folidité de ce corps eft le cube de ce même diamètre : le même pouvoir ne peut agir à la fois en raison du cube et du quarré; donc la pefanteur, la gravitation n'est point l'effet de ce fluide. De plus, il eft impoffible que cette prétendue matière fubtile ait d'un côté affez de force pour précipiter un corps un corps de cinquantequatre mille pieds de haut en une minute, (car telle eft la chute des corps) et que, de l'autre, elle foit affez

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impuiffante pour ne pouvoir empêcher le pendule du bois le plus léger de remonter de vibration en vibration dans la machine pneumatique, dont cette matière imaginaire eft supposée remplir exactement tout l'espace. Je ne craindrai donc point d'affirmer que, fi l'on découvrait jamais une impulfion qui fût la cause de la pesanteur des corps vers un centre, en un mot, la caufe de la gravitation, de l'attraction universelle, cette impulfion ferait d'une toute autre nature que celle qui nous eft connue.

Voilà donc une première vérité déjà indiquée ailleurs, et prouvée ici : il y a un pouvoir qui fait graviter tous les corps en raifon directe de leur masse.

Si l'on cherche actuellement pourquoi un corps eft plus pefant qu'un autre, on en trouvera aifément l'unique raison; on jugera que ce corps doit avoir plus de masse, plus de matière fous une même étendue :, ainsi l'or pèse plus que le bois, parce qu'il y a dans l'or bien plus de matière et moins de vide que dans le bois.

Defcartes et fes fectateurs (s'il en peut avoir encore) foutiennent qu'un corps eft plus pefant qu'un autre fans avoir plus de matière : non contens de cette idée, ils la foutiennent par une autre auffi peu vraie : ils admettent un grand tourbillon de matière fubtile autour de notre globe; et c'est ce grand tourbillon, difent-ils, qui, en circulant, chaffe tous les corps vers le centre de la terre, et leur fait éprouver ce que nous appelons pefanteur. Il eft vrai qu'ils n'ont donné aucune preuve de cette affertionil n'y a pas la moindre expérience, pas la moindre analogie dans les chofes que nous connaissons un peu, qui puiffe fonder une préfomption légère en faveur de ce tourbillon de matière fubtile: ainfi de cela

feul que ce systême eft une pure hypothèse, il doit être rejeté. C'est cependant par cela feul qu'il a été accrédité. On concevait ce tourbillon fans effort; on donnait une explication vague des chofes en prononçant ce mot de matière fubtile; et quand les philofophes fentaient les contradictions et les abfurdités attachées à ce roman philofophique, ils fongeaient à le corriger plutôt qu'à l'abandonner.

Huyghens et tant d'autres y ont fait mille corrections, dont ils avouaient eux-mêmes l'insuffisance. Mais que mettrons-nous à la place des tourbillons et de la matière fubtile? Ce raifonnement trop ordinaire eft celui qui affermit le plus les hommes dans l'erreur et dans le mauvais parti. Il faut abandonner ce que l'on voit faux et infoutenable, auffi bien quand on n'a rien à lui fubstituer que quand on aurait les démonftrations d'Euclide à mettre à la place. Une erreur n'eft ni plus ni moins erreur, foit qu'on la remplace ou non par des vérités; devrais-je admettre l'horreur du vide dans une pompe, parce que je ne faurais pas encore par quel mécanisme l'eau monte dans cette pompe?

Commençons donc, avant que d'aller plus loin, par prouver que les tourbillons de matière fubtile n'exiftent pas; que le plein n'eft pas moins chimérique; qu'ainfi tout ce fyftême fondé fur ces imaginations, n'eft qu'un roman ingénieux fans vraisemblance. Voyons ce que c'est que ces tourbillons imaginaires, et examinons enfuite fi le plein eft poffible.

CHAPITRE II.

QUE LES

TOURBILLONS DE

DESCARTES

ET LE PLEIN SONT IMPOSSIBLES, ET QUE PAR CONSÉQUENT IL Y A UNE AUTRE CAUSE DE LA

PESANTEUR.

Preuves de l'impoffibilité des tourbillons. Preuves contre le plein.

DESCARTES fuppofe un amas immense de particules

infenfibles, qui emporte la terre d'un mouvement rapide d'Occident en Orient, et qui d'un pôle à l'autre se meut parallèlement à l'équateur: ce tourbillon, qui s'étend au-delà de la lune, et qui entraîne la lune dans fon cours, eft lui-même enchaffé dans un autre tourbillon plus vafte encore, qui touche à un autre tourbillon fans fe confondre avec lui, &c.

I. Si cela était, le tourbillon qui eft suppose se mouvoir autour de la terre d'Occident en Orient, devrait chaffer les corps fur la terre d'Occident en Orient: or les corps en tombant décrivent tous une ligne, qui, étant prolongée, pafferait à peu-près par le centre de la terre; donc ce tourbillon n'existe pas.

II. Si les cercles de ce prétendu tourbillon fe mouvaient et agiffaient parallèlement à l'équateur; tous les corps devraient tomber chacun perpendiculairement sous le cercle de cette matière fubtile auquel il répond: un corps en A près du pôle P devrait, felon Defcartes,

tomber en R: mais il tombe à peu-près felon la ligne AB, (figure 29) ce qui fait une différence d'environ. quatorze cents lieues; car on peut compter quatorze cents lieues communes de France du point R à l'équateur de la terre B; donc ce tourbillon n'existe pas.

III. Si, pour foutenir ce roman de tourbillons, on fe plaît encore à fuppofer qu'un fluide qui tourbillonne ne tourne point fur fon axe; fi on imagine qu'il peut tourner dans des cercles qui tous auront pour centre le centre du tourbillon même; il n'y a qu'à faire l'expérience d'une goutte d'huile, ou d'une groffe bulle d'air enfermée dans une boule de criftal pleine d'eau ; faites tourner la boule fur fon axe, vous verrez cette huile ou cet air s'arranger en cylindre au milieu de la boule, et faire un axe d'un pôle à l'autre; car toute expérience, comme tout raifonnement, ruine les tourbillons.

IV. Si ce tourbillon de matière autour de la terre, et ces autres prétendus tourbillons autour de Jupiter et de Saturne, &c. exiftaient, tous ces tourbillons immenfes de matière fubtile, roulant fi rapidement dans des directions différentes, ne pourraient jamais laiffer venir à nous, en ligne droite, un rayon de lumière dardé d'une étoile. Il eft prouvé que ces rayons arrivent en très-peu de temps par rapport au chemin immenfe qu'ils font; donc ces tourbillons n'exiftent pas.

V. Si ces tourbillons emportaient les planètes d'Occident en Orient, les comètes, qui traversent en tous fens ces espaces d'Orient en Occident, et du Nord au Sud, ne les pourraient jamais traverfer; et quand aucune comète n'aurait été en effet du Nord au Sud, ni d'Orient

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